Comment le harcèlement moral au travail peut-il remettre en cause la pérennité d’une organisation ?

4 février 201910 min

Le harcèlement moral en entreprise est un sujet majeur
de la gestion des risques liés aux ressources humaines.
Au-delà de l’impact juridique, les impacts peuvent être organisationnels, réputationnels et financiers.

Le harcèlement, défini à l’article L. 1152–1 du code du travail est une forme de violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique. Le harcèlement moral, puni dans le secteur privé comme dans le secteur public, se manifeste par des agissements malveillants répétés. Il peut s’agir de critiques, de réprimandes injustifiées, d’intimidation, de dénigrement, d’une mise à l’écart, de la privation d’outils de travail, de mesures vexatoires…

À titre d’exemple, on pourra parler de harcèlement moral lorsqu’un manager dévalorise de manière fréquente un collaborateur devant ses collègues lors de réunions de groupe. Cela pourra aussi concerner des cas de nombreux mails à visée insultante ou dégradante pour un collaborateur. Ou encore des situations dans lesquelles un collaborateur est appelé par ses différents directeurs en journée, le soir et le weekend, ces derniers lui demandant de réaliser des livrables dans des délais non tenables ou changeant la commande demandée de manière très fréquente, de sorte que l’objectif du collaborateur n’est pas réalisable. Ledit collaborateur sera également mal noté lors de son évaluation annuelle.

Le harcèlement moral comme risque majeur de l’entreprise

Le sujet est à envisager en tant que risque pour l’entreprise, et ce au-delà de ses seuls aspects juridiques. En effet, un cas de harcèlement moral, s’il n’est pas traité, peut prendre de l’ampleur, se répandre dans une entreprise, démotiver un ensemble de collaborateurs voire donner le sentiment d’impunité à certaines personnes mal intentionnées.

En outre, les bonnes pratiques de gestion des risques en entreprise nous alertent sur l’importance de prendre en compte l’impact de réputation que font peser de telles pratiques sur une entreprise si ces cas ne sont pas traités rapidement et via une réponse ferme de l’entreprise. En somme, les impacts pour l’entreprise peuvent être humain et juridique mais aussi réputationnel et financier. Ils peuvent aussi concerner la qualité de service en cas de démotivation. Pour ces raisons, un tel risque est à appréhender dans le cadre des dispositifs de risques majeurs d’une entreprise.

La croissance et la pérennité d’une organisation reposent sur sa capacité à motiver les collaborateurs. La performance dépend de l’adhésion du collectif à un projet commun.

Chaque collaborateur contribue à son niveau et à sa façon à l’évolution de la structure. Lorsqu’une situation de crise se produit, le management doit réagir vite pour éviter toute démotivation. Dans le cas du harcèlement moral, le management risque de commettre une erreur d’évaluation du risque. C’est ce que nous allons décrire ici.

Rappel réglementaire

En effet, le rôle du chef d’entreprise et de ses représentants est de prévenir les risques dans l’entreprise (article L.4121-1 du code du travail) en prenant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il engage alors des actions de prévention et notamment en matière de harcèlement.

L’article L.1152-1 du code du travail dispose en effet que « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

L’employeur a l’obligation d’informer et de former les salariés.

À lire aussi, l’article de Caroline Diard “Harcèlement, de quoi parle-t-on vraiment?” sur Les Échos

Si les mesures de prévention se révèlent inefficaces et qu’une situation de harcèlement survient, l’employeur aura plusieurs solutions :

  • Engager une médiation qui permettra de résoudre le conflit
  • Licencier le salarié au motif qu’il aurait été un harceleur (licenciement pouvant aller jusqu’à la faute grave).

L’employeur qui n’aurait pas répondu aux obligations de sécurité et de protection de son équipe engage lourdement sa responsabilité, tant au plan civil que pénal.

« En effet, un salarié qui se prétend victime de harcèlement pourra engager la responsabilité de son employeur sur le fondement de l’obligation de sécurité et obtenir des dommages et intérêts. Il pourra également fonder une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, ou faire une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes. Si les faits de harcèlement sont reconnus, le licenciement sera jugé comme nul et les indemnités obtenues ne seront pas soumises au plafond des ordonnances Macron du mois de septembre 2017», explique Caroline Diard dans l’article “Harcèlement : pouvoir de l’employeur versus défense du salariés” publié sur le site The Conversation.

Impact sur le collectif de travail

Les contentieux prud’homaux et les sanctions qui en résultent inquiètent très souvent les employeurs. Or, le risque n’est pas nécessairement là où il est clairement identifié et ne se limite pas au plan juridique. En effet, le collectif de travail dans son ensemble risque d’être affecté par la situation de harcèlement qui s’est produite dans l’entreprise.

La motivation et l’implication seront impactées et donc la performance collective. Il est d’usage de donner la définition suivante de la motivation : « le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement ». (Vallerand et Thill, 1993, p.18).

Le comportement des collaborateurs peut s’expliquer par la motivation. Dans la mesure où il incombe à l’encadrement de veiller à ce que les collaborateurs soient impliqués et performants, il est indispensable que tout manager ait des idées aussi exactes que possible sur ce qui motive les individus au travail et sur le lien social qui les lie.

En effet, le lien juridique, lien de subordination est créé de fait par le contrat de travail. Le contrat psychologique est moins évident à identifier. Chaque salarié trouve des sources de motivation différentes au travail. Il serait simpliste de penser que les individus travaillent uniquement pour gagner leur vie. En fonction de la réalisation des promesses par l’employeur, on obtient un degré différent de motivation et de fidélisation.

Le contrat psychologique

La fidélisation des employés sur le long terme passe par la prise en compte des promesses relationnelles du contrat psychologique. Le contrat psychologique est un ensemble de promesses et d’obligations réciproques entre employeurs et salariés [Robinson et Rousseau, 1994]. Il y a violation ou rupture du contrat psychologique lorsque les salariés croient que leurs employeurs ont manqué à leurs obligations [Turnley et Feldman, 1999].

De même, Adams (1965) indique que tout individu au travail observe son environnement afin d’évaluer si le traitement qui lui est réservé est équitable ou non. L’individu effectue le rapport entre les avantages qu’il retire de son emploi et les contributions qu’il effectue pour l’organisation.

Quand le déséquilibre s’installe, la démotivation grandit et les collaborateurs risquent de quitter le terrain. On rencontre alors une augmentation des démissions, de l’absentéisme. Le manager avisé gardera alors un œil sur les indicateurs liés à la gestion des ressources humaines : taux d’accident du travail, durée des arrêts maladie, fin de périodes d’essai, démissions, turn-over.

Actions de gestion possibles du risque de harcèlement au travail

Type d’action Objectifs Illustrations/Commentaires
Action de prévention Réduire la probabilité de survenance des risques de harcèlement au travail. Formation des managers / mise en situation / favoriser la capacité à anticiper ce type de cas voire à les éviter ; favoriser la détection de signaux faibles de cas de harcèlement par l’échange entre managers et équipes.

Mention dans le document unique d’évaluation des risques.

Formation des membres du CSE.

Organisation de groupes de travail.

Réalisation d’une cartographie des périmètres à plus fort risque de harcèlement (environnement de stress, environnement sous-tension en termes d’objectifs, de réorganisation, périmètres avec inadéquation charges-ressources…).

Action de détection Favoriser la capacité de l’organisation à générer des alertes sur des cas de harcèlement ou sur des situations à risque / facteurs de risques. Réalisation d’un arbre des causes et partage de retour d’expérience dans une communauté managériale.

Enquête de moralité pour les postes clés, prise de références, demande d’extrait de casier B3 (honorabilité).

Mise en place de formations sur des cas pratiques afin de favoriser la capacité à repérer des cas possibles de harcèlement

Libérer la parole notamment au moment de l’entretien professionnel obligatoire

Action de coercition Dissuader la survenance de cas de harcèlement en affichant le dispositif de sanction et de contrôle associé. Mise en place d’une cellule investigation.

Audit relative aux alertes et risques identifiés.

Mise en place d’un dispositif d’alerte professionnelle.

Recours à la médiation.

Action de pilotage et suivi S’assurer que le dispositif de prévention/détection/traitement du risque est effectif et efficace.
Informer la gouvernance sur les risques de harcèlement.
Communication régulière en comité d’audit / comité des risques sur les risques liés aux ressources humaines et à la sécurité au travail : suivi des cartographies de risques, des incidents et de leur traitement, suivi des plans d’actions de maîtrise des risques.

Une organisation où survient une situation de harcèlement devrait donc prendre en considération les conséquences organisationnelles et humaines au-delà de la dimension juridique.

Une approche interactive du risque

Cette approche de traitement du risque est nécessairement interactive. Elle doit, pour être efficace et effective, associer l’ensemble des parties prenantes ayant à connaître de telles situations de risques : les ressources humaines, les managers sur les périmètres concernés (l’ensemble des managers voire l’ensemble des collaborateurs dans une logique de prévention), le risk management, la déontologie-conformité, la direction juridique, le Comité social et économique (via la commission santé, sécurité et conditions de travail dans les entreprises de plus de 300 salariés), les intervenants en charge du dispositif santé-sécurité au travail.

Parfois également, un audit de telles situations par une entité indépendante et externe peut aussi permettre d’aborder ce sujet mais sans se substituer au pilotage interne par les acteurs précités. Il s’agit en tout état de cause d’un sujet transverse qui, même s’il se gère par de la confidentialité, s’envisage par une pluralité d’acteurs et d’actions. Les managers doivent se saisir du sujet et se familiariser avec les enjeux afin d’éviter un désengagement généralisé.

Nicolas Dufour

Nicolas Dufour

Docteur en sciences de gestion, professeur des universités associé au CNAM, Nicolas Dufour est également Risk Manager dans le secteur assurance. Ses domaines de spécialisation concernent la mise en œuvre des politiques de maîtrise des risques, la gestion de la fraude, la gestion et l’intégration des normes dans les organisations.

Caroline Diard

Caroline Diard
Docteur en sciences de gestion de l’institut Mines-Télécom Business School, Caroline Diard est professeur associé en management des RH et Droit à l’Ecole de management de Normandie. Elle intervient dans les domaines du droit du travail, politique de rémunération et dialogue social, vidéoprotection et télétravail. Elle a été précédemment DRH dans une société de biotechnologies et consultante.

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