L’employeur peut-il utiliser les informations d’un réseau social d’un salarié ?
Les faits
Une employée d’un établissement de restauration, victime de harcèlement moral de la part de son employeur, a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Celui-ci est condamné par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à lui payer des dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée pour avoir fourni des informations extraites du réseau social Facebook de la salariée obtenues depuis le téléphone portable professionnel d’un autre salarié. Ces informations étaient réservées aux personnes autorisées et l’employeur ne pouvait y accéder sans porter atteinte à la vie privée de son employée.
Contestant cette condamnation, l’employeur se pourvoit en cassation, avançant que « les informations recueillies par [lui] au moyen d’un téléphone mis à la disposition d’un salarié pour les besoins de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel, en sorte qu’elles constituent un mode de preuve licite (…) ».
La Cour de cassation (Cass n° 16-19.609 du 20 décembre 2017) rejette le pourvoi considérant que l’employeur ne pouvait accéder à ces informations sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée, peu important que ces informations soient ou non identifiées comme personnelles.
L’analyse
Laurence Tardivel, avocat associé, spécialiste du droit social, et Marie Basilien, avocat, toutes deux du cabinet Cornet Vincent Ségurel, nous apportent un éclairage sur cet arrêt.
Face au Risque. Un employeur peut-il accéder aux communications électroniques de ses salariés, qu’elles soient professionnelles ou privées ?
Laurence Tardivel. Toute communication (courriel, SMS) émise ou reçue par un salarié sur un outil mis à disposition de son employeur est présumée professionnelle, sauf si le salarié l’a expressément identifiée comme « personnelle ». L’employeur est libre de consulter les communications présumées professionnelles de son salarié.
Marie Basilien. Une communication est identifiée comme personnelle si le salarié a clairement indiqué la mention « personnel », « perso » ou « confidentiel », ce qui n’est pas le cas de l’intitulé « Mes documents » ou des initiales du salarié. Le salarié a droit au respect de sa vie privée et ses communications « personnelles » sont protégées par le secret des correspondances privées, et ce même si le salarié utilise un outil mis à disposition à titre professionnel. Cela concerne également la messagerie personnelle utilisée sur l’ordinateur ou le téléphone professionnel. L’employeur ne peut pas consulter les communications « personnelles » du salarié, sauf à en demander préalablement l’autorisation auprès d’un juge. Le juge n’autorisera cet accès que si l’employeur démontre qu’il dispose d’un motif légitime et que cela est nécessaire à la protection des intérêts de l’entreprise.
Et peut-il accéder aux informations personnelles d’un salarié via un téléphone professionnel ?
Marie Basilien. Contrairement aux communications « personnelles », les fichiers identifiés comme « personnels » présents sur un téléphone ou un ordinateur professionnel peuvent être consultés par l’employeur sans autorisation préalable du juge. Pour ce faire, le salarié doit être présent ou avoir été dûment appelé.
Un téléphone professionnel peut-il être utilisé pour des communications personnelles ?
Laurence Tardivel. Un usage personnel du téléphone professionnel est généralement toléré, sous réserve que cet usage soit raisonnable et non préjudiciable à l’entreprise. L’employeur est donc en droit de contrôler le caractère non abusif de cette utilisation personnelle à l’appui, par exemple, du relevé téléphonique détaillé.
Qu’est-ce qu’une atteinte disproportionnée et déloyale ? Si l’atteinte n’avait pas été disproportionnée, la Cour aurait-elle statué autrement ?
Laurence Tardivel. L’employeur ne peut pas s’immiscer dans la vie privée du salarié à n’importe quel titre. Le droit au respect de la vie privée du salarié ne peut subir de restrictions que si celles-ci sont nécessaires et proportionnées au but poursuivi. Par exemple, pour des questions de sécurité. Si tel avait été le cas, oui, la Cour aurait pu statuer différemment.
Les informations publiées sur un réseau social sont-elles privées ou publiques ?
Marie Basilien. Le caractère privé ou public d’une publication sur un réseau social dépend des paramètres de confidentialité mis en place par le salarié. D’où l’importance d’être attentif à ces paramètres avant de diffuser une information ou de s’en servir à titre de preuve. À noter toutefois un arrêt rendu par la cour d’appel de Toulouse le 2 février 2018, retenant que les propos tenus par une salariée sur son compte Facebook, affichés sur l’écran de l’ordinateur de l’entreprise et visibles de toutes les personnes présentes, perdent leur caractère privé. L’employeur pouvait donc les utiliser comme preuve pour fonder le licenciement pour faute grave de la salariée.
Quelle est la nouveauté de cet arrêt ?
Laurence Tardivel. C’est la première fois que la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur le caractère privé ou public de Facebook, ce qui permet de fixer une règle en la matière. Jusqu’à cet arrêt, seules les juridictions du fond s’étaient prononcées. Les solutions pouvaient donc différer d’une juridiction à une autre pour des faits similaires.
Martine Porez – Journaliste
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