Fuite de mercaptan à l’usine Lubrizol de Rouen
Difficile d’échapper à l’information mardi 22 janvier 2013. L’actualité fait les gros titres : un nuage pestilentiel, échappé de l’usine rouennaise Lubrizol, a touché Paris. Il est signalé aux portes de Londres. La ministre de l’Écologie, en déplacement en Allemagne, écourte sa visite et se rend immédiatement sur place. Le match Rouen-OM prévu le soir même est annulé. À l’occasion de l’incident qui touche cette même usine depuis jeudi matin, Face au Risque vous propose de (re)découvrir l’incident du 21 janvier 2013.
Après avoir affirmé pendant deux jours l’innocuité du produit, une conférence de presse se tient le mardi soir pour expliquer les difficultés de neutralisation du gaz. La manoeuvre sera effectuée de nuit et prendra sans doute plusieurs jours.
Le mercredi matin, Le Monde révèle que le Parquet de Rouen a ouvert une enquête pour « mise en danger éventuelle de la population par l’entreprise ». Elle a été confiée aux militaires de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) et aux gendarmes de la Section de recherches de Rouen.Une enquête administrative du côté de la Dreal serait en cours.
Étrange emballement pour une affaire qui a débuté le lundi 21 janvier au matin à 8 h, suite à une réaction incontrôlée. Elle a donné lieu à une information minimale distillée au fil des heures dans une ville où Lubrizol est le seul établissement classé Seveso seuil haut. L’agglomération compte 23 sites Seveso dont 8 classés seuil haut.
Un marqueur du gaz de ville
Interrogé par nos confrères de Paris-Normandie, le directeur de l’usine évoque une surchauffe au cours de la fabrication d’un additif pour huile. L’additif est le dithiophosphate de zinc qui, en se dégradant, laisse échapper un gaz fortement odorant, de type mercaptan. Le mercaptan est un nom générique qui désigne un groupe de substances organiques soufrées. La formule exacte du gaz qui s’échappe à Rouen n’est pas connue. Il est impossible de vérifier si les émanations relevées aux sorties des cheminées de l’usine sont dangereuses.
Le lundi matin, ce taux était de 80 ppm, selon la préfecture. Il serait redescendu à 20 ppm ensuite. Selon la préfecture, « le seuil des premiers effets cliniques constatés (larmoiements, irritations oculaires…) est d’environ 20 ppm après une exposition continue de 8 heures. » Des symptômes dont « plusieurs riverains se seraient plaints », comme le rapporte Ouest France.
L’une des caractéristiques des formes gazeuses du mercaptan est d’avoir un seuil de détection olfactif très faible (0,002 ppm). C’est d’ailleurs en raison de cette propriété qu’il est utilisé pour donner une odeur au gaz de ville. La valeur limite d’exposition professionnelle pendant 8 heures en France pour le methylmercaptan ou methanethiol, le gaz cité par plusieurs médias comme étant celui diffusé à Rouen, est de 0,5 ppm (source INRS).
Si l’intervention pour le neutraliser prend du temps c’est d’abord que les quantités concernées sont importantes : 36 tonnes. Il faut pouvoir les diluer dans de l’eau contenant de la soude et de l’eau de javel. Une opération qui n’a jamais été tentée en France. Seulement aux États-Unis. La dangerosité de l’opération n’est pas précisée.
Pourtant ce n’est pas une première, ni à Rouen, ni en France. La base Aria du Barpi recense 50 accidents impliquant le mercaptan entre 1988 et 2012. L’usine de Rouen, propriété du milliardaire américain Warren Buffet, a déjà connu deux incidents similaires en août 1989 et en octobre 1975.
Une communication perfectible
Dans l’après-midi du mardi, le plan particulier d’intervention a été déclenché. Il s’est donc écoulé près de 30 heures après le début d’une réaction chimique dans une usine Seveso seuil haut installé dans une grande ville pour que les premières mesures de grande ampleur soient prises.
Entre temps, le standard des sapeurs-pompiers de Seine-Maritime a été saturé par 2 500 appels, celui de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris par plus de 10 000, les urgences de l’hôpital de Poissy ont été submergées par des patients atteints de maux de tête et de nausées.
L’incident pose la question de la communication à destination de la population. À l’heure des réseaux hyper-connectés, l’absence de transparence dans les premiers moments de l’incident paraît d’autant plus suspecte qu’elle participe à l’emballement. L’odeur a-t-elle pu couvrir d’autres pollutions ? Elle a, a minima, fait courir le risque qu’une fuite de gaz passe inaperçue.
L’événement est aussi révélateur de la perception que le public a de l’industrie. La suite dira si cette méfiance était fondée.
David Kapp – Journaliste
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