Sécurité privée : les cas de refus de carte professionnelle
Les pouvoirs publics ont tenté de moraliser le monde de la sécurité privée dès 1983. Toutefois, le véritable tournant a eu lieu en 2012 avec la création du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). C’est cet établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur qui délivre les cartes professionnelles.
Les aptitudes professionnelles
Désormais, dirigeants et salariés exerçant des fonctions de sécurité doivent être titulaires d’une carte professionnelle. Celle-ci est valable 5 ans sur tout le territoire et doit être renouvelée 3 mois avant la fin de sa validité. Cette carte est délivrée par le Cnaps à l’employeur sous forme dématérialisée, ce dernier étant tenu de la fournir à ses salariés sous une forme matérialisée, propre à l’entreprise et souvent appelée « badge ».
L’octroi de cette carte est conditionné au respect de conditions de validation des aptitudes professionnelles (formation) ainsi qu’à une exigence de probité et d’honnêteté sur le fondement des articles L.612-20 et L.612-7 du code de la sécurité intérieure.
La justification des aptitudes professionnelles, qui se concrétise notamment par une obligation de formation, n’appelle pas de remarque particulière. Il faut néanmoins savoir que les sociétés de formation doivent désormais, elles aussi, être agréées par le Cnaps et qu’elles font l’objet d’un contrôle rigoureux. Parler de dérives pour évoquer la situation qui existait avant la mise en place de l’agrément est un doux euphémisme…
Les interdictions
Tout d’abord, la profession est interdite aux personnes dont le bulletin numéro 2 du casier judiciaire mentionne une condamnation.
À cet égard, il est précisé que les personnes poursuivies devant le tribunal correctionnel demandent souvent à ce qu’en cas de condamnation, cette dernière ne figure pas sur leur casier judiciaire. Si jamais la condamnation y figure (soit parce que le tribunal a refusé de ne pas la mentionner, soit parce que cela ne lui a pas été demandé), il est possible de demander ultérieurement au procureur de la République l’effacement de la condamnation.
Ensuite, la profession est également interdite à toute personne à propos de laquelle une enquête administrative fait apparaître que son comportement ou ses agissements sont contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes moeurs ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État et sont incompatibles avec l’exercice des fonctions susmentionnées.
Cette enquête administrative consiste dans un premier temps à consulter le Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). Ce fichier contient le nom de toute personne impliquée dans une infraction, tant en qualité de victime que d’auteur supposé. Les préposés du Cnaps qui consultent le TAJ doivent justifier d’une habilitation spéciale. À défaut, il s’agirait d’une cause de nullité d’une décision de refus de la carte professionnelle.
Ainsi, tout un contentieux pour obtenir le retrait des éléments de ce fichier s’est développé.
Les faits reprochés
Cependant, la principale difficulté est de savoir comment apprécier ce qu’est un agissement contraire à l’honneur, à la probité, aux bonnes mœurs ou qui est de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique.
La première question qui se pose dans cette appréciation est celle de l’ancienneté des faits reprochés. À cet égard, les tribunaux considèrent généralement que l’on ne peut pas prendre en compte des éléments de plus de cinq ans, sauf s’ils ont été suivis d’autres faits répréhensibles[1].
La seconde interrogation concerne la nature des faits qui peuvent être retenus. Le texte précise bien qu’il doit s’agir de faits incompatibles avec « l’exercice des fonctions ». Dès lors, pourquoi retenir des faits qui sont intervenus dans la sphère privée ? Par exemple, une gifle assénée lors d’une dispute conjugale relève de la vie privée, mais démontre dans le même temps un manque de maîtrise qui peut se retrouver également dans un contexte professionnel. La frontière est difficile à tracer.
La jurisprudence regorge de décisions, pour la plupart anecdotiques, de refus de carte professionnelle :
- Menaces de mort réitérées par un père à l’encontre de l’assistante familiale qui a la charge de ses deux jeunes filles[2] ;
- Faits de proxénétisme par aide à la prostitution d’autrui et port d’arme[3] ;
- Faits de vol[4] ;
- Procédures pour vol, violences volontaires, outrage à personne dépositaire de l’autorité publique et travail clandestin[5] ;
- Altercation au terme de laquelle l’intéressé a poussé une personne âgée, laquelle a trébuché et s’est cogné l’arrière du crâne contre le bitume, ayant nécessité son hospitalisation[6].
En revanche, la condamnation pour conduite d’un véhicule sous l’emprise d’un état alcoolique n’a pas été considérée comme un motif de refus de la carte professionnelle par une juridiction, même s’il est vrai que les faits étaient anciens[7].
Il peut paraître choquant qu’un magistrat décide qu’une condamnation n’est pas mentionnée au B2 afin d’éviter des conséquences sur la vie professionnelle d’un condamné et qu’il ne soit pas tenu compte de cette volonté.
En effet, cette condamnation ou les faits ayant conduit à une décision de justice vont toujours figurer dans le TAJ et entrer en ligne de compte pour retirer ou refuser de délivrer une carte professionnelle. Cela revient à conférer à l’administration des pouvoirs qui supplantent ceux du juge judiciaire.
Contester un refus
Il est toujours possible de contester un refus ou un retrait de carte professionnelle, mais la procédure est un peu complexe. Les cartes professionnelles sont octroyées ou refusées par les Commissions locales d’agrément et de contrôle (Clac) qui dépendent du Cnaps.
Pour contester une de leurs décisions, il faut au préalable adresser une réclamation à la Commission nationale d’agrément et de contrôle (Cnac) qui dépend aussi du Cnaps. En cas d’absence de réponse dans un délai de deux mois, il est alors possible de saisir le tribunal administratif, voire la cour administrative d’appel et le Conseil d’État.
Les procédures sont donc longues et pendant leur cours, la personne concernée ne peut travailler dans le domaine de la sécurité.
D’une Clac à l’autre, les décisions rendues sont très différentes pour les mêmes faits. Un récent rapport sur la sécurité privée – le rapport Fauvergue-Thourot – suggère dans sa proposition 71 de transférer la compétence de délivrance et de retrait des titres des Clac au directeur du Cnaps.
Une réforme du code de la sécurité intérieure est attendue courant 2020, laquelle devrait reprendre cette proposition et engager une réforme du Cnaps.
Perte de la carte
Enfin, il est précisé que la perte de carte professionnelle pour un salarié entraîne son licenciement. Le préavis ne peut être effectué et ne peut donner lieu à rémunération, mais l’indemnité conventionnelle de licenciement est due.
L’article L.617-7 du code de la sécurité intérieure prévoit des sanctions pénales pour les employeurs faisant travailler une personne non titulaire d’une carte professionnelle.
La Cour des comptes, dans son rapport 2018, a sévèrement étrillé le Cnaps, lui reprochant de faire preuve d’un certain laxisme dans la délivrance des agréments des agents. Ce n’est pourtant pas ce que nous percevons dans notre quotidien d’avocat spécialisé où nous sommes confrontés à des délais de réponse très longs, incompatibles avec une vie professionnelle pour les agents et avec les activités pour les sociétés.
Espérons que les réformes à intervenir du Cnaps corrigeront ce défaut qui est pénalisant pour la profession.
[1] Cour administrative d’appel, Marseille, 8e chambre, 8 octobre 2019 – n° 18MA05517 ; Cour administrative d’appel, Nancy, 4e chambre, 24 septembre 2019 – n° 18NC03220.
[2] Cour administrative d’appel, Lyon, 6e chambre, 28 novembre 2019 – n° 18LY01991.
[3] Cour administrative d’appel, Marseille, 7e chambre, 12 juillet 2019 – n° 18MA04770.
[4] Cour administrative d’appel, Paris, 3e chambre, 19 novembre 2019 – n° 18PA03021 ; Cour administrative d’appel, Nancy, 4e chambre, 18 juin 2019 – n° 18NC02439.
[5] Cour administrative d’appel, Nantes, 3e chambre, 21 juin 2019 – n° 17NT02498.
[6] Cour administrative d’appel, Lyon, 6e chambre, 23 mai 2019 – n° 17LY03343.
[7] Cour administrative d’appel, Nancy, 4e chambre, 7 mai 2019 – n° 18NC01266.
Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, spécialiste de la sécurité et de la sûreté dans l’entreprise
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