Le fait religieux, une réalité dans l’entreprise

5 octobre 20187 min

Si le fait religieux se banalise en entreprise, il ne gêne pas, dans 90 % des cas, la réalisation du travail. Il est même moins conflictuel que les conditions de travail ou la politique. C’est le résultat de la 6e édition de l’étude sur le fait religieux en entreprise.

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La sixième édition de l’étude sur le fait religieux en entreprise, publiée le 26 septembre 2018 et menée par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre) et l’Institut Randstad, confirme la tendance initiée en 2016 : l’expression de l’appartenance religieuse se banalise sur le lieu de travail. L’enquête, réalisée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de cadres et de managers, entre mars et juin 2018, a permis de recueillir 1 453 questionnaires, dont 1 111 ont été pris en compte.

Deux employés sur trois (65%) déclarent observer des faits religieux dans le cadre professionnel. Une proportion qui reste inchangée pour la troisième année consécutive. « Le fait religieux est arrivé à maturité et s’affirme comme une réalité de l’entreprise », commente l’étude.

Dans le détail, en 2018, 29, 5 % des répondants ont observé régulièrement des situations marquées par la religion dans le cadre professionnel. 35, 5 % ont observé ces situations occasionnellement, 35 % rarement. Il est à noter que pour la première fois depuis 2013, la part des personnes qui observent régulièrement le fait religieux en entreprise diminue (34 % en 2017).

La croyance s’exprime dans les mêmes proportions que les convictions politiques ou philosophiques.

Typologie du fait religieux en entreprise

L’étude distingue deux catégories de manifestation de l’appartenance religieuse en entreprise :

  • les faits personnels, à savoir des salariés qui expriment leur religion sans perturber la bonne marche de l’entreprise (port de signes religieux, demandes d’absence, aménagement du temps de travail, prières pendant les pauses…)
  • les faits transgressifs, qui perturbent ou remettent en cause le fonctionnement de l’organisation (refus de travailler avec une personne du sexe opposée ou sous ses ordres, refus de réaliser certaines tâches, prosélytisme, prières pendant le temps de travail…)

Le port de signes religieux visibles sur le lieu de travail n’est plus la manifestation la plus courante (19,5%) puisque les demandes d’absences pour fêtes religieuses arrivent en tête (21%). Viennent ensuite les demandes d’aménagement du temps de travail (15%) et la pratique de la prière pendant les pauses (10,5%).

L’étude montre que la forme la plus courante du fait religieux en entreprise est celle du comportement personnel, sans incidence sur l’organisation. Ainsi, plus de 90 % des situations marquées par le fait religieux au travail ne génère ni conflit ni blocage, d’après les répondants. La part des cas conflictuels est de 9,5 %, contre 7,5 % en 2017.

Il ressort de l’étude que le fait religieux est moins conflictuel en entreprise que d’autres sujets, comme le travail lui-même et ses conditions, qui est le plus fréquemment générateur de conflits et de blocages, ou encore la politique.

« Nos résultats laissent apparaître deux réalités du fait religieux au travail. Dans la grande majorité des cas il est peu perturbateur et les interactions entre collègues et avec le management qu’il suscite sont apaisées. Dans une minorité d’entreprises il reste problématique et confronte tant les managers que les salariés qui expriment leur foi à des tensions et des conflits. Derrière les faits religieux se cachent des réalités diverses et complexes. Des actes et des comportements similaires ont, d’une personne à l’autre, des motivations différentes et provoquent, d’une entreprise à l’autre des réactions variées. »

Lionel Honoré, Professeur des Universités et directeur de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre).

Le rôle du manager

Si le management n’est pas plus sollicité pour des questions religieuses que pour d’autres sujets (politique, vie personnelle…), plus d’un manager sur quatre considère que le fait religieux rend son rôle plus délicat. La moitié des répondants estime par exemple qu’il est plus simple de faire une remarque aux salariés qui fument qu’à ceux qui prient.

Depuis la Loi Travail de 2016, rappelle l’étude, l’entreprise a la possibilité d’inscrire dans son règlement intérieur des dispositions encadrant et limitant l’expression de la religiosité des salariés au travail. Si près des deux tiers des managers connaissent les règles applicables en matière de fait religieux et plus de deux sur trois connaissent la ligne directrice de leur entreprise sur le sujet, moins d’une entreprise sur trois a rédigé des dispositions dans son règlement intérieur.

Ce sont les entreprises confrontées à la densité religieuse la plus faible qui s’appuient le plus sur le règlement intérieur. Celles qui connaissent une densité religieuse forte favorisent les réunions d’équipes et privilégient la discussion et la gestion au cas par cas plutôt que la règle.

D’après l’étude, les managers semblent par ailleurs souffrir de l’absence de soutien de leur hiérarchie ou des services fonctionnels de l’entreprise (RH, juridique…) pour gérer les situations difficiles.

Religion en entreprise : dix règles d’or

Nous nous sommes entretenus avec Denis Maillard, spécialiste des mutations dans le monde du travail et auteur du livre Quand la religion s’invite dans l’entreprise. Il conseille de suivre les dix règles suivantes pour faire face à la problématique du fait religieux dans l’entreprise :

  • N’ayez pas peur. Ce n’est pas parce que l’on est face à des problématiques liées à l’intimité qu’il faut les traiter différemment. Il faut au contraire les ramener à des situations de travail comme les autres afin de se trouver dans un cadre commun.
  • Pas de dénis. Toujours discuter directement avec le salarié, sans jugement.
  • Installer des capteurs. S’appuyer sur les managers de proximité et sur les représentants du personnel pour qu’ils remontent informations et signaux faibles liés à ces sujets.
  • Ne pas laisser s’installer « le premium du barbu ». C’est l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler qui appelle « le premium du barbu » la personne rigoriste qui, dans un atelier, un bureau, une équipe, va montrer la voie de l’austérité religieuse. Petit à petit, son prosélytisme va peser sur les autres et elle va imposer des règles religieuses qui ne sont pas celles de l’entreprise.

  • Pas de théologie. Il faut opposer aux raisons religieuses un cadre de travail car l’objet de l’entreprise est bien l’organisation commune du travail en vue d’une production.
  • Ne pas être trop savant. Ne pas surenchérir en cherchant une solution religieuse. Rester dans un cadre professionnel.

  • Pas d’accommodement raisonnable. Tenter d’accommoder tout le monde a les attraits du bon sens mais risque de céder aux demandes d’ordre religieux. Souvent le droit des femmes s’en trouve empiété. Par exemple, un employeur se trouvant devant le cas d’hommes refusant de serrer la main aux femmes pourrait être tenté d’inscrire dans le règlement intérieur que plus personne ne serre de mains. Il envoie alors un message de déni d’humanité.
  • Privilégier le commun. Ne rien accorder en matière religieuse qui ne soit extensible à tout le monde.
  • Favoriser « la dispute professionnelle ». C’est le psychologue Yves Clot qui a développé cette notion visant à rompre l’isolement des individus. Il s’agit ici, en favorisant la discussion, de tenir compte de la répercussion sur le travail des autres dans la solution à trouver lors d’une demande spécifique en matière de religion (par exemple surcroît de travail pour certains lors d’aménagement d’horaires accordé à d’autres pour raisons religieuses).
  • Amender le règlement intérieur. Comme indiqué dans le code du travail, le règlement intérieur doit être lié à l’activité de l’entreprise et être proportionné au but recherché. Il est à amender après une réflexion avec les représentants des salariés et non de façon unilatérale par la direction.
En savoir plus

Gaëlle Carcaly – Journaliste

Martine Porez – Journaliste

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