Naufrage du Costa Concordia

1 avril 201215 min

Même si les nouvelles générations de paquebots, immenses hôtels flottants bénéficiant des dernières innovations en matière de sécurité et de navigation informatisés, semblaient reléguer les grands naufrages du XXe siècle aux oubliettes, l’évacuation dans l’urgence d’un navire restera toujours, comme à terre, une équation à plusieurs inconnues…

Ceci est une légende Alt

Les habitants du petit port d’Isola del Giglio (Italie) ont l’habitude de voir surgir de la nuit, derrière la colline plongeant dans la mer, des montagnes de lumière flottante semblant frôler leur côte. Ponctuée de puissants coups de sirène, la manœuvre ravit insulaires et touristes en croisière.

Mais vers 21 h 45 ce vendredi 13 janvier 2012, rien ne va plus : le navire a déchiré son flanc bâbord sur des rochers, à une vitesse de 13 nœuds. L’énorme inertie de ses 114 500 t va encore le conduire près d’une heure et lui permettre, après une boucle de plus de 2 km, de s’échouer à quelques centaines de mètres du port de Giglio. Le navire accuse rapidement 8° de gîte vers tribord, probablement due au déplacement vers l’extérieur, lors du virage, de l’eau embarquée (phénomène de carène liquide). L’inquiétude des passagers est vite calmée par un message indiquant un problème électrique rapidement réglé puisque déjà l’éclairage revient grâce aux groupes de secours… La salle des machines informe la passerelle d’une importante brèche impossible à juguler. La gîte qui s’intensifie ne cadre pas avec le calme des messages diffusés. Aux passagers qui se pressent bientôt sans ordre, gilet de sauvetage au cou, au pont des embarcations, il est conseillé de retourner en cabine ou en salle à manger… L’impact a eu lieu voici 40 minutes environ !

Une évacuation tardive

22 h 30. Deux lourdes ancres sont abaissées afin de tenter de sortir d’eau la brèche par où la mer s’engouffre.

22 h 35. Le navire envoie enfin un message de détresse, déclenchant les secours. Déjà, à l’aide de leurs portables, des passagers avaient appelé les secours terrestres.

22 h 45. Sous la pression des passagers et voyant la gîte qui s’accentue, certains membres d’équipage décident, sans attendre d’ordre officiel, de charger des canots de sauvetage.

22 h 58. Le commandant donne l’ordre d’évacuer le navire.

23 h 10. Les premiers passagers sont évacués à bâbord et tribord.

Bientôt, le pont des embarcations tribord est au niveau de l’eau et le pont bâbord n’est plus utilisable. Si toutes les embarcations sont mises à l’eau à tribord, la situation va vite se dégrader à bâbord, à mesure que le paquebot se couche. Des chaloupes surchargées accrochent le bord, basculent dangereusement, certaines atteignent la mer, d’autres sont bloquées avant d’être sorties de leur berceau. Des canots gonflables sont descendus, avec plus ou moins de succès. Mais deux heures plus tard, la gîte atteint une soixantaine de degrés. Il ne reste plus aux passagers qui marchent maintenant sur les murs qu’à rejoindre, par des échelles souples, les canots qui font des norias de 300 m avec le port. Au-dessus du navire couché, les hélicoptères les éclairent de leurs projecteurs.

D’autres dispositifs tels que chaussettes d’évacuation ou toboggans gonflables équipent les plus récents navires, l’objectif étant de réduire au plus court les délais d’évacuation.

Peu avant 5 h, les opérations d’évacuation sont terminées. Sur les quais du petit port, noir de passagers transis, les structures d’accueil et de soins des secours, apportées par les moyens de divers organismes d’État (Vigili del Fuoco, Guardia di Finanza, Capitaneria di Porto…), les accueillent, traitent les blessés, les comptabilisent et les évacuent.

Un groupe de neuf cars conduit des Français jusqu’à Marseille où une structure d’accueil est dressée.

400 sauveteurs à la recherche des passagers manquants

Durant la première semaine, les sauveteurs vont pousser des investigations pour tenter de retrouver la vingtaine de personnes manquant encore à l’appel.

La tâche est titanesque : des milliers de locaux, souvent encombrés d’équipements renversés, de mobilier flottant, de moquettes et de revêtements muraux surnageant sont à inspecter. Jour et nuit, sauf interruptions lorsque les systèmes de visée installés sur la côte notent un mouvement du navire, une quinzaine de plongeurs s’engagent simultanément.

L’environnement est particulièrement dangereux dans ce piège instable qui peut se refermer sur eux. Près de la moitié du navire est immergée. Mais des poches d’air créant des zones de survie sont toujours possibles…

Au cours des premières 24 heures, un couple sera extrait de sa cabine, indemne. Puis c’est un commissaire de bord qui sera découvert dans une zone centrale près des escaliers, avec une jambe cassée.

Même si les chances s’amenuisent, les sauveteurs croient au miracle et fouillent l’épave jusqu’au 31 janvier où les recherches seront suspendues dans la partie immergée. Le 22 janvier, 400 sauveteurs – pompiers, marine, armée – intensifient les recherches. 20 % des cabines immergées ont été visitées…

15 jours après le naufrage, la récupération des 2 300 t de fuel contenu dans les cuves intactes commence, tandis que les plongeurs de l’armée créent à l’explosif des brèches dans les ponts, permettant d’atteindre plus facilement la zone des restaurants et du pont des embarcations tribord, submergé.

Un 17e corps est dégagé au bout de 15 jours. Huit corps sont localisés au pont n° 4 le 23 février puis cinq autres corps sont retrouvés portant le bilan à trente-deux morts dont deux disparus.

Si les techniques de traitement de l’épave sont encore à l’étude, découpage sur site ou après remorquage, coulage ou renflouage (peu envisagé), l’assurance du Concordia a déjà fait une première évaluation du coût du naufrage : 85 à 95 millions de dollars.

Ce qui a perdu le navire (navigation trop près de la côte) a sauvé la majorité de ses occupants (proximité des secours). Que se serait-il passé en pleine mer avec une gîte aussi rapide ?

Selon l’AFP, un officier de garde en salle des machines a témoigné avoir, lors de plusieurs précédents voyages où le Concordia s’était approché de l’île, ressenti de fortes vibrations dues à la proximité des fonds. Un signal qui aurait pu alerter les responsables.

Des navires toujours plus grands

Immeubles de très grande hauteur (ITGH), avions géants à plusieurs ponts et maintenant TGN (très grands navires) obligent à réajuster une réglementation répondant au dimensionnement du risque, réglementation qui « s’enrichit » de chaque cas concret, heureusement rare dans ce domaine.

Il n’existe théoriquement pas de limitation au gigantisme naval, grâce aux progrès apportés en matière de conception, méthodes de calcul, simulation, modélisation 3D. Paquebots, porte-conteneurs et autres pétroliers frôlent les 400 m !

L’évacuation de 4, 6, 8 000 passagers d’un navire est une lourde décision. Et le temps d’analyse de la situation, de l’opportunité d’évacuer ou non, peut être mis à mal par la gîte plus ou moins rapide que prend pendant ce temps le navire et l’affolement qu’il suscite. Au-delà de 20° de gîte on ne peut plus utiliser les embarcations de sauvetage. Quelques dizaines de minutes de réflexion en plus et c’est la moitié des capacités d’embarquement qui peut être neutralisée.

Ici, la totalité des chaloupes à tribord (côté île) a pu être descendue, l’inclinaison étant favorable et le niveau de la mer à moins de 10 m. Sur bâbord, c’est plus compliqué. Trois chaloupes resteront bloquées (environ 450 places perdues).

Panique à bord

Heureusement, le Concordia s’est échoué sur des hauts fonds. À quelques dizaines de mètres, les fonds passent à 70, puis 90 m. Compte tenu de la durée de l’évacuation, les victimes auraient pu alors se compter par centaines.

Choc violent et brève coupure de courant : les passagers savent qu’il se passe quelque chose d’important. La première mesure, dès que les groupes de secours ont pris le relais, est de les rassurer tandis qu’à la passerelle on évalue l’importance de l’avarie. Le commandant sait que l’ordre d’évacuer risque d’entraîner des mouvements de foule incontrôlés et des blessés – notre propos n’est pas ici de revenir sur la polémique sur son attitude largement relayée par la presse. Ce n’est qu’après avoir acquis la conviction que le navire est perdu, qu’il va effectuer une manœuvre tendant à rapprocher le navire au plus près de la côte et l’échouer sur des hauts fonds, avant de lancer l’évacuation. Mais c’est compter sans l’inclinaison rapide perçue et le sentiment partagé que l’on doit au plus vite quitter une structure sur laquelle on ne se sent plus en sécurité. L’équipage en charge de l’évacuation, préalablement alerté, se trouve alors confronté à une foule se pressant aux embarcations alors que les manœuvres préparatoires de sortie de celles-ci ne sont pas encore effectuées… En certains endroits, l’équipage cède et descend les chaloupes sans ordre.

Le comportement des occupants, dans un navire ou un ERP, est directement influencé par sa perception de l’événement. Odeur de brûlé, vision des flammes ou de la fumée vont accélérer l’évacuation d’un magasin, voire provoquer une panique injustifiée. Ici, bien que l’on diffuse des messages rassurants, l’environnement commence à s’incliner dangereusement… On n’attend pas l’ordre pour vouloir s’échapper.

Les passagers montés à la dernière escale (Civitavecchia) n’avaient pas encore participé à un exercice d’évacuation. Ils devaient le faire après l’escale de Savone, le lendemain, là où devait embarquer un important groupe de passagers. L’évacuation du navire a pu paraître lente (5 heures environ) alors que la réglementation internationale prévoit 30 minutes maxi entre le regroupement des passagers et la fin de l’évacuation. Mais la manœuvre s’effectue « idéalement » en plusieurs phases après la prise de décision : alerte sélective du personnel concerné, préparation des canots de sauvetage (positionnement hors de la coque), remplissage et descente. Mais c’est compter sans ces impondérables au bon déroulement de la manœuvre que sont la multiplicité des nationalités (passagers et équipage), la méconnaissance des lieux, la forte proportion de seniors, le sentiment de panique qui enfle alors que, de minute en minute, tout l’environnement bascule…

Pourtant, dans chaque cabine, les gilets de sauvetage portent le numéro et la place attribuée dans la chaloupe à rejoindre, positionnée du même bord que la cabine, un balisage lumineux signale les axes d’évacuation, etc.

Il est certain que le monde maritime, ébranlé par ce naufrage « inimaginable » techniquement, mais pourtant réel, va tirer les enseignements de ce drame. Bien que les opérations d’évacuation puissent être considérées comme un succès au regard du nombre d’occupants concernés, les moyens et procédures d’évacuation pourraient bien conduire à un ajustement de la réglementation internationale (OMI).

La direction technique des secours est assurée par les sapeurs-pompiers, à partir d’un poste de commandement unifié. Prévenus par la capitainerie du port, ils arrivent d’abord par les moyens nautiques des autres organismes d’État, puis trois bateaux-pompe de Livorno, Gênes et Civitavecchia gagnent la zone. Les moyens terrestres sont acheminés ensuite par ferry (structures de commandement, moyens de soutien et d’évacuation).

Les blessés sont transférés par ferry et autres moyens nautiques ou aériens vers les structures hospitalières de la péninsule.

Le Concordia, mis en service en 2006, est le premier d’une série de 5 navires de croisière identiques de Costa Croisières, compagnie génoise. Son coût est de 450 millions d’euros.

Long de 290 m (seulement 20 m de moins que le France), large de 35,50 m, il affiche un poids de 114 500 t et ses 17 ponts le font culminer à plus de 50 m au-dessus du niveau de la mer.

D’une capacité de 3 780 passagers, il emporte au moment de l’accident 3 206 passagers et 1 023 membres d’équipage.

Ses 1 500 cabines, dont 505 avec balcon, sont réparties sur 8 ponts. Leur disposition est sensiblement identique sur 7 des ponts : cabines à balcons sur l’extérieur desservies par de longs couloirs, encadrant des blocs de cabines sans ouverture sur l’extérieur, en îlot central.

Sur 3 ponts sont regroupés les grands volumes, restaurants, salons, boutiques, cinémas 4D et théâtres, dont les balcons s’étendent sur les 3 niveaux. C’est aussi là que sont regroupés les moyens d’évacuation (embarcations).

Un imposant atrium traverse les niveaux au premier tiers du navire. Escaliers et batteries d’ascenseurs le parcourent. Deux autres groupes de circulations verticales contenant escaliers et ascenseurs sont disposés au centre et à l’arrière du navire.

Face à l’incendie, risque le plus redouté des marins, les navires modernes disposent des équipements de détection, d’alerte et d’intervention les plus sophistiqués, servis par des équipes entraînées. Le compartimentage est particulièrement étudié et les locaux à risques disposent de systèmes d’extinction automatique faisant appel aux concepts d’extinction les plus adaptés (inertage, brumisation).

Évacuation : 24 embarcations sont réparties à bâbord et tribord, représentant pour chaque bord 67,5 % du nombre maximal d’occupants. Propulsées, totalement carénées, elles emportent kit de sécurité, trousses de secours, réserve d’eau et de nourriture, instruments de signalisation et moyens de communication. Elles sont régulièrement inspectées par les organismes de certification concernés (registre naval italien). S’y ajoutent des dizaines de radeaux gonflables couverts.

Lors d’une croisière, un exercice doit avoir lieu dans les 24 heures suivant l’embarquement. Outre la connaissance des procédures d’évacuation, l’exercice permet d’identifier les points de regroupement, l’itinéraire, encadré par l’équipage, et le rassemblement sur le pont d’embarquement, face à la chaloupe affectée.

Tous les membres d’équipage effectuent un exercice toutes les deux semaines. Tout le personnel embarqué est détenteur du BST (Basic Safety Training, formation sécurité de base).

Le navire comporte un cloisonnement étanche constitué d’une quinzaine de compartiments de 15 à 20 m. Il doit pouvoir rester à flot avec deux d’entre eux inondés. Mais la déchirure du Concordia, longue de 60 m environ, en inondait au moins trois…

La démocratisation des croisières (20 millions de passagers annuels) a conduit les compagnies à concevoir des navires de plus en plus grands.

L’Oasis of the Seas est l’un des deux plus gros navires de croisière du monde : 360 m de long, 47 de large, 65 de haut. Équipage et passagers totalisent 8 800 personnes à « caser », en cas d’évacuation dans 16 maxi-chaloupes. Il empile 2 700 cabines et 28 suites, possède une rue centrale plantée d’arbres, bordée de magasins, possède 21 piscines dont 2 à vagues, 2 murs d’escalade, des manèges, un parc aquatique et… 62 plans de vigne !

Concernant les navires de croisière, nous avons relaté en son temps l’incendie, fin 1990, du Monarch of the Seas, durant sa construction aux Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, qui s’était soldé par la destruction et le remplacement d’un tiers du navire.

Un fleuron des paquebots français des années 60, L’Antilles, de la Compagnie Générale Transatlantique, connut un sort semblable au Concordia, en 1971 : navigation trop près de la côte, déchirure du flanc, fuite de fuel et inflammation au contact d’étincelles. Bilan, un incendie s’ajoutant à l’échouage et signant la perte définitive du navire. Aucune victime parmi les 635 passagers !

Ces dernières décennies, ce sont surtout des ferries qui, à travers le monde, ont sombré. Parmi eux, le naufrage en mer du Nord, en 1987, d’un ferry quelques instants après sa sortie du port de Zeebruge. Sa porte arrière, laissée ouverte, avait embarqué des paquets de mer et créé une « carène liquide » (perte de stabilité) faisant couler le navire. 193 morts.

1994, le naufrage de l’Estonia au large de la Finlande coûte la vie à 852 personnes !

L’évocation des drames de la mer est toujours hantée par le naufrage du Titanic, symbole de la confiance aveuglément accordée à la technologie, en occultant un peu trop vite le facteur humain, dès lors que plusieurs milliers de personnes souhaitent au plus vite quitter un environnement hostile, avec en corollaire tous les comportements primitifs engendrés… et si difficiles à mettre en équation.

Le samedi 14 janvier 2012, les sauveteurs, qui ont opéré dans la partie submergée en utilisant les techniques spéléo, alpine et fluviale, et les plongeurs disposent des plans complets du paquebot, leur permettant d’articuler leurs recherches selon trois phases:

  • phase 1 : recherche « expéditive » de personnes repérées vivantes et conscientes (3 jours) ;
  • phase 2 : recherche « par objectifs » où la présence de victimes est plus probable : lieux communs, cabines des disparus ;
  • phase 3 : recherche « systématique » visant à compléter le contrôle des locaux, hiérarchisée selon leur accessibilité.

Les plongeurs, encordés, ont rencontré des difficultés au niveau des conditions réduites d’accessibilité, l’étroitesse des cheminements, la présence d’objets flottants et le manque de voies de repli d’urgence.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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