Le grand bluff du véhicule autonome

6 mai 20198 min

La France va débloquer une enveloppe de 200 millions d’euros pour mener à bien une dizaine de projets autour des véhicules autonomes. Pourtant, il est difficile de voir en quoi ces nouvelles expérimentations sur les véhicules permettront d’améliorer le problème du transport et de sa sécurité.

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1 million de kilomètres – soit 25 fois le tour de la terre à l’équateur – c’est le trajet fou que parcourront les véhicules autonomes dans les 16 expérimentations qui verront le jour en France d’ici 2022. Mercredi 24 avril, la ministre des Transports, Élisabeth Borne a confirmé ces chiffres lors de la matinale de France Info.

Ces véhicules autonomes seront électriques et les expérimentations qui les concernent seront menées en zones rurales et urbaines, dans le transport collectif ou individuel, le domaine du fret ou de la logistique.

La recherche est toujours intéressante, pourtant se pose la question de son efficacité et de son utilité.

Le problème de l’infrastructure

Qu’il s’agisse de voiture transportant des passagers ou de véhicules transportant des charges, la question reste ouverte pour les infrastructures. Pour fonctionner correctement, les véhicules autonomes doivent pouvoir communiquer avec leur environnement et notamment avec les infrastructures comme la signalisation pour obtenir des informations. De nombreuses études convergent sur cette nécessité. Et c’est pourtant loin d’être le cas.

La communication vers l’extérieur

Et pourquoi ces véhicules ne communiqueraient-ils pas avec d’autres véhicules, comme les êtres humains le font quotidiennement avec leurs clignotants et leurs klaxons – mais d’une manière plus élaborée ? Mais qui dit davantage de capteurs dit également davantage de défaillances. Sur un tout autre sujet, c’est la leçon qu’a apprise Airbus avec son A380 : deux fois plus de moteurs signifie deux fois plus de défaillances. Pour les capteurs ce n’est pas bien différent, d’autant qu’ils sont de plus en plus connectés entre eux.

Les routes françaises sont loin d’être uniformes et standardisées et ceux qui ont traversé la France savent qu’il y a une grande disparité de conditions et d’entretien des routes secondaires.

S’il fallait normaliser les routes et investir de l’argent, ne faudrait-il pas davantage les adapter à leurs usagers ? Prenons par exemple les personnes en situation de handicap. Comment se fait-il qu’il y ait encore des routes sans trottoir, donc impraticables pour des fauteuils roulants – ou des poussettes ? Et pourquoi y-a-t-il des feux piétons sans avertisseur sonore pour les personnes non-voyantes ?

La notion de confiance

Les véhicules entièrement autonomes ne sont pas pour demain. Il y aura sans doute des étapes, il y a même des définitions qui circulent sur la plus ou moins autonomie des véhicules. Le ministères des transports américain (.pdf en anglais) propose 5 niveaux (0 : aucune autonomie, 5 : entièrement autonome) tandis que l’alliance des constructeurs automobiles en propose six.

C’est dire que l’autonomie totale n’est pas pour demain et que plusieurs véhicules avec plusieurs niveaux d’autonomie se croiseront encore longtemps sur les routes.

L’une des grandes questions est d’ailleurs de savoir comment ces différents véhicules interagiront ensemble et si les réflexes des uns ne conduiront pas aux accidents des autres.

Et on voit déjà sur quoi les critères reposeront.

Des véhicules déjà bien autonomes

Certains véhicules embarquent déjà des technologies de pointe et peuvent même – si la réglementation le permettait – devenir totalement autonomes. Il s’agit le plus souvent de véhicules haut-de-gamme où l’autonomie est vendue comme une assistance à la conduite : détection des lignes, régulateur adaptatif, reprise en main du volant en cas de perte de connaissance…

Les véhicules autonomes ne promettent pas de réduire les inégalités mais, au contraire, de les accentuer.

D’autant que les choix moraux varient d’un pays à l’autre. Faudra-t-il, à la manière des cartes routières qu’on télécharge sur son véhicule, télécharger un algorithme différent quand on change de pays ? Bien évidemment, les tests sur la “moralité” des algorithmes posent des questions qui ne se posent pas (encore) dans la vie, comme faut-il mieux « sacrifier » un jeune plutôt qu’un ancien et on ne voit pas comment le véhicule fera la différence.

Questionnés, les futurs propriétaires répondent qu’ils préfèrent toujours que les véhicules sauvent le plus de monde possible. Si on leur demande ce qu’ils sont prêts à acheter, ils veulent le véhicule qui leur garantira la vie sauve.

La voiture autonome fera aussi des bourdes

Il y a aussi des erreurs de conduite. Qui ne s’est jamais retrouvé sur une voie sans issue ou un chemin de terre guidé par son GPS. Ou plus grave comme ces touristes qui, après avoir utilisé le GPS d’Apple, se sont retrouvés en plein milieu du désert australien.

Comme nous l’évoquions dans un article, les humains sont en général trop confiants avec les robots, particulièrement en situation de danger.

On se souvient ainsi de ce conducteur de Tesla, mort à la suite d’un mauvais calcul de l’ordinateur de bord. La voiture n’était pas autonome mais elle était dans un mode où c’est elle qui avait la main.

Des accidents déjà

Lors d’une expérimentation, une cycliste qui cheminait à pied avec son vélo a été percutée par un véhicule Uber en test.

Dans ces deux cas, des conducteurs n’auraient sans doute pas fait mieux.

Les accidents font beaucoup plus de bruit que les non-accidents. Et on parle peu de tous ceux qui ont été évités par ces mêmes véhicules en test ou en mode automatique.

L’hyperactivité est source de danger

Avec le véhicule autonome, on nous promet un monde sans danger et sans accident. Mais il n’arrivera pas.

Il y aura sans doute moins d’accident, mais ceux auxquels nous assisterons seront d’autant plus tragiques. Il est fort à parier que, comme pour les avions – qui sont l’un des moyens les plus sûrs – ils seront le résultat d’une chaîne d’erreurs, sans doute très subtiles, mais qui produiront en cascade un sentiment irrémédiable de tragique.

Alors, si ce nouveau monde n’est pas sans danger, quels seront son véritable usage et son avantage ? Ce monde sera le même qu’aujourd’hui, mais beaucoup plus pressé, beaucoup plus connecté, beaucoup moins attentif. La philosophie de la voiture connectée n’est pas une belle philosophie : c’est celle de l’individualisme et de la production à outrance.

À la recherche du temps perdu

Si nous ne conduisons pas, nous serons encore plus sur nos téléphones, sur nos tablettes et sur nos écrans. Le temps perdu de la conduite servira à faire ce que beaucoup font déjà – mais de manière beaucoup plus sûre. Et ce n’est pas parce que cela devient plus sécurisé, que c’est mieux.

Si l’attention est louable, il n’est pas sûr que tout le monde veuille aller vers un monde où la perte d’attention est la norme et où l’individualisme et la productivité sont les vertus primées.

En quoi le transport individuel est-il une solution au problème global ?

Voici une question qui mériterait d’être posée. Pourquoi, alors qu’il serait beaucoup plus simple de rendre des trains autonomes, ce sont les voitures, bien plus complexes sur lesquelles tout le monde travaille ? Les trains sont sur des rails et ont peu ou pas d’obstacles à franchir. Ils permettraient de résoudre bien des problèmes de transport. Et ils sont collectifs.

Pas de chauffeur mais pas de passager non plus : et les risques sûreté ?

S’il n’y a pas de chauffeur, il est possible qu’il n’y ait pas de passager non plus. Au moment où nous sommes tous obnubilés par le risque terroriste, il est étonnant de voir que personne ne se demande à quelles utilisations malveillantes ces engins autonomes pourraient être utilisés. Ceci est d’autant plus étonnant que les drones, qui peuvent emporter des charges beaucoup plus légères par rapport à une automobile, sont souvent décriés sur ce sujet : on les accuse de transporter des explosifs – ce qui est certes arrivé mais est encore bien en dessous de ce qu’une camionnette peut transporter.

Et les risques cyber ?

La question de la sûreté n’est d’ailleurs pas la seule. Celle de la résistance aux attaques cyber en est une autre après les piratages réussis de plusieurs modèles, notamment des modèles de Jeep. Sans aller aussi loin qu’une attaque élaborée sur le véhicule, des chercheurs ont montré que le simple hacking des infrastructures (comme les panneaux) pouvait être tout aussi dangereux.

Ce n’est pas la fin des accidents, c’est juste que les accidents seront différents.

Est-on prêt à l’accepter ? Sans doute, mais encore faudrait-il qu’on sache à quoi ressembleront les accidents de demain.

Et pourquoi c’est cette technologie et pas d’autres qu’il faudrait désormais adopter.

David Kapp, journaliste

David Kapp – Journaliste

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