L’effet domino de l’ouragan Harvey atteint Arkema

6 décembre 201713 min

Née aux larges des côtes africaines, la tempête tropicale Harvey qui enfle jusqu’à devenir un ouragan de catégorie 4, déchaîne sa furie sur le Texas aux États-Unis, laissant une balafre durable. Sur sa trajectoire dévastatrice, des dizaines de sites pétrochimiques parmi lesquels la multinationale française Arkema, touchée fin août 2017.

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L’ouragan Harvey change de catégorie dans la journée du vendredi 25 août 2017, passant de 3 à 4 (sur une échelle de 5), avec des vents atteignant plus de 215 km/h. Le ralentissement de sa progression amplifie les effets du déluge qui s’abat alors sur la région de Houston au Texas.

L’usine Arkema de Crosby, près de Houston, est mise en sécurité, fermée, évacuée de la majorité de ses collaborateurs. Seule une équipe de 11 personnes assure la surveillance des installations.

Mardi 29 août, les sources d’alimentation électrique primaire, puis les deux groupes électrogènes de secours sont inondés. L’eau atteint 1,80 m en plusieurs zones du site… Conformément au plan de sauvegarde, les 225 t de peroxydes organiques (lire encadré ci-dessous) présents dans les hangars, qui ne sont plus réfrigérés, sont transférées dans neuf semi-remorques frigorifiques (25 t par semi). Le produit est conditionné en bidons de 20 1 dans des emballages carton et palettisés. Trois des semi-remorques sont laissés devant les hangars faute de temps, les six autres ont pu être regroupées dans une zone éloignée des infrastructures. Le produit est alors réfrigéré par les groupes de production de froid individuels à chaque remorque. Alimentés par moteur thermique, ils sont dépendants de l’autonomie de carburant, généralement quelques jours… La descente des eaux s’amorcera-t-elle avant ?

Arkema, née de la restructuration du groupe pétrolier Total, est une multinationale dont le siège est près de Paris. Crosby est l’un de ses trois sites industriels du Texas, basé à une trentaine de kilomètres à l’est du centre de Houston.

Sur une superficie de 270 ha s’élèvent les installations permettant la production de peroxyde organique qui entre dans la composition du PVC, du polypropylène, du polystyrène, de produits pharmaceutiques, automobiles, etc. D’autres produits chimiques bruts « traditionnels » sont stockés sur ce site qui emploie 57 personnes.

L’établissement de petite taille se trouve dans une zone rurale. Aucun établissement recevant du public n’est situé à proximité. Une voie rapide régionale la borde à 80 m. 3 800 habitants résident dans un rayon de 5 km autour de l’usine.

Il existe une grande variété de peroxydes organiques. Ce sont des liquides inflammables qui se dégradent naturellement et peuvent devenir instables à moins d’être réfrigérés. Leur réchauffement entraîne rapidement leur décomposition, puis l’inflammation de leurs distillats, dès lors qu’ils dépassent la température de décomposition auto-accélérée (TDAA). Ils doivent être stockés 10 à 20° en dessous de la TDAA, qui varie selon les produits.

L’évacuation de 700 personnes est décidée

Devant le risque présenté par l’instabilité des produits, les autorités publiques exigent que les onze employés évacuent l’usine pour leur sécurité.

FI Ouragan Harvey Dessin René Dosne 01

Dans l’impossibilité d’intervenir sur le site, aux trois quarts inondé, la direction d’Arkema Crosby s’attend à ce que le produit s’enflamme dès lors qu’il n’est plus réfrigéré…

Un poste de commandement réunissant les autorités locales et les équipes d’Arkema est établi à proximité de l’usine pour la surveillance du site. Les autorités publiques décident d’évacuer les habitants du comté de Harrys dans un rayon de 2,4 km autour de l’usine (700 personnes environ), après qu’Arkema a précisé « la possible réaction de produits chimiques présents sur le site ».

Le 31 août, vers 1 h du matin, deux « soi-disant » explosions sont rapportées aux équipes locales d’Arkema à 2 h par les autorités locales qui ont dépêché sur place des équipes de sauveteurs, pompiers et policiers. L’incendie est violent et fumigène, notamment en raison de la combustion des pneus et de la mousse isolante des remorques. Il concerne une semi-remorque et un engin élévateur ayant vraisemblablement servi à transférer les produits, avec un début de propagation à un hangar frigorifique de 1 700 m².

Surveillances aériennes des semi-remorques

De la fumée s’élève durant 9 heures selon les témoins. Une quinzaine de sauveteurs sont pris d’irritations, de vomissements et de gêne respiratoire. Ils sont placés en observation mais quittent rapidement l’hôpital. Un poste de commandement des opérations est activé en bordure du périmètre et des reconnaissances aériennes (aéronef ou drone) surveillent les semi-remorques…

Cette surveillance permet, le 1er septembre vers 17 h, d’observer l’échauffement puis l’inflammation d’une, puis de deux semi-remorques placées à quelques mètres d’un bâtiment frigorifique de 300 m². L’incendie est violent, très fumigène, libérant de gros rouleaux de flammes. Heureusement l’absence de vent et la convection verticalisent le panache, diluant la retombée des fumées.

L’incendie, qui par miracle ne se propage pas au bâtiment, s’éteint faute de combustible sans intervention des secours. Il est inévitable alors que le même processus se reproduise sur les six semi-remorques restantes.

Dès l’annonce du premier incendie, l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) est engagée, conformément au plan national d’urgence. C’est ainsi qu’elle envoie un avion de reconnaissance et d’analyse des fumées, un coordinateur auprès du poste de commandement local, la fourniture de personnel et de matériel de contrôle de la pollution atmosphérique et des équipes de suivi de l’intervention venues de Houston.

FI Ouragan Harvey Dessin René Dosne 02

Mise à feu contrôlée des autres semi-remorques

La remise en service des groupes de secours étant conditionnée à la décrue qui tarde à s’amorcer, Arkema déclare, lors d’une conférence de presse du 1er septembre, que tout retour dans l’usine ne peut se produire qu’après l’inflammation des six dernières semi-remorques. Une question d’heures, de jours…

Afin de dissiper toute menace, la direction d’Arkema et le commandement unifié décident, le 3 septembre, de procéder à leur brûlage contrôlé. Celui-ci, dont la technique est volontairement tue par sécurité, s’effectue à 17 h, entraînant encore une fois un incendie violent et très fumigène (environ 150 t de peroxydes, 48 pneus et 6 remorques aux parois bourrées de mousse isolante). Heureusement, les remorques avaient été regroupées dans une zone de l’usine éloignée de toute installation ou bâtiment.

L’entreprise a écarté l’option déplacement des produits lorsque la chaîne du froid a été rompue. On ne pouvait prendre le risque de voir, sur la route peut-être embouteillées et inondées, neuf semi-remorques pouvant potentiellement s’embraser. Le lendemain, le périmètre de sécurité est levé et les habitants peuvent réintégrer leurs maisons. Certains agriculteurs avaient dû laisser leurs bêtes près d’une semaine sans soins ni eau.

Les dirigeants d’Arkema ont présenté leurs excuses, et déclaré qu’ils offriraient une aide financière aux familles touchées.

Échec des plans de sauvegarde

Des ouragans de puissance variable traversent, en cette saison, le golfe du Mexique et les États voisins. La société Arkema en a essuyé sur ses divers sites au Texas sans basculer dans une situation semblable. Si des plans de sauvegarde ouragan existent, ils ont à l’évidence été mis en échec par la violence de l’ouragan Harvey. Et il est probable que d’autres, plus violents, suivront, obligeant à la prise de mesures de sauvegarde des énergies mieux protégées, notamment au niveau de la mise hors d’eau des groupes de secours ou de l’autonomie des groupes de production de froid rattachés à chaque entrepôt frigorifique.

L’importance d’une communication concertée

La communication des autorités locales et d’Arkema s’est parfois télescopée. Or, le choix des mots est essentiel lorsque des milliers d’habitants sont concernés. C’est ainsi que l’expression « fumée certainement toxique » était employée par l’officier risque chimique des pompiers, alors que le responsable d’Arkema la qualifiait de « fumée irritante ».

Le mot « explosion » sera remplacé par « plutôt une série de pops » car, selon l’entreprise, il n’y a pas eu d’explosions. Il fallait faire oublier la formule « risque chimique incroyablement dangereux » proférée un peu vite par l’Agence fédérale de gestion des urgences. Il faut évidemment que la population locale, par méconnaissance, n’imagine pas des explosions massives et destructrices, que ce produit ainsi morcelé ne peut produire.

Les plaintes des sauveteurs et des riverains

C’est sur la tempête Allison survenue en 2001, appelée la tempête des 500 ans, qu’Arkema avait semble-t il bâti son plan de sauvegarde. Sa ligne de défense, face aux plaintes déposées par un groupe de sept sauveteurs et une autre par les habitants de Crosby, est, un mois après, l’impossibilité de prévoir un événement d’une telle violence.

En 2001, les abords du site avaient été peu inondés et la circulation dans l’usine possible. Les mesures de sauvegarde, face à ce constat, avaient été basées sur cette tempête de référence. En 2006 pourtant, la presse locale rapporte un incident semblable où, à la suite d’une inondation neutralisant l’alimentation électrique, un stock de peroxydes organiques s’enflamma.

Les sept sauveteurs plaignants reprochent à Arkema de les avoir exposés à une fumée « potentiellement dangereuse ». Selon eux, « l’entreprise aurait minimisé le danger et n’aurait pas immédiatement prévenu les premiers secours sur place lorsque la première semi-remorque s’est embrasée ». Ils réclament 1 M$. Une vingtaine d’habitants ayant dû quitter leur domicile pendant près d’une semaine, avec les conséquences que cela entraîne, portent eux aussi plainte contre l’usine.

Les sapeurs-pompiers organisaient régulièrement avec le service sécurité de l’usine des exercices. Les dangers étaient connus. Il serait étonnant que des pompiers se soient engagés sur un site chimique où sévit un sinistre sans protection respiratoire. Mais ce sont en majorité des policiers et des équipes médicales, ne bénéficiant pas de protection respiratoire, qui ont été incommodés.

Les autorités ont déclaré ne pas avoir trouvé de « niveaux de concentration toxiques dans les zones éloignées de l’installation évacuée ». Ils ont toutefois demandé aux habitants de signaler la présence de débris ou pollution sur leurs terres.

Renforcer les contrôles des usines chimiques

L’accident de cette usine servira sans doute de révélateur aux nombreux sites chimiques et pétroliers du golfe du Mexique, implantés en zone côtière.

L’usine est à 65 km de l’océan et est balayée annuellement par tempêtes et ouragans. « Ils n’ont pas suffisamment tiré les enseignements de Katrina et de Fukushima » affirme un ancien enquêteur principal du Chemical Safety Board et maintenant consultant indépendant en sécurité.

Par ailleurs, les organisations environnementales américaines demandent un renforcement des contrôles des installations chimiques, malgré la volonté du président Donald Trump de supprimer le Chemical Safety Board, dont la mission est d’enquêter sur les accidents chimiques.

La force d’un dispositif est égale à celle de son maillon le plus faible. Il semble que les groupes électrogènes de secours ne soient pas toujours élevés au niveau qu’ils méritent !

Le 27 décembre 1999, les côtes françaises sont frappées par l’effet conjugué d’une grande marée et de vents de plus de 140 km/h. La digue protégeant la centrale nucléaire du Blayais, dans l’estuaire de la Gironde, est submergée. Depuis deux ans, son rehaussement de 50 cm était préconisé. Vers 20 h, la route d’accès encombrée de débris est impraticable. Le personnel est isolé. Conjointement, deux des trois réacteurs perdent les lignes haute tension qui les relient au réseau. Il faut réduire la puissance de production. Les groupes de secours de deux réacteurs sont démarrés. Ils fonctionneront plus de 3 heures et demie. À 22 h 30, les sapeurs-pompiers parviennent à dégager la voie d’accès à la centrale. Vers 0 h 30, les débris charriés par les flots obstruent la pompe de refroidissement d’une turbine, entraînant l’arrêt d’urgence d’un réacteur. Progressivement, les galeries techniques sont inondées par une eau atteignant 4 m de haut et qui va atteindre le bâtiment combustible. Des équipements supplémentaires sont hors d’usage… À 6 h, EDF déclenche le plan national d’urgence. Une des deux stations de pompage du circuit de refroidissement d’un réacteur est inondée ! Les sapeurs-pompiers, à l’aide de moyens mobiles de pompage lourds, évacuent les dizaines de milliers de mètres cubes d’eau.

C’est grâce à la bataille acharnée de techniciens, de 80 agents rappelés, d’une vingtaine de spécialistes de la sûreté nucléaire, que la situation va enfin se stabiliser. Un vrai scénario catastrophe opportunément englouti par le flot d’informations provenant d’une France meurtrie par une tempête exceptionnelle.

D’abord ébranlée par un séisme de magnitude 8,9, la centrale nucléaire composée de quatre réacteurs est frappée par les vagues d’un tsunami qui vont d’emblée neutraliser les groupes de secours. Trois réacteurs vont progressivement monter en température et des explosions successives vont faire voler leurs enceintes, tandis que le démantèlement des réseaux de refroidissement va conduire à la perte de contrôle du cœur de trois réacteurs.

Privée d’alimentation électrique, la centrale devient incontrôlable. Signe du désarroi, une poignée d’employés tentera même d’actionner des vannes en connectant… les batteries de leurs véhicules. Ce n’est plus que le système D qui prévaut alors… Un hélicoptère va tenter d’effectuer des largages au-dessus des bâtiments éventrés, mais volant haut pour échapper aux vapeurs radioactives, son flot se disperse avant d’entrer dans les décombres…

Qui reste-t-il lorsque toute tentative semble vouée à l’échec et que la belle assurance des dirigeants de Tepco s’écroule ? Les pompiers. Une colonne, constituée de moyens grande puissance, venue de Tokyo, va prendre position et taper à la lance-canon pour tenter d’atteindre les entrailles des réacteurs et stabiliser la température… Ces hommes, qu’on appelle les sacrifiés, ont été hissés au rang de héros du Japon…

En savoir plus

Sur son site de Crosby touché par l’ouragan Harvey, le groupe français a procédé à la destruction volontaire des produits chimiques.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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