Quand les réseaux sociaux nuisent à l’entreprise
Honnis par certaines entreprises qui s’y voient dénigrées et diffamées, adulés par d’autres qui s’y appuient pour la promotion de leurs produits, les réseaux sociaux ne laissent pas indifférents et le droit s’en est naturellement emparé.
Les problématiques juridiques
En matière de réseaux sociaux, les problématiques juridiques sont nombreuses. Intéressons-nous d’abord aux moyens juridiques qu’une entreprise possède pour lutter contre une atteinte à sa réputation sur un réseau social, pour terminer avec quelques mots sur les salariés.
Au cœur de la problématique : les nouveaux contours de la vie privée et la liberté d’expression.
Atteinte à la réputation
Les exemples de dénigrement ou d’injures sur les réseaux sociaux ne manquent pas et il est toujours étonnant de voir la virulence des propos dont certains sont prononcés par des salariés : « Extermination des directrices chieuses », « Éliminons nos patrons et surtout nos patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie ! », « Y’en a marre des connes »…
Comment se défendre lorsque l’on est confronté à une telle situation ?
Première réflexion à avoir : les conséquences de l’effet « kiss cool ». La durée de vie d’une information sur Internet est très brève et engager un procès conduira à la faire resurgir lors du jugement et à rappeler aux internautes la problématique soulevée et les propos tenus à l’encontre de l’entreprise.
Gagner judiciairement mais perdre la bataille de communication sur les réseaux sociaux n’a pas de sens. Et que faire en cas de formation d’un groupe qui comprendrait plusieurs milliers de personnes. Le groupe Facebook « victimes du stérilet hormonal Mirena » comprend plus de 17 000 membres. Il est inenvisageable d’attraire en justice chacun d’eux…
Si l’entreprise se décide à aller au procès
La première étape est naturellement de faire constater par huissier les dénigrements ou diffamations. Attention, tous les huissiers ne sont pas spécialistes dans la matière et il n’est pas rare que les tribunaux annulent des constats pour erreur de procédure, notamment pour non-respect de la norme NF Z 67-147 : Mode opératoire de procès-verbal de constat sur Internet effectué par huissier de justice, de septembre 2010.
Plusieurs difficultés vont alors se présenter.
Tout d’abord identifier l’auteur de la publication s’il agit sous un faux nom et le faire dans les délais car ces derniers sont très courts en matière de diffamation ou d’injures (3 mois). Pour cela, il est possible de demander à un magistrat, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, d’ordonner à un réseau social l’adresse IP de l’auteur de l’annonce, puis se tourner vers le fournisseur d’accès qui en est titulaire pour savoir à qui il l’a attribué. Bref quasiment impossible de respecter le délai de 3 mois. Et si l’on est en présence de diffamation ou d’injure, il vaut mieux sans doute porter plainte devant un juge d’instruction rapidement.
Puis il va falloir déterminer si l’on est en présence d’une publication privée ou publique. L’enjeu n’est pas mince car cela va déterminer la sanction si les faits sont reconnus.
En cas de diffamation publique, le tribunal compétent est le tribunal correctionnel et le montant de l’amende qui peut être prononcée peut aller jusqu’à 12 000 euros.
En cas de diffamation non publique, l’amende prononcée par le tribunal de police est seulement de 42 euros…
Par ailleurs, si les propos reproduits sur le réseau sont le fait d’un salarié, ce dernier peut être licencié ou sanctionné en cas de dénigrement ou de diffamation public, mais pas s’il l’a fait dans un caractère privé (CA Versailles, 7 févr. 2018, n° 15/05739 : JurisData n° 2018-001756).
Caractère public ou privé d’un post
Alors qu’est ce qui va distinguer le caractère public ou privé ? La jurisprudence considère que si le profil de l’auteur du post est paramétré pour n’être vu que par ses amis, ses publications sont privées (il existe cependant quelques décisions divergentes).
Si toutes les publications sont visibles sans restriction, alors leur caractère public est établi.
La difficulté se présente lorsque la publication est ouverte aux amis d’amis, les décisions des tribunaux sont alors parfois contradictoires (Cons. prud’h. Boulogne- Billancourt, 19 nov. 2010, n° 10/853 : RJS 2011, n° 5, 2e esp.), même si l’on peut considérer qu’il s’agisse plutôt d’une publication publique.
Sur le fond du droit, plusieurs fondements sont possibles. La diffamation et l’injure ne peuvent s’adresser qu’à des personnes morales ou physiques alors que le dénigrement peut concerner les produits et les personnes.
Le délai pour agir est de 5 ans en matière de dénigrement, mais les tribunaux ont tendance à considérer qu’intenter une action sur le fondement du dénigrement alors qu’elle pourrait relever de la loi de 1881 n’est pas la procédure correcte et déboute donc les plaignants.
En définitive, le regretté et passionnant Umberto Eco avait bien compris la problématique « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel »
Réseaux sociaux et salariés
Une des premières questions qui se posent pour une entreprise est de savoir si elle peut surveiller l’activité de ses salariés sur les réseaux sociaux. La barrière est notamment celle de la vie privée dont les contours sont de plus en plus fluctuants.
Il convient à mon sens de répondre de manière nuancée à cette première question. En effet, en se fondant sur le code du travail, la surveillance
d’un salarié n’est possible que si l’intéressé a été averti, les représentants du personnel consultés et que les moyens mis en œuvre sont proportionnels au but poursuivi. Et c’est sur ce dernier point que le bât semble blesser.
En effet, une surveillance risque d’être considérée comme trop attentatoire à la vie privée. Mais je me demande s’il ne convient pas d’établir une distinction entre le caractère professionnel ou non des réseaux sociaux. Par exemple, la solution ne serait pas la même s’il s’agit de Facebook ou de Linkedin.
Les entreprises peuvent cependant, à l’occasion d’une veille sur leurs produits ou sur leur image, découvrir des éléments postés par un salarié et ces éléments pourront être utilisés de manière légale.
En pratique, à ce jour, rien n’interdit à une entreprise de recevoir des éléments sur un salarié provenant d’un tiers ou d’un autre salarié, et c’est sans doute le subterfuge le plus utilisé, à l’aide d’un comparse compréhensif pour « blanchir » la collecte illégale.
Deuxième fondement qui limiterait la surveillance des salariés : le RGPD, applicable depuis mai 2018. L’employeur est tenu de respecter les données personnelles de ses salariés. Leur surveillance doit reposer sur un intérêt légitime pour l’entreprise.
L’employeur peut donc contrôler l’utilisation d’Internet par ses salariés, l’objectif étant de sécuriser sa société en mettant en place un dispositif de filtrage de sites non autorisés ou en interdisant l’accès à la messagerie personnelle de ses salariés. Cette surveillance ne doit pas être effectuée à l’insu des salariés. L’employeur est donc tenu de les informer de la mise en place d’un dispositif de surveillance. Il peut le faire par l’intermédiaire d’une charte informatique, un avenant au contrat, un courrier d’information transmis avec le bulletin de paie…
Il est fortement conseillé aux entreprises de rédiger une charte de l’utilisation des réseaux sociaux qui aborde cet aspect et qui peut également prévoir qu’un salarié ne peut mentionner une entreprise sans son accord sur un réseau, ni évoquer ses missions, etc.
Quant au recrutement d’un nouveau collaborateur, des entreprises se sont spécialisées dans la vérification des CV des candidats à l’embauche et les plus sérieuses sollicitent, de la part des personnes sur lesquelles elles procèdent à des vérifications, un accord préalable.
La législation sur les réseaux sociaux (dont une infime partie a été abordée dans cet article), et d’une manière plus générale sur Internet, mérite d’être adaptée et sans doute avec un prisme différent que celui qui a été abordé : celui ou celle qui se raconte sur Internet sans retenue et sans pudeur peut-il encore prétendre à la protection de sa vie privée et avoir encore un contrôle sur ses informations ? À notre sens non. Et à trop vouloir contrôler l’expression des internautes, ne va-t-on pas vers une forme de censure, une parole unique fade et inutilement consensuelle ?
Liberté chérie, ton nom n’est-il pas en train d’être effacé ?
Thibault du Manoir de Juaye
Avocat à la Cour, spécialiste de la sécurité et de la sûreté dans l’entreprise
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