Les bonnes techniques de l’opérateur en vidéosurveillance
Méthode de balayage visuel, stratégies de repérage des situations à risque, décryptage des gestes, outils et pratiques permettent d’améliorer les conditions de travail et l’efficacité des opérateurs en vidéosurveillance.
Entre 2012 et 2013, 110 opérateurs en vidéoprotection de la ville de Marseille, formés à leur métier par CNPP, ont suivi le temps d’une journée, un module reprenant des outils issus de la psychomotricité. Aurélie Pain, psychomotricienne et formatrice RH et risques professionnels, leur a donné les clés de lecture pour structurer leur observation, maintenir leur vigilance, décoder plus facilement les scènes observées et diminuer la fatigue visuelle. Elle revient sur les leçons à tirer de cette expérience.
Face au Risque. Vous avez formé les policiers chargés de la vidéosurveillance de la ville de Marseille. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Aurélie Pain. À Marseille, la vidéoprotection est confiée au Centre de supervision urbaine (CSU) qui regroupe une quarantaine d’agents municipaux en charge de scruter, 24 h/24 et 7 j/7, les images de 1 800 caméras disséminées dans la ville. Les agents sont chargés de visionner et d’exploiter les informations des caméras (vandalisme, vol, agression, dégradation, mauvais stationnement, recherche de suspect…) et d’informer leurs collègues présents sur la voie publique afin que ces derniers interviennent au plus vite.
Pour structurer leur observation visuelle et améliorer le repérage des situations à risques, ils ont suivi une formation d’une journée reprenant des outils issus de la psychomotricité. La formation a consisté à renforcer leur stratégie de l’exploration visuelle avec notamment la recherche de détails sur fond confus ou encore à améliorer le décodage des communications non verbales. 110 agents ont ainsi été formés entre 2013 et 2014.
Qu’avez-vous observé concernant les stratégies de regard ?
A. P. Les opérateurs sont amenés à scruter 10 heures par jour les caméras de la ville et sollicitent continuellement leur vue. On repère deux types d’actions visuelles : des actions de détection et d’identification, comme la recherche de suspects, le suivi de foules ou de trafic routier…, et des actions de visionnage pseudo-aléatoire dit « maraude », c’est-à-dire le visionnage à partir de plans élargis de quartiers sensibles par exemple.
Lors des exercices, environ 15 % des agents ont fait preuve d’une stratégie de regard insuffisante, le plus souvent trop rapide et saccadée. Ils présentent un balayage peu efficace et anarchique, des saccades oculaires horizontales intempestives avec un regard qui ne se pose pas au bon endroit, des détails sautés, une perte de repère dans l’exploration visuelle.
Par ailleurs, les agents en difficulté bougent souvent la tête au lieu des yeux, ce qui réduit la vitesse de balayage visuel. Il est important de rappeler que la vitesse maximale de rotation de la tête ne dépasse pas les 90° par seconde alors que la vitesse oculaire dépasse les 280° par seconde.
Toutes ces mauvaises pratiques ont pour effet de réduire l’aisance des agents dans la pratique de leur métier mais aussi d’accroître leur fatigabilité, générant de l’agacement, des baisses de motivation et de vigilance.
Comment construire une stratégie visuelle efficace ?
A. P. La recherche de détails sur fond confus via des supports de type « Où est Charlie ? » et le travail sur des labyrinthes complexes permettent d’apprendre une méthode de balayage visuel, de renforcer la rapidité visuelle et d’assimiler des stratégies de repérage. Il faut essentiellement avoir des stratégies qui ne soient pas dans le « picorage » de l’image, avoir un balayage visuel global. L’utilisation de « cache » pour réduire la zone de recherche et les éléments incitant le regard à dévier permet d’apprendre à maintenir son attention sur une cible.
Quels conseils pouvez-vous donner aux agents pour réduire la fatigue visuelle ?
A. P. Pour réduire la fatigabilité, il faut faire des pauses visuelles en regardant aussi loin que possible. À moins de 3 m, les yeux convergent, nous devons recentrer le regard, c’est ce qui fatigue. Lors de ses pauses, l’opérateur doit penser à regarder au loin pour reposer son regard. Il doit aussi éviter de zoomer et dézoomer en permanence, et penser à changer de posture, à se lever, à bouger régulièrement, ce qui implique que tous les objets ou matériels dont il a besoin ne soient pas à proximité immédiate.
La posture « allongée » sur le siège basculé qui, à la longue, fait mal au dos est à éviter. Il faut mettre du mouvement sur ces postes sédentaires. Un autre conseil serait de ne pas cumuler, dans la mesure du possible, une journée de travail puis un moment de détente sur écran, à la maison, dans le noir. Regarder un écran dans le noir fatigue les yeux. Enfin, il faut penser à contrôler sa vue. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les opérateurs ne le font pas forcément.
Pendant la formation, les agents ont visionné des scènes de violence, d’agressivité ou de simples altercations pour décoder les communications non-verbales (CNV). Qu’avez-vous constaté ?
A. P. Décrypter les images muettes permet un repérage des situations à risque et un gain de temps nécessaire pour une intervention efficace. Or, interpréter les communications non verbales peut être problématique pour les agents. Certains agents ont montré des difficultés dans le décodage des CNV, gênés par leurs émotions au cours du visionnage des scènes de violence montrées en formation.
Il faut se rappeler que ces agents sont issus du terrain et qu’ils ont, pour la plupart, choisi le métier de policier pour s’inscrire dans l’action. Mais le poste d’opérateur en vidéoprotection les contraint à une position « en retrait », les rendant en quelque sorte observateurs passifs. Cette impossibilité à agir, cette frustration se traduit bien souvent par du stress, qui interfère avec la capacité à prendre du recul et à décoder objectivement les scènes.
Plusieurs agents font également un mauvais choix de cadrage des caméras ou ont une mauvaise interprétation des gestes ou de la distance entre les personnes observées, ce qu’on appelle la proxémie.
Quelles recommandations peuvent-ils suivre pour mieux décoder les CNV ?
A. P. Il faut apprendre à comprendre la scène qui est observée et réduire les interprétations qui sont différentes en fonction des individus. Pour cela, il faut :
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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