Le télétravail, un risque potentiel pour les salariés ?
29… c’est en pourcentage le nombre de salariés du secteur privé ayant recours au télétravail de manière quotidienne ou régulière. Cela représente quasiment 1 salarié sur 3. Si cette pratique s’est démocratisée ces dernières années, elle s’accompagne toutefois de certains risques.
Le télétravail est défini à l’article L 1222-9 du code du travail. Il s’agit de « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.»
Il est mis en place par tout moyen et bénéficie d’un cadre juridique désormais facilitant. En effet, le télétravail peut être mis en place par accord collectif… ou, à défaut, au moyen d’une charte après avis des représentants du personnel. Ce qui nécessite le recours au dialogue social. En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. Il n’est plus nécessaire de modifier le contrat de travail.
Ce cadre facilitant a permis le développement de cette forme d’organisation du travail, comme l’indique une étude Malakoff Médéric/ IFOP publiée en février 2019 qui révèle un taux de 29% (contre 25% en 2018) de salariés du secteur privé pratiquant le télétravail.
Les employeurs et leurs collaborateurs semblent ainsi avoir saisi l’opportunité d’une mise en œuvre du télétravail.
Cependant, le rapport de l’organisation internationale du travail – intitulé « Working anytime, anywhere: The effects on the world of work » – évoquait dès février 2017 des risques potentiels pour la santé des salariés en situation de télétravail.
Ce rapport questionne donc sur la nécessité de protéger particulièrement les salariés travaillant à distance.
Pour mémoire, en France tout employeur est tenu à une obligation de protéger ses salariés conformément aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail.
Avec la possibilité d’effectuer ses missions en tout temps et en tout lieu, le télétravailleur prend un risque.
Les risques identifiables
Des risques psychosociaux liés au développement d’une forme d’autocontrôle
Les risques psychosociaux sont des risques qui peuvent être induits par l’activité professionnelle exercée, ou générés par l’organisation et travail et les relations de travail (définition de l’INRS).
En matière de télétravail, la confiance du management envers le collaborateur est nécessaire. Le télétravailleur doit ainsi se doter d’une compétence d’auto-organisation et porte la responsabilité de l’autocontrôle (Metzger et Cléach 2004). « Le télétravail propose un nouveau contrat psychologique basé sur le soutien organisationnel au salarié et vise à une réciprocité dans l’échange salarial avec une recherche de conciliation entre les exigences de performance pour l’entreprise et un mieux-être au travail pour le salarié » (Craipeau 2010 in Dumas Ruiller 2014).
L’entreprise et le salarié vont devoir s’adapter à de nouvelles méthodes d’organisation. La relation d’emploi est bouleversée. Le panoptique (Type d’architecture carcéral imaginé par Jeremy Bentham à la fin du XVIIIème siècle) décrit par Michel Foucault illustre parfaitement une forme d’autocontrôle : « celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir».
L’effacement des barrières temporelles et le désintérêt de la hiérarchie pour le temps de présence se doublent de modes de contrôle et d’autocontrôle, fondés sur une intériorisation des objectifs et valeurs de l’entreprise (Deleuze, 1990, in Leclercq-Vandelannoitte et Isaac (2013 : 30)). Le manager à distance ne peut plus exercer au quotidien la fonction de contrôle qui lui était auparavant dévolue.
Les télétravailleurs développent alors une forme d’autonomie qui les incite à être constamment sous pression afin de s’assurer d’avoir rempli les objectifs fixés. Il s’agit alors d’une forme d’autodiscipline sans que la direction ne l’ait explicitement exigé. Les salariés participent à la mise en place de leur propre contrôle.
Difficultés à déconnecter et débordement des frontières vie privée/vie professionnelle
Les nouvelles technologies, en développant le nomadisme des salariés, peuvent conduire à une hyper-connectivité.
La possibilité d’exercer ses missions en tout lieu et à tout moment provoque une certaine porosité de la frontière vie professionnelle/vie privée qui peut s’avérer dangereuse. Le télétravail présente donc parfois des risques pour la santé au travail.
Les promesses du télétravail, ou travail à distance sont nombreuses :
- Flexibilité pour les entreprises ;
- Diminution des temps de trajet ;
- Économie de mètres carrés de bureau, et côté salarié, possibilité de mieux s’organiser ;
- Accroissement de l’autonomie ;
- Et une performance accrue.
Mais certaines dérives subsistent et peuvent menacer l’équilibre vie professionnelle/vie privée et la santé des salariés concernés.
En situation de télétravail les collaborateurs, comme leurs employeurs, ont des attentes. Il existe également des promesses réciproques. Le télétravailleur aura tendance à accroître ses contributions pour répondre à des attentes perçues. Cela pourra provoquer un accroissement de la charge de travail… et contribuer à l’effacement de la frontière vie professionnelle/vie privée.
Du côté de l’employeur, il ne faut pas perdre de vue que la mise en œuvre d’un risque potentiel pour les salariés constitue un risque pénal. En effet, l’employeur – s’il manque à ses obligations de sécurité – encourt des sanctions civiles et pénales.
On veillera donc à conserver une relation d’emploi équilibrée en mode gagnant/gagnant.
Pour finir, on notera que le recours au travail nomade multiplie le risque en matière de gestion des données confidentielles. Travailler dans une salle d’attente, un train ou un avion suppose que certaines données peuvent être vues… donc pillées par des personnes extérieures à l’organisation.
Il est donc indispensable de sensibiliser les collaborateurs à l’importance des documents dits «confidentiels» et à la nécessité de ne pas laisser leur écran à la vue de tous.
La mise en œuvre du télétravail invite donc à une réflexion transversale en matière de risques.
Caroline Diard
Docteur en sciences de gestion de l’institut Mines-Télécom Business School, Caroline Diard est professeur associé en management des RH et Droit à l’EDC Paris Business School. Elle intervient dans les domaines du droit du travail, politique de rémunération et dialogue social, vidéoprotection et télétravail. Elle a été précédemment DRH dans une société de biotechnologies et consultante.
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