Peut-on exiger la présentation d’une pièce d’identité pour accéder à une entreprise ?
La question est épineuse. D’autant que la réponse peut varier selon que l’on se place du côté de celui qui veut entrer ou de celui qui reçoit. Est-il normal de laisser entrer n’importe qui sur son site ? Mais peut-on sous prétexte de l’entrée sur un site exiger un document officiel d’identité et manier en toute impunité des données personnelles sensibles ?
Sur un site privé, le propriétaire ou l’exploitant n’est pas contraint de laisser entrer n’importe qui, notamment pour des questions de sécurité. On peut comprendre qu’il s’interroge sur les raisons pour lesquelles la personne qu’il a en face de lui sollicite l’accès à ses bâtiments ainsi que sur l’identité de celle-ci, notamment au moyen de la présentation d’une pièce d’identité.
Bien qu’il n’existe aucun texte réglementaire spécifique encadrant cette pratique, on peut rappeler certains principes.
Les pièces d’identité (carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire…) constituent à la fois des documents administratifs contenant des données à caractère personnel et des biens personnels.
La soustraction d’une pièce d’identité à son titulaire sans le consentement de celui-ci constitue un vol réprimé par l’article 311-3 du code pénal.
Justifier de sa qualité
D’un autre côté, le fait de contrôler et de limiter l’accès à un site pour des considérations de sûreté (en particulier dans un contexte où il existe de graves menaces pour la sécurité des personnes) apparaît comme un objectif légitime. Une circulaire n° 86-343 du 24 novembre 1986 apporte une précision sur ce cas. Son paragraphe 5.2.2 relatif au contrôle d’accès prévoit que « les personnels régis par la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 [règlementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds, abrogée depuis et codifiée dans le code de la sécurité intérieure] peuvent se voir confier, à l’occasion de leurs missions de surveillance, gardiennage, transport de fonds ou protection des personnes, le contrôle des accès des propriétés dont ils ont la garde ou des locaux dans lesquels se trouvent les personnes dont ils assurent la protection.
Dans cette hypothèse, il leur est possible, dans le cadre des consignes de sécurité qui leur sont données par leur employeur ou le client, de demander aux personnes de justifier de leur qualité à pénétrer dans les lieux et d’en interdire l’accès à quiconque ne justifierait pas de sa qualité. »
Ce texte évoque la justification de sa qualité et non de son identité. Il peut alors s’agir d’une carte professionnelle. De plus, il s’agit seulement d’une circulaire sans valeur juridique contraignante.
Proportionnalité entre les objectifs et les libertés individuelles
En l’absence de texte précis, il convient au cas par cas de vérifier la proportionnalité entre les objectifs poursuivis par la mesure de demande de pièce d’identité et les atteintes qu’elle porte aux droits et libertés individuels.
La prévention de la malveillance semble pouvoir être considérée comme un but valable pour mettre en place une mesure de présentation de pièce d’identité. Le refus du titulaire de s’y soumettre peut ainsi justifier le refus d’accès au site. Cette hypothèse a déjà été évoquée par la jurisprudence notamment dans un jugement du tribunal administratif de Lyon.
À la suite d’attentats terroristes, une cité administrative avait subordonné l’accès du public au bâtiment à la présentation d’une pièce d’identité. Le tribunal juge que dès lors que cette mesure ne s’est pas accompagnée d’une vérification de la réalité de l’identité ou de la validité du titre présenté, elle n’a pas constitué un contrôle d’identité au sens de l’article 78-2 du code de procédure pénale, réservé aux seules autorités habilitées (TA Lyon, 22 novembre 1990, Cetatext000008280422).
Conserver la pièce d’identité
S’agissant de la conservation de la pièce d’identité jusqu’au départ de la personne du site, cette pratique, souvent mise en place dans le but de prendre acte du départ du visiteur et récupérer l’éventuel badge qui lui a été remis, paraît plus discutable dans la mesure où la présentation de la pièce d’identité suffit déjà à justifier de sa qualité à entrer dans les lieux.
Dans ces conditions, si une personne est d’accord pour présenter sa carte d’identité mais pas pour la déposer temporairement entre les mains de l’exploitant, il est discutable de lui refuser l’accès aux bâtiments. Quant à la copie de la pièce d’identité, qui contient des données personnelles, cette mesure apparaît clairement disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi et ne doit pas être mise en place.
Dans tous les cas, il est conseillé de porter clairement l’existence de ce type de formalité à la connaissance des visiteurs par voie d’affichage et de l’inscrire dans le règlement intérieur ou dans une note de service.
Rappelons enfin qu’en France, et ceci depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la possession d’un titre d’identité n’est pas obligatoire, y compris sur la voie publique.
Morgane Darmon
Consultante experte au service Assistance réglementaire de CNPP Conseil & Formation
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