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Fuite de gaz enflammé au cœur de Marseille
Alors qu’une entreprise intervient sur une conduite de gaz de 200 mm/4 bar en polyéthylène, une explosion survient en pleine rue, suivie d’une torchère qui dépasse bientôt les immeubles de 7 à 9 étages environnants. Parmi eux, le récent Centre hospitalier européen…
C’est à 12 h 20, le mardi 7 janvier 2014, que parvient le premier appel du quartier des ports à Marseille. Il est suivi de 150 autres décrivant des situations d’incendie aussi spectaculaires qu’imprécises, sur fond de bruit de réacteur… Une demande de renfort est effectuée par le premier détachement en transit, à la vue d’une importante fumée noire. Deux départs normaux (quatre engins pompes et deux échelles) et un groupe incendie (un engin pompe et une échelle) se dirigent sur les lieux. Un bruit assourdissant emplit la rue. Les façades environnantes, puissamment éclairées, fument et brûlent en divers points. Plusieurs voitures et utilitaires en stationnement sont en feu.
Le bâtiment Marceau 2 (voir l’encadré ci-dessous “Des voisins sensibles“) est d’emblée le plus menacé. La torchère qui jaillit de la chaussée gronde en dépassant largement ses sept étages, soumis à un très fort rayonnement. L’évacuation en cours par un accès latéral est complétée par quelques mises en sécurité par échelles. Le chef du chantier d’un immeuble en construction (bâtiment au sud) confirme l’évacuation de ses ouvriers. Dans l’hôpital tout proche, dont les vitres éclatent sur plusieurs étages, le service de sécurité entame un transfert horizontal et refroidit les baies par l’intérieur.
Nombreux départs de feu
Deux secteurs sont définis de part et d’autre de la torchère barrant la rue. L’objectif est d’enfermer le feu sans l’éteindre, tout en protégeant les façades en y attaquant les multiples départs de feu. Deux lances-canons sont établies au sol, et trois sur les échelles. 12 h 50. La cellule de crise du Samu recense préventivement les places disponibles, anticipant le nombre de victimes potentielles. C’est peu avant 13 h que la notion d’ouvrier disparu est évoquée. Un point de regroupement des victimes (PRV) est établi sur une esplanade voisine, à distance respectable du chantier avec les moyens sanitaires engagés.
Malgré l’action des lances-canons, de multiples feux d’appartements se développent dans l’immeuble le Marceau 2, du 2e au 6e étage.
Une lance produisant un écran vertical (queue de paon) est établie afin de permettre l’entrée des équipes de reconnaissance dans l’immeuble. Un groupe urbain (deux engins pompes) est demandé en renfort à 12 h 55. Il faut attendre 13 h 10 pour que les équipes de GrDF réduisent la torchère à 4/5 m de haut, limitant considérablement bruit et rayonnement. Au sol, quelques véhicules brûlent encore.
Un ouvrier décédé, six personnes hospitalisées
Vers 13 h 30, la disparition de l’ouvrier intervenant sur la conduite est confirmée par ses collègues qui ne l’ont pas vu remonter de la tranchée. La zone de fouille est encore inaccessible. L’extinction des feux d’appartements est lancée vers 14 h. À mesure que les équipes, armées de trois lances, progressent d’étage en étage, les lances extérieures se concentrent sur les niveaux hauts. Cela afin de ne pas contrarier l’attaque intérieure. À 18 h, le feu est éteint dans tous les appartements.
Un périmètre de sécurité est établi à 100 m, alors que le barrage complet de la conduite est engagé à partir de 19 h. Seules les lances fixes sont en action. À 20 h 20 des foyers se réactivent aux 5e et 6e étages du Marceau 2, interrompant durant 30 minutes l’opération de barrage pour permettre l’extinction.
C’est à 22 h 27 que la fuite est barrée. Le corps de l’ouvrier est retrouvé à 3 h 11, enfoui dans la tranchée…
Deux personnes incommodées par la fumée et quatre marins-pompiers souffrant d’acouphènes sont hospitalisés. Et au total, 120 personnes sont passées au point de rassemblement des impliqués (PRI). L’explosion s’est produite alors qu’une entreprise sous-traitante de GrDF intervenait sur une conduite de 200 mm/4 bar dans une tranchée profonde de 3 m environ. Une enquête judiciaire est en cours afin d’en déterminer les circonstances. Alors que le rayonnement d’un incendie traditionnel est schématiquement sphérique, la torchère qui se forme immédiatement rayonne selon une forme cylindrique enrobant les façades des trois constructions les plus proches : le Marceau 2 à 12 m, l’immeuble en chantier à 7 m et l’hôpital à 20 m.
Des départs de feu simultanés
C’est ainsi que, malgré la présence de balcons profonds, les étages reçoivent un rayonnement horizontal sensiblement égal du 2e au 6e étage, entraînant des départs de feu simultanés. L’immeuble en chantier contient peu d’éléments combustibles à cette phase de construction. Quelques huisseries PVC, rambardes de bois et autres accumulations de cartons en feu sont vite balayées par les lances-canons. De nombreux véhicules particuliers et utilitaires sont stationnés en épi dans cette portion de rue. Six sont détruits et une dizaine endommagés.
L’hôpital, bien qu’à 20 m, est lui aussi menacé. Les baies de ses cinq étages ouvrent sur des couloirs, des locaux administratifs, des chambres. La destruction des premières couches de vitrages entraîne l’évacuation des services sur trois étages, par transfert horizontal. Sur décision du chef du service sécurité incendie et sûreté, et avec l’accord de la direction de l’hôpital, ce sont à chaque étage plus d’une vingtaine de patients, alités ou non (services de médecine interne, unité de soins longue durée, chirurgie vasculaire, etc.) qui sont déplacés, ainsi que les personnels administratifs des 1er et 5e étages.
L’efficacité des services de l’hôpital
La réponse efficace des services de sécurité, de sûreté, des services techniques, comme du personnel médical va limiter au minimum l’impact de ce sinistre, pourtant perçu comme très spectaculaire par ses occupants. Anticipant sur l’évolution possible de l’incendie extérieur, l’établissement va être placé en autonomie complète : ses groupes électrogènes sont lancés, le réseau d’oxygène coupé, auquel se substituent les réserves d’oxygène mobiles… Et pourtant vingt interventions en cours dans les blocs opératoires se déroulent sans aucune perception par les soignants de l’événement extérieur.
À 14 h 36, les services évacués sont réintégrés, sauf les quelques chambres aux vitrages brisés. À certains étages, les joints des huisseries ont commencé à brûler. Ils auraient pu déclencher la détection qui elle-même aurait lancé le désenfumage des couloirs, avec pour effet pervers d’aspirer les fumées extérieures par dépression en cas de bris des vitres. Enfin, un effet domino
aurait pu survenir : un véhicule était stationné à l’entrée de la rampe d’accès au sous-sol de l’hôpital, devant les raccords de remplissage des cuves de fuel. La chaleur à cet endroit a fait fondre les éléments de plastique. L’embrasement du véhicule aurait pu mettre en surpression les cuves et rejeter les vapeurs d’hydrocarbures par les évents disposés face à… la torchère.
Le COS prend les bonnes décisions
Les bonnes prises de décisions du service de sécurité, relayées sans faille par les services concernés connaissant parfaitement leur établissement, ont allégé les pompiers de la gestion d’un front supplémentaire, consommateur de personnel. L’officier assurant l’interface n’a finalement qu’à valider le bon déroulement des actions internes selon l’évolution des opérations extérieures.
Une des préoccupations du commandant des opérations de secours (COS) sur ce type de sinistre (que l’on ne rencontre que très peu de fois dans une carrière) a été d’une part, durant la première phase, de protéger les abords sans souffler la torchère. Et par la suite, de parer à toute sur-explosion durant la phase de barrage du gaz. C’est pour cela qu’il n’a autorisé le début du barrage que lorsque tous les foyers étaient éteints. Puis qu’il fait procéder à des relevés d’explosimétrie dans les égouts à la recherche de poches de gaz résiduelles, instaure un périmètre de sécurité vide de tout sauveteur durant le barrage, et fait interrompre la coupure par GrDF lorsque des foyers se sont réactivés dans les appartements, avant d’en autoriser la reprise.
C’est grâce à cette conduite rigoureuse des opérations que l’on ne compte, parmi les marins-pompiers, « que » quatre victimes de troubles auditifs, sur une opération aussi spectaculaire.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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