Sécurité sur intervention : la BSPP mise sur les vecteurs télé-opérés
Depuis quelques années, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) s’est engagée dans un processus visant à assurer la lutte contre l’incendie, tout en évitant que les intervenants ne s’engagent dans des environnements jugés trop dangereux. Cette performance est rendue possible par l’emploi des dernières technologies et le développement d’équipements robotiques qui peuvent être regroupés sous le terme de ‘vecteurs télé-opérés’.
La lutte contre l’incendie relève de la compétence exclusive des sapeurs-pompiers. Sur Paris, l’évolution d’un tissu urbain déjà exceptionnellement dense est telle que les pompiers sont confrontés à un environnement toujours plus hostile et toujours plus complexe.
L’histoire récente, tant nationale qu’internationale, attire l’attention sur l’enjeu crucial que sont devenus les parcs de stationnement couverts (a). Il faut cependant garder à l’esprit que sont concernés tous les environnements dans lesquels le sapeur-pompier est susceptible de se trouver. L’emploi de nouveaux matériaux et de nouvelles méthodes dans la construction des bâtiments (1) du mobilier, ou encore des véhicules (2), change la physionomie du développement de l’incendie et la nature des risques induits. Cela quel que soit le lieu d’occurrence du sinistre.
Cet état de fait impose de prendre de nouvelles mesures, ou de réétudier d’anciennes solutions jugées autrefois inadaptées, pour toujours mieux protéger les intervenants… Ou encore améliorer les capacités d’acquisition et de traitement des informations permettant de comprendre une situation d’urgence et, éventuellement, repousser les limites de « l’impossible opérationnel (3)».
De nouveaux outils d’ores et déjà opérationnels
Dans ce cadre, les vecteurs télé-opérés offrent des solutions tout à fait pertinentes. La BSPP a participé au développement d’un robot d’extinction à distance permettant de procéder à des reconnaissances ou à une extinction où le danger est devenu tel que les sapeurs-pompiers ne peuvent raisonnablement pas s’engager sans une prise de risques significative. Cet outil donne entière satisfaction (b). L’acquisition d’autres exemplaires permettrait ainsi de développer de nouvelles tactiques d’intervention, plus efficaces, augmentant à la fois le niveau de protection du sapeur-pompier et son efficacité.
La BSPP expérimente actuellement un ballon captif permettant d’avoir une vision d’ensemble et de mieux comprendre le développement de situations complexes et de grande ampleur. Cette solution augmente la capacité des intervenants à anticiper les risques éventuels en mettant, en temps réel, des images de la zone d’intervention à la disposition du commandement. Tant tactique qu’opératif.
Auparavant, le commandant des opérations de secours pouvait disposer d’un point haut ponctuel à une hauteur maximale de 30 mètres à l’aide d’un moyen élévateur aérien. Grâce au ballon captif encore en expérimentation, le COS dispose désormais d’un point de vue permanent s’élevant jusqu’à 150 mètres. Il permet ainsi d’améliorer la pertinence du découpage de l’intervention en différentes zones, d’anticiper l’évolution du sinistre et d’apporter des éléments capitaux pour déterminer les axes d’effort.
L’avenir : diversification et coopération
Des études complémentaires, et des axes de réflexion, permettront d’améliorer encore nos capacités dans ces domaines. Ces travaux peuvent être divisés en deux grands thèmes. L’intervention à distance d’une part, et la gestion des intervenants de l’autre. Dans ces deux domaines, les vecteurs étudiés sont télé-opérés. En ce sens qu’ils permettent d’intervenir et d’obtenir des informations en opérant à distance ou encore de véhiculer des informations vers l’avant.
- L’intervention à distance. La BSPP est actuellement impliquée, en tant qu’utilisateur final, dans un projet de recherche appliquée financé par un fonds unique interministériel (FUI) et dénommé COOPOL (4). Les résultats de ce projet pourraient donner aux secours la capacité, grâce à des drones, de reconnaître la zone d’un sinistre – et notamment de reconstituer un bâtiment en 3D – ou encore de détecter le plus rapidement possible la présence de victimes et leur localisation. Conçu pour évoluer dans un environnement complexe tout en assurant la continuité des opérations, le système développé a donc pour ambition d’appuyer l’action des secours et de compléter l’action du sapeur-pompier en limitant son engagement en zone dangereuse au strict nécessaire.
- La gestion des intervenants. Les réflexions menées s’orientent notamment vers la géolocalisation indoor des intervenants. Un système adapté à un emploi au sein d’une unité de sapeurs-pompiers – c’est-à-dire adapté en fiabilité et en rusticité – permettrait d’augmenter substantiellement la sécurité des intervenants. En effet, en cas de survenue d’un événement particulier (explosion ou effondrement, par exemple), un tel système permettrait de savoir d’emblée si des équipes se trouvent en difficulté. De plus, en cas de danger imminent, l’ordre d’évacuation pourrait être adressé en priorité aux équipes les plus exposées. Dans le domaine de la gestion des intervenants, une technologie du type « vêtement connecté » pourrait permettre de surveiller, à distance, l’état physiologique des intervenants et ainsi d’utiliser des données objectives pour évaluer leur capacité à poursuivre leur engagement.
Des vecteurs télé-opérés encore limités…
L’ensemble de ces réflexions est étroitement lié à celles menées dans le domaine de la communication. En effet, la capacité à transmettre des données, quelle que soit la complexité de l’environnement, est un enjeu crucial. Dès lors qu’il s’agit d’intervenir en infrastructure, les secours sont confrontés, depuis longtemps, à des difficultés pour transmettre les ordres et les comptes rendus, garants non seulement du bon déroulement de l’opération mais aussi de la sécurité des intervenants. Ces difficultés ont tendance à s’aggraver aujourd’hui avec l’enfoncement des ouvrages en grande profondeur. Tant que ce verrou technologique ne sera pas levé de façon satisfaisante, l’engagement des vecteurs télé-opérés sera limité.
À effectif en personnel constant, et dans un environnement déjà complexe, il est aisé d’opposer que ces vecteurs télé-opérés constituent un élément supplémentaire à gérer pour le commandant des opérations de secours. Il est cependant indispensable de développer ces vecteurs pas à pas, d’évaluer leur plus-value opérationnelle et enfin de déterminer leur engagement tactique le plus pertinent.
L’intelligence artificielle bientôt au service des vecteurs télé-opérés ?
À l’avenir, ces vecteurs déployés sur les lieux d’une intervention pourraient fort bien coopérer grâce à une intelligence artificielle capable d’analyser en temps réel les données recueillies, tant environnementales (5) que liées aux intervenants (6), en les mettant en perspective avec l’ensemble des données recueillies sur des interventions antérieures.
Ces nouveaux outils prendront alors tout leur sens et seront en mesure d’alerter le commandant des opérations de secours sur des éléments clés qui lui échappent aujourd’hui nécessairement. Ils pourraient surtout proposer des éléments complémentaires d’aide à la prise de décisions pour optimiser l’action des secours, améliorer la sécurité du personnel et réduire le champ des impossibles opérationnels.
Enfin, avec le développement de la connectivité des systèmes, ces nouveaux outils seront aussi les têtes de pont de l’interopérabilité avec les autres acteurs publics de la sécurité ou des secours engagés sur intervention (partage des données, complétude de la perception tactique…).
Des vecteurs télé-opérés comme “appui aux sapeurs-pompiers”
Le lieutenant-colonel (TA) Florent Gauthier, chef du bureau études et prospective de la BSPP, donne des précisions sur l’esprit qui sous-tend ces avancées.
Les vecteurs télé-opérés remplaceront-ils l’homme ?
Florent Gauthier : C’est une crainte régulièrement exprimée. Ces vecteurs aident l’homme dans son action mais ils ne s’y substituent pas. Il s’agit par exemple d’intervenir au plus tôt dans un environnement jugé trop hostile pour l’homme. Le sapeur-pompier devra intervenir dans un second temps pour achever le travail, une fois l’environnement maîtrisé. Ces vecteurs sont un appui de l’action des sapeurs-pompiers.
Ces vecteurs sont-ils autonomes ?
F.G. : Au stade où en sont nos études, non. Il faut du personnel pour les déployer, voire pour les piloter. En fonction du vecteur, il faut également être en mesure d’exploiter les données acquises. En revanche, nous participons à plusieurs projets de recherche où nous étudions comment leur conférer une autonomie plus ou moins grande, tant dans leur déplacement que dans l’exploitation des données acquises, tout en partant du principe que l’homme restera un élément central du système.
(a) Cf. article « Améliorer l’intervention dans les parkings souterrains », Face au Risque numéro 538.
(b) Cf. article « Des outils pour les sapeurs-pompiers », Face au Risque numéro 538.
(1) Les vitres, par exemple, ont évolué dans les bâtiments d’habitation de telle façon qu’elles cèdent beaucoup plus tardivement. Alors qu’un phénomène thermique du type ‘flashover’ se produisait généralement avant l’arrivée des secours, sa survenue en présence des secours devient de plus en plus probable.
(2) L’évolution la plus remarquable dans la construction des véhicules automobiles concerne la diversification des sources d’énergie : GNV, GPL, électricité, hydrogène, autant de sources avec, en cas d’incendie ou d’accident de la circulation, des risques auxquels les secours doivent savoir faire face.
(3) Colonel (e.r.) J.-F. Schmauch, Institut Européen de Cindynique, lettre n°42, mars 2006.
(4) Capacité d’appui aux Opérations de secOurs et de POLice. http://coopol.eurecom.fr/
(5) Températures des différents locaux, météo, structure du bâtiment, développement du sinistre, conditions aérauliques, etc.
(6) Données physiologiques, air consommé, eau projetée, etc.
Florent Gauthier
Lieutenant-colonel (TA) Florent Gauthier est chef du bureau études & prospective de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, en charge de la préparation de l’avenir auprès du Commandement. Officier de l’armée de Terre issu de l’école Spéciale Militaire de Saint-Cyr, breveté de l’École de Guerre, 22 ans de service, il est affecté à la BSPP depuis août 2014.
Thomas Sousselier
Ingénieur des études et techniques de l’armement (TA) Thomas Sousselier est chef de la section études technico-opérationnelles. Officier de la Direction Générale de l’Armement issu de l’École Nationale Supérieure de Techniques Avancées Bretagne, il a 11 ans de service et est affecté à la BSPP depuis août 2017.
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