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État de stress post-traumatique : un risque majeur pour le salarié qui y est confronté
Au sein du spectre des troubles psychosociaux, l’état de stress post-traumatique représente un risque majeur pour le salarié qui peut y être confronté dans sa vie personnelle ou professionnelle.
Nous avons interrogé deux spécialistes de la question, Sabrina Lomel (psychologue) et Cédric Girault (juriste), afin de nous éclairer sur les particularités de son apparition ainsi que sa gestion dans le cadre professionnel.
Face au Risque. Qu’est-ce que l’état de stress post-traumatique ?
Sabrina Lomel. L’ESPT correspond à cette période de l’après-coup qui est, pour imager, un temps de cicatrisation. Cet état, qui survient après une période de latence plus ou moins longue, dure environ un mois. Le trauma confronte l’individu à un événement qui ébranle son système de valeur, il ne peut pas lui donner du sens. C’est précisément ce qui crée ce sentiment d’horreur difficile à décrire pour la victime.
Or « cicatriser » c’est réécrire son histoire, transformer cette réalité traumatique en souvenirs douloureux. Cette transformation permet au sujet de sortir de la sidération pour pouvoir partager son expérience, raconter l’histoire. Pour ce faire, il passe par différents symptômes : les ruminations (du genre « et si je n’avais pas pris ma voiture ce matin »…), les flashs-backs que sont les
scènes de l’événement, qui reviennent en boucle avec parfois beaucoup de réalisme, les cauchemars, les difficultés à s’endormir, les états d’alerte où le rythme cardiaque s’accélère sous l’effet d’un pressentiment comme si « ça allait recommencer ».
Enfin il y a les comportements d’évitement phobique, c’est-à-dire l’impossibilité pour le sujet de revenir sur les lieux et/ou d’éviter tout ce qui, de près ou de loin, lui rappelle le traumatisme. Avec le temps, ces symptômes tendent à s’espacer et à réduire en intensité, pour finir par laisser la victime ranger ce film terrible dans sa vidéothèque de souvenirs et retourner à sa vie.
Toutefois, cet ESPT peut se chroniciser. Les symptômes utiles normalement pour cicatriser sont inefficaces et ils perdurent, se renforcent. On parle alors d’ESPT chronique ou de névrose traumatique.
Les ESPT repérés dans le cadre du travail présentent-ils des spécificités par rapport aux ESPT « traditionnels » (guerre, accident…) ?
S. L. Non, les symptômes sont les mêmes. Le caractère traumatique d’un événement n’a rien à voir avec le théâtre dans lequel il se joue. L’environnement ne peut minorer ou majorer un impact traumatique.
En revanche, la prise en charge par le travail est spécifique. On ne va pas au travail pour s’abîmer, risquer sa vie. Lorsque ça arrive, les sentiments d’injustice, de préjudice sont importants. Pour qu’ils ne participent pas à aggraver la situation, il faut très vite que l’entreprise se positionne et reconnaisse le statut de victime du sujet sans équivoque, en assumant sa responsabilité et en proposant un dispositif d’aide sur le long terme.
Cédric Girault. Il existe une forme particulière d’ESPT qui est propre au travail. Ses racines ne se situent pas dans un événement traumatique isolé, mais dans une suite d’événements menaçant l’intégrité psychique. Typiquement, un salarié victime de comportements humiliants de façon répétée sur son lieu de travail peut très bien déclencher un ESPT.
D’ailleurs l’ESPT est, avec la dépression et le trouble anxieux généralisé, l’un des seuls troubles psychiques à pouvoir être reconnu en maladie professionnelle par les caisses de Sécurité sociale, entraînant des conséquences potentiellement lourdes juridiquement pour une entreprise qui n’aura ainsi pas respecté son obligation de résultat en matière de santé au travail.
Que faire lorsqu’un événement traumatique survient sur le lieu de travail ?
C. G. Il me semble que l’entreprise doit tout d’abord s’inscrire dans une démarche de prévention, en intégrant cette question dans la démarche plus large de prévention des risques. Par exemple, nous savons aujourd’hui que les techniques de « defusing »1, lorsqu’elles sont réalisées par des personnes formées, participent à fortement réduire le risque d’apparition d’un ESPT. Il paraît dès lors judicieux de former les SST à ces techniques et de prévoir en amont un plan d’actions où tous les acteurs savent ce qu’ils ont à faire en cas d’événement sur le lieu du travail.
L’idée globale, c’est d’anticiper en créant une cellule de crise qui sera capable de gérer l’événement, depuis la prise en charge immédiate et à long terme des victimes directes et indirectes, jusqu’aux annonces à faire aux collègues, aux familles, à la presse, etc. Cette cellule de crise peut, par exemple, regrouper : l’employeur, le médecin du travail, le secrétaire du CHSCT, l’IPRP (psychologue, infirmière du travail…), une ou deux personnes de l’entreprise non impliquée dans l’événement (chef d’atelier, responsable de service, collègue…) et éventuellement une personne ressource extérieure.
S. L. À plus long terme, l’entreprise doit également être en mesure de proposer l’accès à des soins psychiques aux témoins potentiellement traumatisés. Il ne faut pas oublier qu’il existe souvent une période de latence pendant laquelle la personne est persuadée qu’elle va bien. Parfois, il faut plusieurs mois pour que la névrose traumatique se déclare réellement. Il faut donc rester vigilant sur la durée.
Et lorsqu’un collaborateur présente un ESPT chronique, comment l’entreprise doit-elle agir ?
S. L. Tout dépend si l’événement traumatisant a eu lieu dans l’entreprise ou à l’extérieur. En effet, si le collaborateur a été exposé dans l’entreprise, il faut anticiper les difficultés qu’il aura à reprendre son travail dans le lieu, ou sur la même machine du fait de l’évitement phobique. Dans ce genre de situations, il faudra très souvent passer par un reclassement sur un autre poste. Et cette question devra être travaillée avec le salarié afin qu’il ne le vive pas comme une double peine.
Si en revanche, l’origine du trauma est extérieure à l’entreprise alors, dans la plupart des cas, la reprise du travail est possible à terme. Mais il faut veiller à ne pas précipiter les choses et à conserver une certaine vigilance envers le collaborateur.
C. G. Dans tous les cas, pendant l’arrêt de travail, il est nécessaire d’agir. En effet, les arrêts de travail faisant suite à un ESPT sont souvent de longue durée et il est important de maintenir une forme de lien avec le collaborateur tout en respectant le temps du soin. Le temps de l’arrêt c’est également le temps pendant lequel on prépare la reprise du travail et pour cela l’entreprise peut, par exemple, envoyer un courrier à son salarié pour l’informer de l’existence et les modalités de la visite de pré-reprise avec le médecin du travail.
Il est également souhaitable d’organiser un entretien de « réaccueil » pour rassurer le salarié, et d’impliquer les collègues directs du salarié afin de lever les peurs et les appréhensions naturelles face à la souffrance psychique. Une fois la reprise effective, des mesures peuvent aider telles qu’un suivi médical renforcé par le médecin du travail, une attention particulière en termes de bienveillance managériale et, peut être même, des aménagements temporaires (télétravail, horaires aménagés…).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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