Bacs d’hydrocarbures en feu sur un site pétrochimique

5 novembre 201511 min

Le 14 juillet 2015, à 3 h du matin, trois explosions simultanées illuminent le site pétrochimique Lyondellbasell bordant l’étang de Berre. Deux bacs respectivement de 14 000 m³ d’essence et 48 000 m³ de naphta s’embrasent, bousculant les scenarii établis.

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Pôle pétrochimique Lyondellbasell de Berre (Bouches-du- Rhône), 3h le 14 juillet 2015. Trois explosions perçues comme une seule entraînent l’appel d’un industriel voisin au PCSI du pôle pétrochimique : flammes et lueurs sont visibles de l’extérieur du site. L’information est bientôt confirmée en salle de contrôle du vapocraqueur dont les caméras extérieures montrent deux bacs en feu. Immédiatement, plusieurs actions s’enchaînent : départ de trois engins d’incendie et cinq hommes, rappel des pompiers auxiliaires postés et ceux à domicile, activation du PC exploitant, déclenchement de l’entraide mutuelle…

À 3h05, les secours extérieurs (Sdis13) et la Dreal sont alertés. Deux échelons, prévus au plan Étare (établissements répertoriés) sont envoyés. Les deux bacs, pleins, présentent un feu sur leur toit flottant. Une action de temporisation est engagée simultanément par un engin sur le bac 1017 (14 000 m³ d’essence), et par deux autres sur le bac 1032 (48 000 m³ de naphta).

À 3h18, le premier engin de secours du Sdis13 se présente au point de regroupement des moyens (extérieur) et confirme les deux feux de bacs. Il est rejoint 25 minutes plus tard par 45 engins et 120 pompiers. Un groupe d’officiers se rend au PC exploitant. À 3h40 le plan d’opération interne (POI) est déclenché. Il est décidé de poursuivre l’activité des unités du pôle pétrochimique. À 4h, le « top mousse » est lancé sur le bac 1017, haut de 14 m et d’un diamètre de 32 m, couronné d’un bouillonnement de flammes.

Une attaque au canon de 10 000 l/min et par les boîtes à mousse connectées (3 000 l/min) permet de déclarer le feu éteint en 35 minutes ! Une phase de refroidissement et d’entretien du tapis de mousse se poursuit jusqu’à 12 h.

Le jour qui se lève permet de distinguer la longue traînée de fumée qui s’étend vers le golfe de Marseille, évitant heureusement l’aéroport Marseille Provence dont les pistes ne sont qu’à quelques kilomètres. Avec le jour, un avion de reconnaissance feux de forêts équipé de moyens de prise de vue performants est dirigé vers l’incendie. Les puissants engins de lutte pétroliers prennent maintenant position autour du bac 1032. Ses dimensions sont autrement plus impressionnantes : 60 m de diamètre, 22 m de haut, plaçant le feu à un 6e étage ! Les premières vues d’avion retransmises au PC montrent un feu de joint périphérique doublé d’un feu au centre du toit flottant.

Un combat difficile

L’attaque va s’opérer via deux canons de 8 000 et 11 000 l/min d’une part, et par quatre des neuf boîtes à mousse intactes (3 000 l/min).

FI site pétrochimique Lyondellbasell - Dessin René Dosne

À 6h20, le « top mousse » est lancé. Le feu baisse d’intensité et les images aériennes permettent de découvrir le toit partiellement immergé avec un foyer périphérique (feu de joint) et un foyer central. Le feu faiblit et les flammes sont progressivement avalées par l’épais tapis blanc. Mais une avarie mécanique sur un engin et la rupture d’alimentation en émulseur sur un autre réduisent les efforts à néant. Après 40 minutes, l’attaque mousse est stoppée. On repasse en phase de temporisation et refroidissement, le temps de renforcer le dispositif et reconstituer les réserves d’émulseur.

À 7h19, après concertation entre le directeur des services incendie, la préfecture et le directeur du pôle, il est décidé que le DDSIS (directeur départemental des services d’incendie et de secours) prenne le commandement des opérations de secours et engage les secours extérieurs sur le site. Outre la mission déjà initiée de suivi du nuage, d’alerte et de protection des populations, les sapeurs-pompiers vont renforcer le dispositif des pompiers industriels en alimentant leurs moyens propres à partir de l’étang de Berre (six lignes totalisant près de 10 km de tuyaux).

À 10h05, le nouveau dispositif est en place : plus de 25 000 l/min vont être envoyés via quatre canons, ajoutés aux 3 000 l/min par les boîtes à mousse. La réserve émulseur est alors de 82 000 l. Cette seconde tentative est couronnée de succès et à 11 h le feu est éteint. Mais la situation reste fragile, les tôles ayant été portées au rouge en certains points. Le déversement de mousse se poursuit jusqu’à 15 h.

FI site pétrochimique Lyondellbasell - photo 02 Bacs aériens ©SDIS13

Le bac du haut est complètement recouvert de mousse. Photo effectuée par un avion de reconnaissance de feux de forêts. Photo Sdis 13.

Les nuisances aux riverains

Les conditions météo estivales aidant, dès le soir du 14 juillet, et même le lendemain, des centaines d’appels pour odeurs de gaz vont parvenir, provenant même d’Aix en Provence, à 20 km.

Dans la nuit du 15 au 16, la passerelle d’accès au toit flottant du bac 1032 s’écroule, entraînant le coulage du toit et la mise à l’air libre du naphta. Afin de limiter au plus tôt les nuisances aux populations, le bac 1017 (essence) est vidé le 16, le 1042 (explosion non suivie de feu) le 19 et le 1032 le 24, après que les émissions de vapeurs ont été jugulées par l’entretien d’un tapis de mousse.

Si certains riverains ont fait état de nausées, maux de tête et gênes respiratoires, aucune hospitalisation n’a été nécessaire.

Explosions d’origine criminelle

Le 15 juillet, un 3e bac (le 1042) présente une échelle d’accès tordue tandis que des fragments de dispositif explosif sont retrouvés.

Équipes scientifiques de la Gendarmerie et démineurs interviennent le 20 juillet avec l’appui du Grimp (groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux), une fois le bac vidé. Rapidement, la simultanéité des explosions et leur éloignement géographique oriente les autorités vers une origine criminelle.

Avec deux bacs en feu en même temps, les secours sont confrontés à une situation non « répertoriée ». Adaptant les procédures, les pompiers du pôle se répartissent sur les deux foyers. Heureusement, le 3e bac ne s’enflammera pas… Alors que l’on observe généralement le feu de bac (en surface lorsque le toit coule) ou le feu de joint, on est ici en présence d’un mix des deux, le toit étant partiellement déstructuré en son centre, permettant au naphta de passer sur le toit. Le nervurage de celui-ci, créant de multiples secteurs en creux, ajouté de la déformation générale du toit de 2 800 m2 environ, freinent l’étalement du tapis de mousse.

Enfin, le bac 1032 voit au moins la moitié de ses boîtes à mousse hors service (explosion ou effets de la chaleur de l’incendie…). Ces facteurs aggravants vont
conduire le COS à augmenter le taux d’application de 7 l/m²/min à 11 l/m²/min lors de l’extinction finale.

Compte tenu des effets de l’incendie (odeurs, fumées, risque de pollution aquatique) hors des limites du site, le préfet aurait pu prendre la direction des opérations en déclenchant le PPI. L’orientation favorable du panache, élevé et se dirigeant initialement vers la mer ne l’indiquait pas. En revanche, une perturbation du trafic aérien, voire la fermeture de l’aéroport Marseille-Provence, aurait certainement entraîné son déclenchement.

20 à 40 M€ de dommages

Nous soulignions déjà dans Face au Risque, après l’incendie du port Edouard Herriot à Lyon le 2 juin 1987, l’efficacité des bras élévateurs articulés dont disposent les secours publics. En effet, la précision de leur jet travaillant au-dessus du niveau du feu (+ 20 m) compense la relative faiblesse de leur débit, de 3 000 à 4 000 l/min face aux canons de 8 000 à 10 000 l travaillant du sol. Ils représentent un appoint déterminant et doivent être d’emblée intégrés aux moyens engagés. De plus la caméra présente sur la nacelle permet d’observer la situation au-dessus du toit flottant.

L’avion de reconnaissance engagé par le Sdis13 a lui aussi apporté une aide précieuse à l’observation de ce sinistre atypique, grâce au report d’images au PC exploitant.

Phase de refroidissement pendant que les moyens mousse sont rassemblés. Photo Sdis 13.

FI site pétrochimique Lyondellbasell - photo 03 FMOGP nuit ©SDIS13

Enfin, la pose préventive de barrages flottants en sortie de collecteurs aurait préservé l’étang de Berre si une pollution des eaux était survenue.

Les dommages se chiffrent en millions d’euros, selon que l’on pourra ou non récupérer une partie du naphta débarrassé du fluor contenu dans l’émulseur. La réparation d’un bac peut se chiffrer à 3 millions d’euros environ. Si les jupes paraissent récupérables, les trois toits flottants sont à remplacer. Si, pour des raisons évidentes, la description précise du renforcement des mesures de sûreté n’a pas sa place ici, on peut toutefois indiquer qu’elles porteront sur la protection périphérique du site et un maillage plus important de caméras de contrôle.

Rappelons que sur la dizaine de grands sinistres ayant touché des dépôts pétroliers en France ces cinquante dernières années, la moitié était d’origine criminelle.

Le pôle dispose d’un centre de secours armé de plusieurs engins de lutte et de transport d’émulseur :

  • 2 « premier secours », canons de 2 000 et 8 000 l/min ;
  • 2 « grande puissance », GP1 canon de 10 000 l/min, GP2 canons 2 000 et 8 000 l/mn ;
  • 3 camions-citernes ravitailleurs de 12 000 à 20 000 l les accompagnent.

L’équipe incendie est constituée de 26 hommes, d’un chef et de son assistant. Une garde 24h/24 est assurée avec 5 hommes. Ils peuvent être renforcés de pompiers auxiliaires spécialement formés. Le réseau d’incendie est alimenté gravitairement via un bac de 60 000 m³ à 3 bar. Il peut être relayé par un réseau avec une pomperie permettant un débit de 1 200 m³/h à 12 bar. 35 poteaux d’incendie couvrent la zone de stockage, allant de 4 x 100 à 8 x 100 mm. Outre des couronnes de refroidissement, le bac 1017 est équipé de 3 déversoirs à mousse, et le bac 1032 de 9.

Ce site classé Seveso seuil haut est répertorié par les sapeurs-pompiers, entraînant l’envoi de moyens importants en 2 échelons, en plus des moyens de l’entraide des pétroliers environnants.

Le pôle pétrochimique Lyondellbasell de Berre s’étend sur plus de 1 000 ha, articulés en 3 zones : vapocraqueur, unités polypropylène et polyéthylène, extraction de butadiène et dépôt d’hydrocarbures pour les deux premières zones, ex-raffinerie en cours de démantèlement et zone de développement, remise en service des terrains pour création d’entreprises pour la troisième zone. 900 employés et 300 co-traitants travaillent sur le site. La zone de stockage est établie sur un terrain présentant un dénivelé de 80 m environ. 350 m séparent les 2 bacs sinistrés. Le premier (1017), de 36 m de diamètre, contient 14 000 m³ d’essences de vapocraqueur. Le second (1032), de 60 m de diamètre, contient 48 000 m³ de naphta. Ils sont tous deux à toit flottant. Un massif forestier est à moins de 150 m du feu.

Heureusement rares, les gros feux d’hydrocarbures surviennent le plus souvent dans des dépôts dont les aménagements préventifs répondent à une réglementation stricte. Leurs études de dangers amènent à élaborer des scenarii tels que feu de bac à toit fixe, à toit flottant, feu de cuvette, feu de joint, etc., chacun répondant à des procédures type mettant en œuvre des équipements d’extinction fixes et mobiles. Mais aucun feu ne se déroule comme à l’exercice. Et selon l’origine, accidentelle ou malveillante, la réponse type proposée devra être réajustée en fonction des circonstances.

Nous avons relaté l’incendie du Port Edouard Herriot à Lyon (Face au Risque n° 235, septembre 1987), celui de Saint-Herblain, près de Nantes où l’explosion d’une nappe de 15 000 m³ de vapeurs embrase deux bacs dont un de 4 500 m³ d’essence sans plomb (Face au Risque n° 279, janvier 1992), l’explosion de 50 000 m³ de gaz à la raffinerie de la Mède (Face au Risque n° 293, mai 1993), l’incendie d’un dépôt à Saint Ouen, avec geyser de super en feu sur la voie pompiers (Face au Risque n° 277, novembre 1991) et à Buncefield, près de Londres (Face au Risque n° 421, mars 2006), explosion d’une nappe de vapeurs d’hydrocarbures à proximité d’un bac de 8 000 m³ de super.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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