Feu de résidence en construction à San-Francisco
Un incendie ravage totalement un vaste complexe immobilier de 172 appartements en construction au sud de San-Francisco. Vraisemblablement né d’un travail par point chaud, il s’est développé dans un environnement propice puisque le complexe de six étages est en bois !
Mardi 11 mars 2014, les ouvriers quittent le chantier entre 15h30 et 16h. C’est à 16h56 que les pompiers reçoivent le premier appel, après que plusieurs témoins ont aperçu des flammes s’élevant entre le dernier étage du bâtiment et la terrasse, à l’angle sud-est de l’îlot.
Bien qu’il a pris une certaine avance, le feu est combattu de manière offensive par le premier détachement, arrivé à 17h04, qui tente une brève attaque par l’intérieur, tandis que les échelles se développent de part et d’autre. Mais il s’échappe rapidement dans la structure sous terrasse tout en retombant aux niveaux inférieurs et un pompier est légèrement brûlé. La virulence croissante du feu, menaçant la stabilité des structures, oblige à évacuer le bâtiment. Les lances-canons des engins entrent en action côté rue, tandis que les lances sur échelle s’orientent vers les immeubles en vis-à-vis dont les vitres éclatent.
Après avoir demandé le renfort de quatre « alarmes » (lire l’encadré « Les alarmes » en bas de cet article) successives, le commandant des opérations demande la 5e à 17h50, totalisant une quarantaine de véhicules engagés. Le feu est alors en plein développement dans les ossatures de bois culminant à 25 m. Alors qu’il gagne progressivement l’ensemble de l’îlot, les trois derniers étages s’effondrent vers 18h, entraînant les façades par pans entiers, épargnant les échafaudages qui tiennent encore.
L’ensemble des habitants des trois blocs d’immeubles R + 6 qui bordent l’incendie sont évacués et regroupés dans un centre de tri activé par la Croix Rouge.
Le front de feu arrive bientôt à l’extrémité nord de l’îlot. Un dispositif conséquent l’attend. La chaleur est extrême, l’eau projetée se vaporise rapidement, façades et chaussée crachent une vapeur qui emplit les rues. La puissance du brasier contraint les pompiers à concentrer leurs moyens sur la protection des immeubles menacés du rayonnement. Lances-canons au sol et sur moyens aériens établissent des rideaux d’eau dans les deux rues larges de 18 et 24 m. Le feu parviendra tout de même à détériorer une trentaine d’appartements.
Les flammes, dépassant 40 m, propulsent une pluie de brandons sur le quartier, entraînant des départs de feux, sur une toiture végétalisée et dans les installations techniques du centre de cardiologie, entre autres. Ce dernier est momentanément évacué tandis que des groupes « anti-brandons » sillonnent la zone sous le vent.
Vers 18h41, le dispositif de protection des façades menacées a permis de les protéger. La menace s’estompe à mesure que le combustible diminue et que le brasier perd de la hauteur. Au plus fort de la lutte, une vingtaine de lances-canons entourent le bloc 5 en flammes.
Peu avant 20h, le feu est considéré comme maîtrisé. C’est pourtant encore un énorme champ de ruines incandescent de près de 7 000 m² dans lequel s’effondrent régulièrement des éléments de structure entiers, minés par le feu.
Toute la nuit, une dizaine de lances balaient les décombres. Le dispositif est toutefois écarté à une distance égale à la hauteur des structures instables, devant les effondrements sporadiques.
Les habitants évacués ne pourront réintégrer leurs appartements qu’après la remise en service du système d’extinction automatique.
150 pompiers ont été engagés au plus fort de l’incendie, soit la moitié des 320 hommes de garde du Fire Department of San Francisco. Des moyens spéciaux abattent, le mercredi, les structures menaçant ruine. La zone de départ supposée du feu a chuté de trois étages dans les flammes, et il sera difficile aux investigateurs de l’approcher…
Travail par point chaud en toiture
Ce feu de chantier est remarquable à deux titres : l’importance du complexe d’un seul tenant (6 900 m² sur six étages) et le matériau le constituant (bois) qui le transforme en une demi-heure en un véritable bûcher bien ventilé. Portes et fenêtres ne sont installées que dans les étages inférieurs. L’incendie survient en phase de construction où le danger est maximal : la structure bois est achevée mais pas encore totalement protégée.
L’origine du feu serait accidentelle et causée par un travail par point chaud sur le toit selon le rapport des pompiers. Le feu a pu couver durant une heure après le départ des ouvriers.
Il éclate à l’angle sud-est de l’îlot, au dernier niveau. Avant de percer la terrasse, il va s’étendre dans la charpente bois qui la soutient. Les pompiers arrivent sur un feu encore relativement compact, mais qui remonte vers l’extrémité nord. L’instabilité des étages interdit rapidement une attaque par l’intérieur.
L’incendie se développant initialement dans la zone bordée d’immeubles, ce sont plus de 200 m de façades en vis-à-vis qui sont bientôt menacés. L’homogénéité de la construction bois et l’absence de recoupement coupe-feu ne permettent pas de dresser de ligne d’arrêt. Il faut alors passer en mode défensif et utiliser tout le potentiel hydraulique de la première heure à la protection des façades voisines, dont les vitres éclatent. Les sprinkleurs implantés près des baies se déclenchent dans de nombreux appartements et contribuent à stopper les propagations.
Du matériel très puissant
Des étages supérieurs, le feu va retomber par effondrement vers les niveaux bas, jusqu’à la dalle béton du R+1. L’attaque, si massive qu’elle soit mais par l’extérieur, ne peut contrôler la progression du feu dans le bâtiment.
Pendant ce temps, les secours se raccordent à des points d’eau plus pérennes mais plus lointains, alimentés par les réservoirs de la ville, afin de satisfaire des débits avoisinant les 60 000 l/min… Curieusement, il ne semble pas que les pompiers aient puisé l’eau du port (à 400 m) grâce à l’un de leurs puissants bateaux-pompes.
Les engins-pompes américains basiques disposent de pompes de 6 000 l/min et d’une lance-canon de 2 000 à 3 000 l/min au moins. D’autres atteignent 15 000 l/min. Bref, de la grosse artillerie dimensionnée pour ce type de feu. Sa rapidité de mise en œuvre, si elle n’a pas permis de stopper le feu dans le complexe, a au moins sauvé les immeubles voisins. Des lances d’une portée de plus de 120 m font la différence dans ces moments-là.
Bien qu’il n’y ait pas eu de vent significatif ce jour-là, la hauteur du bûcher (ou plutôt du bâtiment), associée à la forme en angle fermé côté cour, a généré un mouvement de convection puissant arrachant de gros brandons au feu – « comme au feu de forêt » dira un pompier – et les emportant à plusieurs centaines de mètres. Le feu a ainsi créé son propre vent local, aidé par les façades aérées, à l’image des « tempêtes de feu ».
Les immeubles à structure bois se développent en Californie
Les pompiers rapprochent ce sinistre d’un autre, similaire, survenu près de San Francisco en 2002. Un complexe immobilier de 1 200 logements sur cinq étages dont deux de parkings, a été totalement détruit. C’était alors le plus grand immeuble à structure bois de la ville en fin de chantier, dont 20 % des volumes étaient sprinklés. La convection était telle que douze bâtiments ont été touchés sur plusieurs centaines de mètres, justifiant cinq nouvelles alarmes de renfort !
Les pompiers californiens notent aujourd’hui un retour en force du bois dans les grands programmes immobiliers, de R+6 et plus, avec en contrepartie une extinction automatique. L’emploi du bois, par sa plasticité, élevé sur une base de béton, aurait aussi des qualités antisismiques.
En France, Saint Dié des Vosges a vu s’élever, début 2013, le plus haut immeuble de bois et de paille de France, avec huit niveaux d’appartements. Un second, de quinze étages est en préparation.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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