Dans nos archives – Un règlement interne de sécurité pour les cathédrales

25 avril 201913 min

Les cathédrales, propriétés de l’État, sont affectées au culte de l’Église catholique mais accueillent également des manifestations culturelles. Classées établissements recevant du public, elles sont soumises à un règlement particulier concernant la sécurité.

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L’histoire est jalonnée d’incendies de cathédrales et rares sont celles n’ayant jamais eu à en subir les conséquences. Pour ces dernières décennies, on se rappellera celui de la cathédrale Saint Paul de Nantes en 1972, ou plus récemment en 2012, celui de la basilique Sainte Clotilde de Reims.

Pour ces deux cas, l’origine de l’incendie était due à des travaux par point chaud réalisés dans le cadre d’intervention sur la toiture. Cette cause, statistiquement très importante, n’est pas la seule possible : les installations de chauffage, les installations électriques, les cierges, la foudre et bien sûr les actes de malveillance sont également envisageables.

Les conséquences de ces incendies ne restent très souvent que matérielles, mais le risque pour les personnes ne peut être écarté, en particulier lors de la tenue de manifestations exceptionnelles en présence d’un grand nombre de personnes : cérémonies religieuses exceptionnelles (messes de Noël ou Pascale), concerts ou manifestations culturelles.

Il y a un peu plus de cent ans, suite à la parution de plusieurs lois concernant la séparation des Églises et de l’État, la gestion des quatre-vingt-sept cathédrales françaises s’est trouvée clairement définie. Elles restent la propriété de l’État qui est responsable de leur conservation et de leur ouverture à la visite, l’Église catholique en tant qu’affectataire cultuel, en garde la jouissance et la liberté de définir les modalités d’exercice du culte.

Au lendemain de la Révolution française, le Concordat de 1801, par son article 12, met les édifices non aliénés, toujours séquestrés, mais nécessaires au culte, « à la disposition des évêques », soit une église par cure (chef lieu de canton) et une par succursale (village). Des circulaires ministérielles de 1833 et 1838 précisent que les cathédrales sont entretenues et réparées au frais de l’État, que les évêchés et les grands séminaires sont départementaux et que les églises sont communales.

De 1802 à 1905, la propriété des édifices séquestrés depuis 1789 et remis à disposition pour les besoins du culte reste acquise au domaine public de l’État, du département ou de la commune. Les établissements publics du culte (fabriques), prévus par les articles organiques de 1802, assument la gestion courante de ces biens attachés à l’utilisation de l’édifice (équipement, mobilier, fonctionnement). Les édifices construits entre 1802 et 1905 sont la propriété des fabriques.

Aux termes des lois des 9 décembre 1905, 2 janvier 1907 et 13 avril 1908, concernant la séparation des Églises et de l’État, ainsi que du décret du 16 mars 1906, les desservants de l’Église catholique et ses fidèles bénéficient d’une mise à disposition légale des édifices du culte appartenant à l’État, aux départements et aux communes, pour la pratique de leur religion, couramment qualifiée d’« affectation cultuelle », c’est-à-dire suivant la jurisprudence du Conseil d’État (CE 30 janvier 1914, Abbé Marmont, rec. p. 120), « l’ensemble de l’édifice du culte avec ses dépendances ».

L’ABF est responsable unique de sécurité (RUS)

Les cathédrales, comme tous les bâtiments de culte, sont des établissements recevant du public. L’article R.123-3 du code de la construction et de l’habitation (CCH) définit les acteurs responsables de la sécurité des personnes dans les ERP.

Par ailleurs, pour les établissements de droit public, celui-ci est complété par l’article R.123-16 du CCH qui précise que des arrêtés émanant des différents ministères ayant à gérer des ERP préciseront les modalités de désignation des fonctionnaires responsables de l’application des dispositions destinées à garantir la sécurité du public.

Concernant les cathédrales, qui dépendent du ministère de la Culture, il s’agit de l’arrêté du 15 septembre 2006, relatif à la protection contre les risques d’incendie et de panique dans les ERP relevant du ministère de la Culture. L’article 5 de cet arrêté désigne l’architecte des bâtiments de France (ABF) comme étant le responsable unique de sécurité (RUS), c’est-à-dire la personne chargée de l’application des dispositions destinées à garantir la sécurité contre les risques d’incendie et de panique, des personnes accueillies dans les monuments historiques pendant leur exploitation.

Par ailleurs, cette responsabilité lui permet de demander à chacun des exploitants de la cathédrale de désigner, pour l’activité qui le concerne, qu’elle soit cultuelle ou culturelle, une personne chargée de la sécurité.

Au regard du code de la construction et de l’habilitation (CCH), et notamment de l’article R.123-2, chaque cathédrale est un établissement recevant du public (ERP) : « Constituent des établissements recevant du public, tous bâtiments, locaux ou enceintes dans lesquels des personnes sont admises soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitations, payantes ou non ». Comme tous les établissements de culte, elles sont classées en type V. L’arrêté du 21 avril 1983 modifié, définit les dispositions particulières qui leur sont applicables. Du fait de leur importance, qui les conduit à pouvoir accueillir un effectif de fidèles important, elles sont très souvent classées en 1re catégorie (effectif supérieur à 1 500 personnes).

Le culte et la culture

L’affectation première des cathédrales est l’accueil de manifestations cultuelles (messes, offices religieux…). Mais de plus en plus souvent, elles sont utilisées pour l’organisation de manifestations culturelles. On pense bien sûr en premier lieu aux concerts de musique qui exploitent leur acoustique incomparable ou, pour certaines d’entre elles, leur buffet d’orgue. Mais elles peuvent accueillir d’autres manifestations culturelles, telles que des expositions ou des conférences.

Enfin, elles restent visitables en dehors de ces manifestations, soit individuellement soit en groupes encadrés par des guides. La gestion domaniale des cathédrales appartient au Centre des monuments nationaux (selon la convention du 10 avril 1998). C’est cet établissement public qui a le pouvoir de délivrer les autorisations d’occupation temporaire et de percevoir la redevance domaniale y afférente. Toutefois, en raison de l’affectation cultuelle, l’accord préalable du desservant est expressément requis pour toute manifestation non cultuelle.

Des utilisations exceptionnelles

Cette utilisation des cathédrales à d’autres fins que cultuelles est normalement cadrée par l’article GN 6 du règlement de sécurité ERP dont l’alinéa § 1 précise :

« L’utilisation, même partielle ou occasionnelle d’un établissement pour une exploitation autre que celle autorisée, ou pour une démonstration ou une attraction pouvant présenter des risques pour le public et non prévue par le présent règlement, doit faire l’objet d’une demande d’autorisation présentée par l’exploitant au moins quinze jours avant la manifestation ou la série de manifestations ».

Toutefois, afin de simplifier ces démarches administratives tout en respectant les objectifs de maintien de la sécurité du public, il est possible d’autoriser certaines de ces manifestations sans passer systématiquement sous les fourches caudines de la commission de sécurité. La circulaire du 21 avril 2008, sur l’utilisation des édifices de culte appartenant à l’État à des fins non cultuelles, permet cette simplification dès lors que les manifestations restent conformes « (…) aux prescriptions générales de sécurité et au règlement interne de sécurité propre à chaque édifice. »

Plus avant, la circulaire précise : « Ce document doit regrouper les dispositions réglementaires en vigueur, le schéma directeur pluriannuel d’amélioration de la sécurité incendie, le cahier des charges d’exploitation et le registre de sécurité de l’édifice. »

Ces documents, une fois validés par la commission de sécurité compétente, permettent d’organiser toutes les manifestations culturelles qui y sont décrites sans passer par la procédure normale de l’article GN 6. En revanche, toute demande de manifestation qui sortirait du cadre défini dans ces documents serait obligatoirement réorientée vers le processus prévu par l’article GN 6.

Une fois traitée et validée par la commission de sécurité, cette nouvelle configuration pourra être intégrée dans le règlement et le cahier des charges d’exploitation, afin que toute demande ultérieure pour le même type de manifestation soit traitée rapidement sans repasser par le « processus GN 6 ». Pendant le déroulement de la manifestation, celui qui utilise l’édifice est considéré comme responsable de la sécurité du public.

L’organigramme donné dans le schéma ci-dessous reprend le processus applicable avec les différentes étapes avec les documents prédéfinis dans le cahier des charges d’exploitation.

Schéma démarches manifestations culturelles

Règlement interne de sécurité et cahier des charges d’exploitation

Ces deux documents sont les pierres angulaires de l’organisation de toutes les manifestations culturelles mais également cultuelles dans les cathédrales. Le département Audit et Conseil de CNPP a participé plusieurs fois à la rédaction de ce type de documents (plan d’urgence, plan d’opération interne…) à la demande d’un architecte des bâtiments de France. Fort de son expérience dans la rédaction de ce type de document, il préconisa l’utilisation d’un formalisme s’appuyant sur des fiches-types facilitant la mise à jour, laquelle reste très souvent le point faible de ces documents.

Les différentes prescriptions propres à chaque manifestation sont reprises dans des fiches-types agrémentées de plans sur lesquels sont reportés : les effectifs maximum admissibles, les dégagements et issues à maintenir libres et accessibles, les zones où les scènes, estrades, sièges et autres aménagements peuvent être implantés, les modalités de branchement sur le réseau d’alimentation électrique…

Manon Hansemann, architecte des bâtiments de France. Photo DR

Quel est votre parcours professionnel ?

Manon Hansemann. Diplômée de l’École d’Architecture de Paris Val de Seine, après des études en Italie, j’ai été architecte vacataire au Stap (Services territorial de l’architecture et du patrimoine) du Loir-et- Cher, ai passé le concours en 2007 et pris mon premier poste en 2008 dans la Vienne comme ABF adjoint, puis ABF et chef de service en Charente depuis 2010.

Pouvez-vous décrire votre fonction ?

M.H. Les architectes des bâtiments de France sont des fonctionnaires du ministère de la Culture, appartenant au corps des architectes urbanistes de l’État (AUE). Affectés au sein des Stap, les ABF assurent des missions de service public dans les domaines du patrimoine, de l’architecture et de l’urbanisme. L’échelle d’intervention est le département et leur champ de compétence est triple :

  • le contrôle des espaces protégés, aux abords de monuments historiques (périmètre de 500 m), de sites protégés, de secteurs sauvegardés et des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (Avap) ;
  • la promotion de la qualité architecturale et urbaine (lois architecture, paysage et solidarité et renouvellement urbain) par le suivi des documents de planification urbaine (DTA, Scot, PLU, cartes communales). Nous participons aux réflexions liées aux problématiques environnementales et au développement des énergies renouvelables (éolien, solaire…) ;
  • la conservation du patrimoine par la surveillance de l’état sanitaire des immeubles protégés au titre des monuments historiques. Nous sommes par ailleurs nommés conservateurs des monuments historiques appartenant à l’État et affectés au ministère de la Culture, comme les cathédrales.

Les ABF ont-ils une formation particulière pour gérer les problèmes de sécurité ?

M.H. Tous les ABF reçus au concours national reçoivent une formation obligatoire d’un an à l’école de Chaillot et l’École des Ponts et Chaussées. Nous sommes notamment formés aux fonctions de conservateur des monuments appartenant à l’État et un stage en Stap permet de compléter la formation théorique. Lorsque nous sommes en poste, nous avons un référent pompier préventionniste du ministère de la Culture qui nous accompagne dans nos missions touchant à la sécurité des édifices appartenant à l’État.

Quelles sont les principales difficultés pour le respect de la sécurité dans les cathédrales ? Est-ce différent des autres monuments historiques ?

M.H. La principale difficulté réside dans la coordination des multiples utilisateurs de la cathédrale. En effet, outre le clergé, affectataire de l’édifice, il peut y avoir un organiste, parfois une maîtrise (chorale), des associations patrimoniales, musicales ou culturelles, des sociétés savantes, des scouts, etc. Ces édifices peuvent difficilement respecter toutes les normes de sécurité et d’accessibilité. Il m’appartient donc de concilier qualité patrimoniale et sécurité du public. Un exemple récurent est le sens d’ouverture des portes : les vantaux du XIIe siècle ouvrent souvent vers l’intérieur alors qu’un ERP doit avoir ses portes de sortie ouvrant vers l’extérieur. Avec les instances de sécurité (pompiers, DDT, préfecture), nous trouvons des solutions pour adapter l’édifice à chaque réglementation.

Avez-vous des retours d’expérience d’événements passés ?

M.H. Jusqu’à présent, les manifestations culturelles se sont bien passées. Ce sont principalement des concerts, avec un public pouvant aller jusqu’à plus de 500 personnes. Un autre type de manifestation revient chaque année dans la cathédrale d’Angoulême, c’est une exposition de BD organisée à l’occasion du Festival international de la bande dessinée. Cette association est très compréhensive et respecte scrupuleusement les consignes de sécurité. Elle adapte chaque année sa scénographie à l’espace d’exposition qui lui est proposé et la fréquentation des visiteurs est en constante augmentation.

Enfin, lorsque j’étais conservatrice de la cathédrale de Poitiers, j’avais eu la demande d’utiliser la cathédrale lors de la fête de la musique, en faisant sonner les cloches en dehors des horaires habituels et en installant des musiciens sur les coursives extérieures de la façade ouest, situées à plus de 20 m de hauteur pour jouer des instruments à vent. Avec un harnachement correct et des personnes intermédiaires situées dans les petits escaliers d’accès en cas de problème et pour contrôler les accès, la performance a pu se dérouler dans de bonnes conditions.

Propos recueillis par Marc Bohy.

Thierry Fisson, expert sécurité incendie à CNPP

Thierry Fisson

Expert sécurité incendie à CNPP

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