Environnement / Feu instructif / Incendie/explosion / Industrie/ICPE / Sécurité civile et forces de l'ordre / Sécurité privée / Sûreté
Bacs d’hydrocarbures en feu sur un site pétrochimique
Le 14 juillet 2015, à 3 h du matin, trois explosions simultanées illuminent le site pétrochimique Lyondellbasell bordant l’étang de Berre. Deux bacs respectivement de 14 000 m³ d’essence et 48 000 m³ de naphta s’embrasent, bousculant les scenarii établis.
Pôle pétrochimique Lyondellbasell de Berre (Bouches-du- Rhône), 3h le 14 juillet 2015. Trois explosions perçues comme une seule entraînent l’appel d’un industriel voisin au PCSI du pôle pétrochimique : flammes et lueurs sont visibles de l’extérieur du site. L’information est bientôt confirmée en salle de contrôle du vapocraqueur dont les caméras extérieures montrent deux bacs en feu. Immédiatement, plusieurs actions s’enchaînent : départ de trois engins d’incendie et cinq hommes, rappel des pompiers auxiliaires postés et ceux à domicile, activation du PC exploitant, déclenchement de l’entraide mutuelle…
À 3h05, les secours extérieurs (Sdis13) et la Dreal sont alertés. Deux échelons, prévus au plan Étare (établissements répertoriés) sont envoyés. Les deux bacs, pleins, présentent un feu sur leur toit flottant. Une action de temporisation est engagée simultanément par un engin sur le bac 1017 (14 000 m³ d’essence), et par deux autres sur le bac 1032 (48 000 m³ de naphta).
À 3h18, le premier engin de secours du Sdis13 se présente au point de regroupement des moyens (extérieur) et confirme les deux feux de bacs. Il est rejoint 25 minutes plus tard par 45 engins et 120 pompiers. Un groupe d’officiers se rend au PC exploitant. À 3h40 le plan d’opération interne (POI) est déclenché. Il est décidé de poursuivre l’activité des unités du pôle pétrochimique. À 4h, le « top mousse » est lancé sur le bac 1017, haut de 14 m et d’un diamètre de 32 m, couronné d’un bouillonnement de flammes.
Une attaque au canon de 10 000 l/min et par les boîtes à mousse connectées (3 000 l/min) permet de déclarer le feu éteint en 35 minutes ! Une phase de refroidissement et d’entretien du tapis de mousse se poursuit jusqu’à 12 h.
Le jour qui se lève permet de distinguer la longue traînée de fumée qui s’étend vers le golfe de Marseille, évitant heureusement l’aéroport Marseille Provence dont les pistes ne sont qu’à quelques kilomètres. Avec le jour, un avion de reconnaissance feux de forêts équipé de moyens de prise de vue performants est dirigé vers l’incendie. Les puissants engins de lutte pétroliers prennent maintenant position autour du bac 1032. Ses dimensions sont autrement plus impressionnantes : 60 m de diamètre, 22 m de haut, plaçant le feu à un 6e étage ! Les premières vues d’avion retransmises au PC montrent un feu de joint périphérique doublé d’un feu au centre du toit flottant.
Un combat difficile
L’attaque va s’opérer via deux canons de 8 000 et 11 000 l/min d’une part, et par quatre des neuf boîtes à mousse intactes (3 000 l/min).
À 6h20, le « top mousse » est lancé. Le feu baisse d’intensité et les images aériennes permettent de découvrir le toit partiellement immergé avec un foyer périphérique (feu de joint) et un foyer central. Le feu faiblit et les flammes sont progressivement avalées par l’épais tapis blanc. Mais une avarie mécanique sur un engin et la rupture d’alimentation en émulseur sur un autre réduisent les efforts à néant. Après 40 minutes, l’attaque mousse est stoppée. On repasse en phase de temporisation et refroidissement, le temps de renforcer le dispositif et reconstituer les réserves d’émulseur.
À 7h19, après concertation entre le directeur des services incendie, la préfecture et le directeur du pôle, il est décidé que le DDSIS (directeur départemental des services d’incendie et de secours) prenne le commandement des opérations de secours et engage les secours extérieurs sur le site. Outre la mission déjà initiée de suivi du nuage, d’alerte et de protection des populations, les sapeurs-pompiers vont renforcer le dispositif des pompiers industriels en alimentant leurs moyens propres à partir de l’étang de Berre (six lignes totalisant près de 10 km de tuyaux).
À 10h05, le nouveau dispositif est en place : plus de 25 000 l/min vont être envoyés via quatre canons, ajoutés aux 3 000 l/min par les boîtes à mousse. La réserve émulseur est alors de 82 000 l. Cette seconde tentative est couronnée de succès et à 11 h le feu est éteint. Mais la situation reste fragile, les tôles ayant été portées au rouge en certains points. Le déversement de mousse se poursuit jusqu’à 15 h.
Le bac du haut est complètement recouvert de mousse. Photo effectuée par un avion de reconnaissance de feux de forêts. Photo Sdis 13.
Les nuisances aux riverains
Les conditions météo estivales aidant, dès le soir du 14 juillet, et même le lendemain, des centaines d’appels pour odeurs de gaz vont parvenir, provenant même d’Aix en Provence, à 20 km.
Dans la nuit du 15 au 16, la passerelle d’accès au toit flottant du bac 1032 s’écroule, entraînant le coulage du toit et la mise à l’air libre du naphta. Afin de limiter au plus tôt les nuisances aux populations, le bac 1017 (essence) est vidé le 16, le 1042 (explosion non suivie de feu) le 19 et le 1032 le 24, après que les émissions de vapeurs ont été jugulées par l’entretien d’un tapis de mousse.
Si certains riverains ont fait état de nausées, maux de tête et gênes respiratoires, aucune hospitalisation n’a été nécessaire.
Explosions d’origine criminelle
Le 15 juillet, un 3e bac (le 1042) présente une échelle d’accès tordue tandis que des fragments de dispositif explosif sont retrouvés.
Équipes scientifiques de la Gendarmerie et démineurs interviennent le 20 juillet avec l’appui du Grimp (groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux), une fois le bac vidé. Rapidement, la simultanéité des explosions et leur éloignement géographique oriente les autorités vers une origine criminelle.
Avec deux bacs en feu en même temps, les secours sont confrontés à une situation non « répertoriée ». Adaptant les procédures, les pompiers du pôle se répartissent sur les deux foyers. Heureusement, le 3e bac ne s’enflammera pas… Alors que l’on observe généralement le feu de bac (en surface lorsque le toit coule) ou le feu de joint, on est ici en présence d’un mix des deux, le toit étant partiellement déstructuré en son centre, permettant au naphta de passer sur le toit. Le nervurage de celui-ci, créant de multiples secteurs en creux, ajouté de la déformation générale du toit de 2 800 m2 environ, freinent l’étalement du tapis de mousse.
Enfin, le bac 1032 voit au moins la moitié de ses boîtes à mousse hors service (explosion ou effets de la chaleur de l’incendie…). Ces facteurs aggravants vont
conduire le COS à augmenter le taux d’application de 7 l/m²/min à 11 l/m²/min lors de l’extinction finale.
Compte tenu des effets de l’incendie (odeurs, fumées, risque de pollution aquatique) hors des limites du site, le préfet aurait pu prendre la direction des opérations en déclenchant le PPI. L’orientation favorable du panache, élevé et se dirigeant initialement vers la mer ne l’indiquait pas. En revanche, une perturbation du trafic aérien, voire la fermeture de l’aéroport Marseille-Provence, aurait certainement entraîné son déclenchement.
20 à 40 M€ de dommages
Nous soulignions déjà dans Face au Risque, après l’incendie du port Edouard Herriot à Lyon le 2 juin 1987, l’efficacité des bras élévateurs articulés dont disposent les secours publics. En effet, la précision de leur jet travaillant au-dessus du niveau du feu (+ 20 m) compense la relative faiblesse de leur débit, de 3 000 à 4 000 l/min face aux canons de 8 000 à 10 000 l travaillant du sol. Ils représentent un appoint déterminant et doivent être d’emblée intégrés aux moyens engagés. De plus la caméra présente sur la nacelle permet d’observer la situation au-dessus du toit flottant.
L’avion de reconnaissance engagé par le Sdis13 a lui aussi apporté une aide précieuse à l’observation de ce sinistre atypique, grâce au report d’images au PC exploitant.
Phase de refroidissement pendant que les moyens mousse sont rassemblés. Photo Sdis 13.
Enfin, la pose préventive de barrages flottants en sortie de collecteurs aurait préservé l’étang de Berre si une pollution des eaux était survenue.
Les dommages se chiffrent en millions d’euros, selon que l’on pourra ou non récupérer une partie du naphta débarrassé du fluor contenu dans l’émulseur. La réparation d’un bac peut se chiffrer à 3 millions d’euros environ. Si les jupes paraissent récupérables, les trois toits flottants sont à remplacer. Si, pour des raisons évidentes, la description précise du renforcement des mesures de sûreté n’a pas sa place ici, on peut toutefois indiquer qu’elles porteront sur la protection périphérique du site et un maillage plus important de caméras de contrôle.
Rappelons que sur la dizaine de grands sinistres ayant touché des dépôts pétroliers en France ces cinquante dernières années, la moitié était d’origine criminelle.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
Les plus lus…
Le bureau d’analyse des risques et des pollutions industrielles (Barpi) a publié un nouveau flash Aria dédié aux travaux par…
La roue de Deming est une méthode d’amélioration continue symbolisée par une roue progressant sur une pente dans un…
Alors que les entreprises devant contrôler l’identité de leurs clients font évoluer leurs méthodes de vérification, les fraudeurs s’adaptent et…
Lancée le 17 décembre, la plateforme 17Cyber ambitionne de devenir le nouveau réflexe pour les victimes de cybermalveillance en France.…
L’intelligence artificielle connait une dynamique importante en termes d’implémentation, notamment depuis l’arrivée des « modèles de langages conversationnels ». Elle…
La directive (UE) 2024/3019 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 relative au traitement des eaux…