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Pouvait-on sauver des vies à Grenfell ?
Pouvait-on sauver des vies à Grenfell ?
Depuis l’incendie de la Tour Grenfell le 14 juin 2017 qui a fait officiellement 72 morts, la question est lancinante : pouvait-on sauver des vies humaines ? Beaucoup se sont hasardés à des explications voire des condamnations, mais le temps de la justice est différent du temps médiatique. L’enquête, ouverte juste après le drame, a fourni une masse de documents. Les résultats sont attendus pour Pâques.
L’enquête indépendante (lien en anglais) a été lancée au lendemain de l’incendie de la Tour Grenfell et a officiellement commencé le 15 août 2017. Elle doit remettre ses recommandations au Premier ministre qui devra les transmettre au Parlement pour s’assurer que “le drame ne se reproduise pas”.
Entrée dans sa phase 2, ses conclusions sont attendues pour Pâques. Mais déjà se profilent des responsabilités.
Grenfell, un bilan humain discuté
Pendant longtemps le bilan a fait état de 80 morts. Comme cela arrive dans beaucoup de catastrophes, il y a eu de fausses déclarations. Des personnes étaient également répertoriées dans les lieux… Alors qu’elles n’y habitaient plus depuis longtemps.
Au total le bilan officiel est de 72 morts. 70 personnes sont mortes dans le bâtiment. 1 personne est morte à l’hôpital des suites de ses blessures le lendemain. Une résidente, hospitalisée à la suite de l’incendie et qui souffrait de démence depuis, a mis fin à ses jours à l’hôpital en janvier 2018. Elle a également été comptabilisée par l’enquête.
Des suicides
Au total 74 personnes ont été hospitalisées pour des blessures ou pour l’inhalation de fumées. Ce bilan ne tient pas compte des blessés psychologiques parmi les intervenants, sapeurs-pompiers principalement, et des suicides survenus à la suite du drame.
20 tentatives au moins furent comptabilisées parmi les proches et résidents du quartier dans les semaines qui suivirent. Dont au moins un a abouti à un décès.
L’analyse de la vidéosurveillance
L’analyse de la vidéosurveillance de l’immeuble a permis d’affirmer que 293 personnes étaient présentes à l’intérieur au moment de l’incendie. 223 ont pu être évacuées.
Pour les 72 personnes décédées, l’enquête analyse scrupuleusement chaque instant de l’incendie et toutes les manœuvres opérées par les sapeurs-pompiers pour savoir si ce bilan aurait pu être moins important.
Des circonstances aggravantes qui n’expliquent pas tout
Certes le bâtiment avait fait l’objet d’un ravalement. Cependant, l’isolation par l’extérieur avait été pointée du doigt : le revêtement en aluminium contenait une mousse extrêmement inflammable dont la combustion produisait des fumées très toxiques et mortelles.
Un revêtement qui repousse l’eau
Ce revêtement, non conforme, avait été conçu pour repousser l’eau. Ainsi, lorsque les flammes se sont développées dans l’isolant entre la façade et le revêtement extérieur, l’eau crachée par les lances des pompiers n’arrivait pas à atteindre le foyer.
Une disposition exiguë
L’immeuble de 24 étages a été conçu pour abriter 120 logements de 1 à 2 chambres. Les quatre premiers étages n’étaient pas conçus pour être habités. Après une première rénovation, l’immeuble compte 129 appartements pouvant au total être occupés par 600 personnes. Deux des quatre premiers étages sont alors aménagés pour être habités.
À chaque étage, six appartements sont construits autour d’un escalier unique et deux ascenseurs.
Les pompiers arrivent vite sur les lieux
Au début, c’est une intervention presque banale. Un résident est réveillé dans la nuit par son détecteur de fumée. C’est un dysfonctionnement électrique sur son réfrigérateur près d’une fenêtre. Les pompiers sont très réactifs. The Telegraph, quotidien jamais en retard lorsqu’il s’agit de présenter des vidéos insoutenables, a mis en ligne le premier appel aux sapeurs-pompiers (ci-dessous).
6 minutes après l’appel de 0:54, les pompiers sont sur place. La structure du bâtiment est défavorable mais les pompiers qui interviennent ne savent évidemment pas que le revêtement est hautement inflammable et dégage des fumées toxiques.
Des moyens inadaptés
Les sapeurs-pompiers n’ont aucun véhicule pour atteindre le haut de la tour qui mesure plus de 67 mètres.
Depuis, un véhicule disposant d’une échelle de 30 mètres est systématiquement envoyé sur chaque feu de tour.
Très rapidement ils sont confrontés à un feu qui les dépasse. Les témoignages qui remontent depuis l’enquête montre une absence de coordination et des difficultés à communiquer, voire à passer l’information.
Les manœuvres des pompiers mises en cause
Pourtant l’information est là. Plus de 900 appels sont reçus pour ce feu alors qu’il y a moins de 300 habitants. Un couple d’architectes italiens, confiné dans son appartement, discutera avec sa famille pendant près de 2 heures avant que tout le monde ne réalise que leur situation est sans espoir.
Des équipes de sauvetage sont envoyées dans les étages en reconnaissance mais elles ne disposent pas de moyens pour évacuer les victimes. Notamment elles n’ont aucun appareil respiratoire isolant en surplus.
Un confinement discuté
Ces équipes guident donc les résidents vers les appartements à l’abri des fumées. C’est-à-dire sur la face opposée à laquelle le feu s’est déclaré. Une option discutable aujourd’hui, à la lumière du résultat, mais très difficile à apprécier dans le feu de l’action.
D’autant que les équipes qui réalisent le transfert sont ensuite relevées par d’autres auxquelles les premières passent le message, pas toujours de manière exacte et complète.
L’exemple de l’appartement 113
La BBC s’est notamment penchée sur le cas de l’appartement 113 situé au 14e étage, dans lequel 8 personnes ont trouvé refuge. Le média britannique prévient, l’article est long et prend plus de 25 minutes à lire (il existe une version audio de près d’une heure dans une série de plus de 100 podcasts produits sur l’incendie de la tour Grenfell). Il s’agit également d’un contenu qui pourra heurter la sensibilité.
Sur les 8 occupants, 4 seulement survivent
Aujourd’hui que l’enquête est en lumière, les versions divergent et il est difficile de les réconcilier. Ils étaient huit à se réfugier dans l’appartement. Mais après une incroyable suite d’incompréhensions et de mauvaises communications (les radios étaient saturées et passaient mal dans le béton, par exemple), 4 d’entre eux sortent dans une première vague.
Une fois à l’air libre ces 4 rescapés réalisent que tout le monde n’a pas suivi. Appels, recherches, confusion et parfois difficultés de communication, car certains locataires ne sont pas des locuteurs natifs. Il y a notamment cet appel aux urgences où l’opératrice fait répéter indéfiniment le numéro de l’appartement qu’elle n’arrive pas à comprendre. Il y a la fatigue, le stress chez les intervenants et la peur, la confusion, la chaleur et la fumée chez les victimes.
Une progression difficile
Lorsqu’ils finissent par revenir pour les quatre occupants restés dans l’appartement, les secouristes n’arrivent pas à les atteindre. À chaque étage ou presque, ils doivent prendre en charge d’autres locataires, eux-aussi pris au piège.
Au final, l’instruction commence à esquisser des réponses. Certains locataires ont été oubliés.
Et quand la situation est trop compliquée et ingérable, les intervenants des secours donnent des conseils désespérés : “sortez à n’importe quel prix”.
Certains y arriveront. Cependant, en ouvrant les portes, ils créent un appel d’air et condamnent sans le savoir leurs voisins.
Si bien que la tour devient impraticable. Et ceux qui sont bloqués dans les étages supérieurs, sans accès vers l’extérieur et sans possibilité de descendre, seront finalement condamnés.
L’enquête se poursuit et il y a encore, grâce aux témoignages, aux images de vidéosurveillance et aux caméras des pompiers, beaucoup à apprendre de ce sinistre qu’on aurait tort de vouloir simplifier.
Derrière sa bâche immaculée, la tour Grenfell n’a pas encore livrée tous ses secrets.
David Kapp
Rédacteur en chef
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