À Dubaï, le feu ne manque pas d’Address

1 mars 201611 min

Alors qu’ils égrenaient les dernières secondes de 2015, les milliers de spectateurs assistant au feu d’artifice sur la Burj Khalifa de Dubaï ne savaient où regarder : admirer la plus haute tour du monde éclairée de lumineuses coroles, ou observer le The Address Downtown tout proche, enveloppé de flammes sur près de 300m…

Ceci est une légende Alt

C’est vers 21 h 30, alors que des dizaines de milliers de spectateurs commencent à converger vers le centre de Dubaï, où s’illuminera à minuit la tour Burj Khalifa, que des flammes apparaissent pour une raison encore inconnue sur un balcon du 20e étage de la tour The Address Downtown. Rapidement, le feu gagne le revêtement du balcon supérieur et, à mesure que la flamme enfle activée par un vent fort, une dizaine d’étages s’embrase. Simultanément, des panneaux commencent à se détacher et à chuter sur les niveaux inférieurs. Le feu se développant à l’extérieur, la détection ne se déclenche pas immédiatement. De nombreux occupants (l’hôtel de 196 chambres est complet) sont alertés lorsqu’ils voient flammes, fumée ou débris en feu passer devant leurs baies. L’évacuation, encadrée par les pompiers et le personnel, commence alors. Seize personnes sont intoxiquées, tandis qu’une autre souffre d’une crise cardiaque.

Un photographe, se sentant piégé par la fumée au 48e étage, se retrouve suspendu dans le vide, au bout du câble de 30 m d’une nacelle de maintenance. Masqué par l’écran de fumée, il est tiré de son inconfortable position après une demi-heure, non sans avoir eu le réflexe de filmer la scène et d’en inonder la toile…

FI Dubaï The Adress - Dessin René Dosne

Le revêtement de façade détruit sur presque toute la hauteur

Dehors, le feu poussé en diagonale couvre bientôt plusieurs milliers de mètres carrés de façade qui s’éparpillent en une pluie incandescente. D’abord extérieur, le feu, çà et là, brise des baies et pénètre dans les chambres et appartements, dont certains atteignent 300 m².

La conservation de l’intégrité des circulations, nécessaire à une attaque intérieure efficace, est alors menacée… Les flammes ne s’arrêteront qu’à une vingtaine de mètres du sommet de la tour de 306 m, les derniers niveaux étant préservés par des retraits de façade importants.

En revanche, les balcons des niveaux bas, soumis à une pluie intense de projectiles incandescents, sont autant de nouveaux départs de feu de revêtement dont ils sont couverts. Si vers minuit le feu s’est apaisé en façade faute de combustible, de nombreux feux de chambres contenus par l’extinction automatique doivent être combattus sur des dizaines de niveaux.

La « galette » constituant la base de la tour, haute d’une douzaine d’étages, est soumise, par sa forme en escalier, à la pluie de débris en feu. Le revêtement de façade, formant de grandes arches décoratives sur bâti tubulaire, s’y embrase également, détruisant de nombreux locaux, salons et restaurants.

Depuis le sol, sur échelles et bras élévateurs, des lances-canons combattent ces feux à hauteur accessible. Une lutte acharnée se poursuit essentiellement par l’intérieur, toute la nuit. Le soleil qui se lève sur Dubaï fait scintiller les centaines d’IGH environnants recouverts des mêmes panneaux… et éclaire la façade calcinée du Address Dowtown, enveloppé de panaches signalant des foyers sporadiques. En fin de matinée, le feu se réactive sur une terrasse du 11e étage, et jusqu’au milieu d’après-midi du vendredi, le vent réactive des foyers sur toute la hauteur de l’édifice. À l’intérieur, faux-plafonds démantelés sous la poussée des infiltrations et moquettes gorgées d’eau traduisent l’âpreté de la lutte pour empêcher le feu de pénétrer profondément dans la tour.

Sur l’avenue Mohammed bin Rashid Sheikh remplie d’une quarantaine de fourgons, échelles et bras élévateurs jaunes, bouclée sur 1 km, des dizaines de pompiers exténués récupèrent sur les pelouses, à l’ombre des palmiers.

Des moyens inhabituels

Face à ces images spectaculaires qui ont fait le tour de la planète aux douze coups de minuit, les autorités devaient apporter au plus vite une première réponse. Elle est à l’image des pays du Golfe, à leur démesure financière, où policiers et pompiers sont dotés de Corvette C7 et de Ferrari. C’est ainsi qu’une flotte de vingt « Jetpacks », sorte de drone susceptible d’emporter 120 kg, disposant d’un siège inséré entre deux turbines verticales (5 M$ avec simulateurs de formation), va rapidement être acquise pour effectuer des reconnaissances et des sauvetages.

Si l’on peut s’interroger sur l’intérêt opérationnel de tels engins, face à un mur de flammes couvrant une façade parcourue de courants ascensionnels comme on l’a vu ce 31 décembre, ils présentent l’avantage de rassurer les propriétaires et occupants des centaines d’IGH tapissés de ces panneaux combustibles, qui commencent à s’interroger sur leur sécurité.

Lutte par les circulations intérieures

La lutte contre un grand feu d’IGH ou d’ITGH (+ de 200 m) affiche au public l’apparente inefficacité des secours, surtout lorsque le feu a basculé sur les extérieurs. En effet, les moyens au sol, lances-canons et bras élévateurs, paraissent vite dérisoires (même s’il existe aujourd’hui aux Émirats arabes unis des bras élévateurs automobiles de 112 m) alors que la lutte la plus efficace, invisible, est conduite à l’intérieur. L’action déterminante s’exerce toujours par les circulations intérieures, en s’appuyant sur les dispositifs de sécurité imposés par la réglementation comme le compartimentage, le désenfumage, la réduction de la charge calorifique, les colonnes humides et la doctrine d’engagement.

Dans certains cas (feu d’IGH en chantier, dispositif incendie déficient, nombre de lances supérieur aux débits utiles des colonnes humides), il faut engager des équipes spécialisées qui établissent des lignes de tuyaux verticales, par l’extérieur. La pression est alors relevée par des motopompes portatives placées tous les 100 m afin de disposer d’une pression de 5 à 7 bar à la lance… Cependant, la mise en œuvre de ces dispositifs prend un certain temps comparé à la cinétique extrêmement rapide d’un feu de revêtement de façade sur 2 à 300 m.

900 tours de Dubaï construites avant la réglementation actuelle

Outre les premières mesures médiatiques, la réelle réponse est d’ordre préventive, et il va falloir s’attaquer au problème de la réaction au feu des panneaux couvrant au moins 250 des IGH et ITGH des Émirats ! Après les spectaculaires feux de façades de 2012 à Dubaï (mais aussi à Moscou, Grozny, Pékin…), il avait été demandé de n’utiliser que des panneaux à l’âme isolante incombustible, tout en préconisant l’installation de dispositifs d’aspersion des façades. Hélas, la plupart des 900 IGH et ITGH de Dubaï ont été construits avant 2012 !

Terminé en 2011, l’ITGH concerné, recouvert de 35 000 m² de panneaux, ne bénéficiait évidemment pas de ces mesures. Une vaste campagne d’inspection va être lancée, et la réglementation actualisée au printemps. Elle va impliquer la Défense civile, les gestionnaires de ces édifices, les associations de propriétaires, les promoteurs et les assureurs. Tout au long de la construction, un consultant sera l’interface entre la Défense civile et le propriétaire, afin que ce dernier ait l’assurance que tout est réalisé dans le respect de la réglementation.

Depuis l’incendie, les experts et conseillers techniques sont submergés d’appels de résidents préoccupés par le montant élevé d’une possible remise aux normes de leurs bâtiments.

Le remplacement des panneaux de façade aluminium/polyéthylène déficients pourrait être envisagé pour certains IGH et ITGH. Mais les autorités affirment procéder au cas par cas, et préconisent par exemple la constitution de sortes de « lignes d’arrêt » placées tous les trois étages, associant panneaux incombustibles et ligne d’aspersion extérieure.

Comme le souligne un responsable de la société qui commercialise ces panneaux (Alumco), « il y avait approbation sur chaque soumission selon les spécifications. Nous ne pouvions pas créer un code nous-même. Nous ne pouvions pas créer un produit qui soit supérieur à ce qui est réglementaire ».

Plutôt que de tester la réaction au feu sur un panneau, condition souvent irréaliste, elle pourrait être effectuée sur un mur de panneaux, configuration plus proche de la réalité, les panneaux, joints et fixations étant soumis à un foyer plus conséquent.

Mais il est bien difficile d’imaginer la hauteur de flammes issues d’un feu vertical, sans obstacle ni rupture de combustible sur près de 200 m comme ce fut le cas ici. Les vents ascensionnels, encore accentués par les reliefs de façade faisant office de cheminées, ont permis au feu de sauter des retraits de 4 à 5 m et de ré-enflammer de nouveaux pans de façades. En attendant, et au regard du nombre incessant de tours émergeant du sable, on évoque aussi la nécessité de détruire les stocks de panneaux isolants existants afin qu’ils ne soient pas utilisés par des entreprises peu scrupuleuses !

Les feux d’IGH très meurtriers des années 1970

Si, dès 1965, les pompiers de Paris expérimentaient l’attaque d’un feu de bâtiment élevé par commando héliporté, alors que le quartier de la Défense voyait pointer sa première tour de 100 m, le début des années 1970 révéla d’une manière dramatique le risque incendie dans des IGH aux mesures préventives encore approximatives : 165 morts en 1971 à Séoul, 50 morts en 1972 à São Paulo, 179 morts en 1974 à São Paulo, puis 19 morts à Séoul la même année. Ces sinistres spectaculaires marquèrent l’opinion internationale et les milieux de la sécurité incendie, appuyés par la sortie du célèbre film catastrophe La Tour infernale en 1975.

Toutefois, à la différence des dramatiques feux de São Paulo et Séoul où les incendies, intérieurs aux IGH, poussaient naturellement les occupants vers l’extérieur (défenestration comme seule alternative) quand ils n’étaient pas piégés dans les locaux, les sinistres récents dont nous parlons n’entraînent que peu de victimes (essentiellement intoxiquées lors de leur évacuation) puisque le feu, extérieur, n’affecte que modérément les circulations intérieures, escaliers et ascenseurs, protégées.

Inaugurée en 2011, la tour The Address Downtown domine de ses 306 m et de ses 62 étages le plus grand centre commercial du monde de 180 ha qui s’étend à ses pieds. Mais elle est dominée à son tour par les 826 m de la Burj Khalifa, actuellement plus haute tour du monde, qui se dresse à moins de 500 m d’elle !

Construit en béton, The Address Downtown abrite un hôtel de 196 chambres, 626 appartements, 8 restaurants et bars, des centres de remise en forme, une piscine, etc. L’ITGH occupe plus de 4 000 m² au sol et possède un parking de 900 places. Recouvertes de panneaux sandwich décoratifs aluminium/polyéthylène, ses façades de béton sont presque également partagées entre surfaces équipées de baies et de balcons profonds.

L’immeuble comprend une base d’une douzaine d’étages constituée de gros disques imbriqués, surmontée d’un corps principal à section elliptique de 34 étages, coiffé d’un second bloc de 8 étages en retrait, puis de 2 derniers, en escalier, de 4 étages chacun.

Quatre feux d’immeubles élevés ont été relatés dans nos colonnes : Feu de la Tour Windsor à Madrid (Face au Risque n° 412, avril 2005), incendie de la Tour de Manhattan en déconstruction (Face au Risque n° 438, décembre 2007), feu d’IGH à Chambéry (Face au Risque n° 472, avril 2011) et feu de façade sur 18 étages à Roubaix (Face au Risque n° 486, octobre 2012).

Seul ce dernier sinistre s’apparente à ceux survenus ces dernières années à Dubaï. Parti d’un balcon au 1er étage, il gagne les modules décoratifs décollés de l’ancienne façade, faits de panneaux sandwich aluminium/âme thermoplastique. En quelques minutes, une longue flamme atteint le 17e étage et y tue une occupante. Au passage, elle se développe dans quelques appartements… Ce n’est pas un feu de revêtement d’isolation de façade, comme on l’a relaté lors du feu de foyer à Dijon, aux façades tapissées de polystyrène expansé (Face au Risque n° 471, mars 2011).

Partagez cet article !

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.