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Quelques ordres de grandeur pour mieux comprendre le feu de Notre-Dame
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l’origine de l’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019, il est cependant possible de mettre en perspective l’ordre de grandeur de la puissance dégagée par un feu de charpente de grande dimension avec les capacités maximales d’une lance à eau.
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Le 15 avril 2019 en fin d’après-midi, un incendie s’est déclaré dans la toiture de Notre-Dame de Paris. Il reste aujourd’hui beaucoup d’inconnues et il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’origine de l’incendie et les moyens qui ont été employés. Il est cependant possible de remettre en perspective l’ordre de grandeur de la puissance dégagée par un feu de charpente de grande dimension, dans le contexte de l’incendie de Notre-Dame, avec les capacités maximales d’une lance à eau. Toutes les données présentes dans cet article sont soit des données parues dans la presse, soit, en ce qui concerne les caractéristiques physico-chimiques, des données publiques faisant consensus.
Avec les connaissances parcellaires que nous avons à ce stade, nous ne pouvons travailler qu’avec des méthodes très grossières, qui donnent des ordres de grandeur. Deux méthodes classiques sont à croiser :
- l’une, très simpliste, consiste à supposer que le volume occupé par la charpente est relativement homogène et représentatif des feux bien ventilés et de grande puissance classiques,
- la seconde, à peine moins simpliste, consiste à examiner la masse de bois qui a disparu dans l’incendie, à estimer le pouvoir calorifique de ce bois, et en déduire une puissance sur une durée de référence.
Première méthode : une charpente bien ventilée
En ce qui concerne la première méthode, on pourrait discuter pour déterminer si le feu est effectivement bien ventilé. Ce fut sans aucun doute le cas très vite, du fait de la proportion de vides dans les charpentes, du fait que les charpentes traditionnelles sont en général ventilées naturellement pour des raisons de durabilité du bois, et du fait de la perte rapide de la couverture sous l’effet de la chaleur.
On peut donc considérer que l’ordre de grandeur classique d’une puissance de 1 MW par mètre cube enflammé est plausible.
La charpente se déployait sur la nef, le chœur et le transept. La longueur totale est de 100 m, la largeur au niveau de la nef et du chœur de 13 m, la largeur totale du transept de 40 m et la hauteur de 10 m. En approximant le volume nef et chœur par un prisme de base triangulaire, on obtient un volume de 6 500 m³.
À cela, il faut ajouter le volume correspondant au transept et à la flèche et soustraire le demi cône de l’abside et le volume interne des voûtes, qu’il est délicat d’estimer. Cependant, on peut en ordre de grandeur retenir que ces deux corrections sont petites par rapport au volume initial et se compensent partiellement.
Ainsi, nous nous proposons de retenir un volume de 6500 m³. Si on suppose que pendant le paroxysme du feu, 50% de la charpente engagée dans l’incendie (elle-même 75 % de la charpente totale) ont brûlé, on trouve donc un ordre de grandeur de 2 500 MW.
Deuxième méthode : la masse de la charpente de Notre-Dame
La seconde méthode part de la masse totale de la charpente. Cette charpente était constituée de 1300 chênes pour une masse totale estimée à 1 000 tonnes. La pouvoir calorifique d’un bois comme le chêne est de 17 à 20 MJ/kg. Ici, on retiendra 17,5 MJ/kg, comme dans l’Eurocode feu.
La charpente correspondait donc à une masse calorifique totale d’environ 17 500 000 MJ. Si on suppose, comme précédemment que, sur un feu majeur de charpente qui dure 4 heures environ, le paroxysme a duré environ une heure et qu’il a consumé la moitié de la masse combustible, on a donc une puissance moyenne pendant la phase de paroxysme de 1 800 MW.
Ces deux estimations sont remarquables. D’une part, elles sont très proches, eu égard à la précision des méthodes d’estimation. Elles sont sans aucun doute très prudentes par rapport au pic de puissance sur 15 minutes, qui a pu atteindre le double voire le triple.
En tout état de cause, pour fixer les idées, on peut retenir une puissance de l’ordre de 2 000 MW sur un plateau d’une heure. D’autre part, ce sont des puissances considérables. À titre d’exemple, un feu d’appartement dépasse rarement les 2 à 5 MW lors d’un embrasement généralisé, et pour le dimensionnement des tunnels routiers, on retient 30 MW pour un poids-lourd, 200 MW pour un poids lourd citerne d’essence.
Le potentiel de refroidissement de l’eau
Ces valeurs sont aussi à mettre en regard de la capacité de l’eau à refroidir un incendie. L’objet n’est pas ici de raisonner de manière fine sur les différents modes d’action de l’eau en cas d’incendie, mais de s’intéresser uniquement à son potentiel de refroidissement par évaporation.
La chaleur latente d’évaporation de l’eau est de 2,4 MJ/kg, et une lance standard de pompier délivre 500 litres par minute, soit 8,3 kg/s. Ainsi une lance standard, en supposant que la totalité de l’eau est évaporée, mais en négligeant le puits de chaleur correspondant au réchauffage de l’eau avant évaporation, est capable d’abattre la puissance d’un feu de 20 MW environ.
Ceci est une estimation très optimiste de l’efficacité d’une lance, puisqu’en fait, une grande partie (la majorité) de l’eau ruisselle au sol et n’est donc pas mobilisée dans le processus d’évaporation.
En tout état de cause, en retenant ce chiffre très optimiste, on voit que pour espérer éteindre un feu développé de l’ampleur de celui de la charpente de Notre-Dame, il faudrait établir plus de 120 lances à efficacité parfaite, et il serait raisonnable de quadrupler ce chiffre pour tenir compte de l’efficacité réelle.
Cependant, d’une part l’établissement de 120 lances est opérationnellement non pertinent, pour de nombreuses raisons qui sont hors de propos de détailler ici, et d’autre part l’hypothèse que toute l’eau serait vaporisée est très exagérée. En réalité, une grande quantité d’eau ruisselle ce qui diminue fortement leur efficacité, mais aussi mettrait en danger le bâtiment par les quantités d’eaux infiltrées.
Notre-Dame : un incendie hors norme
En conclusion, on peut retenir que le feu de la charpente de Notre-Dame est tout à fait hors norme en termes de puissance atteinte, et que, une fois un incendie pleinement développé établi dans une telle charpente, il n’est pas possible de le maîtriser sans attendre la baisse naturelle de puissance liée à l’affaiblissement du combustible.
C’est donc pour cela que, dans un incendie de cette ampleur, il est indispensable d’établir une stratégie de défense des points stratégiques en acceptant de faire « la part du feu » sur les parties déjà en embrasement généralisé.
Face au sinistre qui nous a tous surpris par sa soudaineté et son intensité, je tiens enfin à saluer le courage et le professionnalisme dont ont fait preuve les soldats du feu : les calculs scientifiques et hypothèses formulés ici soulignent les difficultés auxquelles ils ont dû faire face, et ne doivent pas faire oublier qu’ils ont risqué leur vie pour sauver l’édifice qui est, grâce à eux, encore debout aujourd’hui.
Pierre Carlotti
Directeur sécurité et prévention des risques chez Artelia
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