Recticel, Thaïlande : les leçons des sinistres de la supply chain
La supply chain est un équilibre fragile. Un incident causé chez un sous-traitant peut provoquer des effets dominos dévastateurs sur l’ensemble de la chaîne logistique… Jusqu’à avoir des conséquences financières et économiques significatives. Le point sur ce que doivent anticiper les risk managers.
Ces dernières années, plusieurs cas d’incendies ou de catastrophes naturelles dans des usines ont bousculé le monde de la supply chain. Le cas de Recticel, en 2017, a été symptomatique de l’ampleur que peut causer un tel événement sur toute la chaîne de production. L’industrie européenne, aussi robuste en apparence que celle de l’automobile, en a été déstabilisée.
Les risques de la supply chain, l’exemple de Recticel
En janvier 2017, un incendie se déclare à Most (République Tchèque) dans une usine de revêtements intérieurs destinés au secteur automobile. Cette usine, qui appartient au groupe belge Recticel, fabrique des composants plastiques pour l’industrie automobile. Des moules uniques sont utilisés pour la fabrication de pièces. L’usine livre différents constructeurs automobiles tels que Renault et PSA en France. Mais aussi Volkswagen, Daimler ou BMW… C’est un fabricant de rang 2 ou 3, dans la mesure où il ne livre pas directement les constructeurs mais fournit d’autres équipementiers.
La destruction d’une partie de son site de production a empêché Recticel de livrer ses clients. Ces derniers se sont retrouvés rapidement en rupture de stock. Le groupe Faurecia fait partie de ces équipementiers impactés. « Le sinistre de l’usine tchèque de Recticel en lui-même a été relativement limité avec un coût de quelques millions d’euros. Mais les conséquences ont été massives auprès de l’ensemble de la chaîne de production. Cet incident a changé la donne », explique Michel Josset, directeur Assurance, Prévention et Immobilier de Faurecia et président de la commission Dommages aux biens de l’Amrae.
Il évoque une perte de marge et des frais supplémentaires qui pourraient atteindre 1,2 Mds € pour l’industrie automobile et ses assureurs. Le bâtiment qui a pris feu n’était pas sprinklé et contenait des produits dangereux. « Il faut mettre la pression sur ce type de fournisseurs. L’objectif est d’entrer dans un cercle vertueux », ajoute-t-il. L’incendie de Recticel a démontré l’interdépendance des fournisseurs avec les constructeurs automobiles.
Autre exemple aux États-Unis
Des cas similaires se sont multipliés. En mai 2018, l’incendie de l’équipementier Meridian Magnesium aux États-Unis a provoqué l’interruption des usines Ford, General Motors ou encore BMW… Mettant au chômage technique des milliers de personnes, avec une perte de 1,7 Mds €. Ces déséquilibres amènent les acteurs de la maîtrise des risques à repenser leur gestion des risques.
Un précédent dans le secteur de l’informatique
En octobre 2011, les fabricants d’ordinateurs ont connu une pénurie d’approvisionnement en disques durs occasionnant l’arrêt de plusieurs usines dans le monde. En cause : de graves inondations en Thaïlande. Les plus graves depuis 50 ans, qui ont contraints les fabricants de disques durs du pays (deuxième exportateur mondial après la Chine avec 25 % de la production mondiale de disques durs) à cesser temporairement leurs productions.
Les chaînes de production de Toshiba ont ainsi été submergées pendant plusieurs jours. Flambée des prix sur les produits encore en stock, rupture de stocks sur certains modèles… Les conséquences se sont vite fait sentir.
Identifier les risques physiques et naturels
Pour anticiper et mieux gérer les risques physiques (incendie, défaillance technique…) et naturels (inondation, séisme, tempête…), Faurecia a eu l’initiative, en 2016, de lancer une démarche d’identification de ces risques dans sa supply chain.
« Auparavant, le service achats analysait le risque de défaillances financières ainsi que les non-tenues d’objectifs en termes de qualité et de délais. Mais les risques physiques et naturels n’étaient pas pris en compte. Nous avons ajouté ces deux critères dans notre analyse de risque », souligne Michel Josset avant d’ajouter : « C’est un exercice indispensable mais compliqué car nous avons de nombreux fournisseurs qui ont chacun d’entre eux plusieurs sites ».
Plusieurs étapes ont été nécessaires :
- L’identification des sites physiques des fournisseurs, souvent différents des adresses de facturation. Pour confirmer leurs degrés de protection, ces derniers doivent transmettre à Faurecia le rapport d’audit de leur assurance dommage.
- La hiérarchisation des fournisseurs en fonction de leurs sites stratégiques et de la fiabilité de leurs moyens de protection.
En concertation avec Faurecia, ils ont mis en place un plan d’actions. « Cela passe par une relation de dialogue dans le but de les faire progresser » commente Michel Josset.
Concernant le risque naturel, chaque usine doit caractériser les éléments à risque qui la concerne : séisme, tempête tropicale… Puis hiérarchiser son degré d’expositions à ces risques. « L’objectif est d’établir une routine pour piloter ce risque dans le but d’aboutir à une amélioration continue, précise Michel Josset. En cas d’incident, nous avons développé des plans de plans de continuité d’activité que nous proposons aux sites industriels pour être efficace et agile. »
L’interruption d’activité arrive en tête des préoccupations des entreprises (37 %), selon le baromètres des risques d’Allianz publié en janvier 2019.
Par ailleurs, un module de maîtrise des risques sera ajouté à la plateforme Ariba de gestion des contrats et des fournisseurs. De manière à suivre en continue le statut de protection incendie et risque naturel des sites fournisseurs critiques.
Le rôle des assureurs
Pour faire face aux coûts entraînés par l’incendie de Recticel, les assureurs ont contribué à compenser les pertes des équipementiers et des constructeurs grâce aux garanties carences clients/ fournisseurs.
« Toutefois, ces garanties seront de plus en plus chères et réduites à l’avenir. Les assurés doivent mettre en place une politique de gestion des fournisseurs, au risque de les voir réduites ou supprimées », affirme Michel Josset, qui doit piloter ses propres usines ainsi que celles de ses fournisseurs de premier rang.
Mais si Faurecia est client de Recticel et de bien d’autres entreprises, il est également lui-même fournisseur des constructeurs automobiles. Doit-il à son tour répondre aux mêmes obligations qu’il impose à ses fournisseurs ? « Les constructeurs commencent à peine à nous demander de leur dévoiler notre gestion du risque, sous la pression des assureurs », conclut Michel Josset.
Valérie Dobigny – Journaliste
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