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Naufrage du Costa Concordia
Même si les nouvelles générations de paquebots, immenses hôtels flottants bénéficiant des dernières innovations en matière de sécurité et de navigation informatisés, semblaient reléguer les grands naufrages du XXe siècle aux oubliettes, l’évacuation dans l’urgence d’un navire restera toujours, comme à terre, une équation à plusieurs inconnues…
Les habitants du petit port d’Isola del Giglio (Italie) ont l’habitude de voir surgir de la nuit, derrière la colline plongeant dans la mer, des montagnes de lumière flottante semblant frôler leur côte. Ponctuée de puissants coups de sirène, la manœuvre ravit insulaires et touristes en croisière.
Mais vers 21 h 45 ce vendredi 13 janvier 2012, rien ne va plus : le navire a déchiré son flanc bâbord sur des rochers, à une vitesse de 13 nœuds. L’énorme inertie de ses 114 500 t va encore le conduire près d’une heure et lui permettre, après une boucle de plus de 2 km, de s’échouer à quelques centaines de mètres du port de Giglio. Le navire accuse rapidement 8° de gîte vers tribord, probablement due au déplacement vers l’extérieur, lors du virage, de l’eau embarquée (phénomène de carène liquide). L’inquiétude des passagers est vite calmée par un message indiquant un problème électrique rapidement réglé puisque déjà l’éclairage revient grâce aux groupes de secours… La salle des machines informe la passerelle d’une importante brèche impossible à juguler. La gîte qui s’intensifie ne cadre pas avec le calme des messages diffusés. Aux passagers qui se pressent bientôt sans ordre, gilet de sauvetage au cou, au pont des embarcations, il est conseillé de retourner en cabine ou en salle à manger… L’impact a eu lieu voici 40 minutes environ !
Une évacuation tardive
22 h 30. Deux lourdes ancres sont abaissées afin de tenter de sortir d’eau la brèche par où la mer s’engouffre.
22 h 35. Le navire envoie enfin un message de détresse, déclenchant les secours. Déjà, à l’aide de leurs portables, des passagers avaient appelé les secours terrestres.
22 h 45. Sous la pression des passagers et voyant la gîte qui s’accentue, certains membres d’équipage décident, sans attendre d’ordre officiel, de charger des canots de sauvetage.
22 h 58. Le commandant donne l’ordre d’évacuer le navire.
23 h 10. Les premiers passagers sont évacués à bâbord et tribord.
Bientôt, le pont des embarcations tribord est au niveau de l’eau et le pont bâbord n’est plus utilisable. Si toutes les embarcations sont mises à l’eau à tribord, la situation va vite se dégrader à bâbord, à mesure que le paquebot se couche. Des chaloupes surchargées accrochent le bord, basculent dangereusement, certaines atteignent la mer, d’autres sont bloquées avant d’être sorties de leur berceau. Des canots gonflables sont descendus, avec plus ou moins de succès. Mais deux heures plus tard, la gîte atteint une soixantaine de degrés. Il ne reste plus aux passagers qui marchent maintenant sur les murs qu’à rejoindre, par des échelles souples, les canots qui font des norias de 300 m avec le port. Au-dessus du navire couché, les hélicoptères les éclairent de leurs projecteurs.
D’autres dispositifs tels que chaussettes d’évacuation ou toboggans gonflables équipent les plus récents navires, l’objectif étant de réduire au plus court les délais d’évacuation.
Peu avant 5 h, les opérations d’évacuation sont terminées. Sur les quais du petit port, noir de passagers transis, les structures d’accueil et de soins des secours, apportées par les moyens de divers organismes d’État (Vigili del Fuoco, Guardia di Finanza, Capitaneria di Porto…), les accueillent, traitent les blessés, les comptabilisent et les évacuent.
Un groupe de neuf cars conduit des Français jusqu’à Marseille où une structure d’accueil est dressée.
400 sauveteurs à la recherche des passagers manquants
Durant la première semaine, les sauveteurs vont pousser des investigations pour tenter de retrouver la vingtaine de personnes manquant encore à l’appel.
La tâche est titanesque : des milliers de locaux, souvent encombrés d’équipements renversés, de mobilier flottant, de moquettes et de revêtements muraux surnageant sont à inspecter. Jour et nuit, sauf interruptions lorsque les systèmes de visée installés sur la côte notent un mouvement du navire, une quinzaine de plongeurs s’engagent simultanément.
L’environnement est particulièrement dangereux dans ce piège instable qui peut se refermer sur eux. Près de la moitié du navire est immergée. Mais des poches d’air créant des zones de survie sont toujours possibles…
Au cours des premières 24 heures, un couple sera extrait de sa cabine, indemne. Puis c’est un commissaire de bord qui sera découvert dans une zone centrale près des escaliers, avec une jambe cassée.
Même si les chances s’amenuisent, les sauveteurs croient au miracle et fouillent l’épave jusqu’au 31 janvier où les recherches seront suspendues dans la partie immergée. Le 22 janvier, 400 sauveteurs – pompiers, marine, armée – intensifient les recherches. 20 % des cabines immergées ont été visitées…
15 jours après le naufrage, la récupération des 2 300 t de fuel contenu dans les cuves intactes commence, tandis que les plongeurs de l’armée créent à l’explosif des brèches dans les ponts, permettant d’atteindre plus facilement la zone des restaurants et du pont des embarcations tribord, submergé.
Un 17e corps est dégagé au bout de 15 jours. Huit corps sont localisés au pont n° 4 le 23 février puis cinq autres corps sont retrouvés portant le bilan à trente-deux morts dont deux disparus.
Si les techniques de traitement de l’épave sont encore à l’étude, découpage sur site ou après remorquage, coulage ou renflouage (peu envisagé), l’assurance du Concordia a déjà fait une première évaluation du coût du naufrage : 85 à 95 millions de dollars.
Ce qui a perdu le navire (navigation trop près de la côte) a sauvé la majorité de ses occupants (proximité des secours). Que se serait-il passé en pleine mer avec une gîte aussi rapide ?
Selon l’AFP, un officier de garde en salle des machines a témoigné avoir, lors de plusieurs précédents voyages où le Concordia s’était approché de l’île, ressenti de fortes vibrations dues à la proximité des fonds. Un signal qui aurait pu alerter les responsables.
Des navires toujours plus grands
Immeubles de très grande hauteur (ITGH), avions géants à plusieurs ponts et maintenant TGN (très grands navires) obligent à réajuster une réglementation répondant au dimensionnement du risque, réglementation qui « s’enrichit » de chaque cas concret, heureusement rare dans ce domaine.
Il n’existe théoriquement pas de limitation au gigantisme naval, grâce aux progrès apportés en matière de conception, méthodes de calcul, simulation, modélisation 3D. Paquebots, porte-conteneurs et autres pétroliers frôlent les 400 m !
L’évacuation de 4, 6, 8 000 passagers d’un navire est une lourde décision. Et le temps d’analyse de la situation, de l’opportunité d’évacuer ou non, peut être mis à mal par la gîte plus ou moins rapide que prend pendant ce temps le navire et l’affolement qu’il suscite. Au-delà de 20° de gîte on ne peut plus utiliser les embarcations de sauvetage. Quelques dizaines de minutes de réflexion en plus et c’est la moitié des capacités d’embarquement qui peut être neutralisée.
Ici, la totalité des chaloupes à tribord (côté île) a pu être descendue, l’inclinaison étant favorable et le niveau de la mer à moins de 10 m. Sur bâbord, c’est plus compliqué. Trois chaloupes resteront bloquées (environ 450 places perdues).
Panique à bord
Heureusement, le Concordia s’est échoué sur des hauts fonds. À quelques dizaines de mètres, les fonds passent à 70, puis 90 m. Compte tenu de la durée de l’évacuation, les victimes auraient pu alors se compter par centaines.
Choc violent et brève coupure de courant : les passagers savent qu’il se passe quelque chose d’important. La première mesure, dès que les groupes de secours ont pris le relais, est de les rassurer tandis qu’à la passerelle on évalue l’importance de l’avarie. Le commandant sait que l’ordre d’évacuer risque d’entraîner des mouvements de foule incontrôlés et des blessés – notre propos n’est pas ici de revenir sur la polémique sur son attitude largement relayée par la presse. Ce n’est qu’après avoir acquis la conviction que le navire est perdu, qu’il va effectuer une manœuvre tendant à rapprocher le navire au plus près de la côte et l’échouer sur des hauts fonds, avant de lancer l’évacuation. Mais c’est compter sans l’inclinaison rapide perçue et le sentiment partagé que l’on doit au plus vite quitter une structure sur laquelle on ne se sent plus en sécurité. L’équipage en charge de l’évacuation, préalablement alerté, se trouve alors confronté à une foule se pressant aux embarcations alors que les manœuvres préparatoires de sortie de celles-ci ne sont pas encore effectuées… En certains endroits, l’équipage cède et descend les chaloupes sans ordre.
Le comportement des occupants, dans un navire ou un ERP, est directement influencé par sa perception de l’événement. Odeur de brûlé, vision des flammes ou de la fumée vont accélérer l’évacuation d’un magasin, voire provoquer une panique injustifiée. Ici, bien que l’on diffuse des messages rassurants, l’environnement commence à s’incliner dangereusement… On n’attend pas l’ordre pour vouloir s’échapper.
Les passagers montés à la dernière escale (Civitavecchia) n’avaient pas encore participé à un exercice d’évacuation. Ils devaient le faire après l’escale de Savone, le lendemain, là où devait embarquer un important groupe de passagers. L’évacuation du navire a pu paraître lente (5 heures environ) alors que la réglementation internationale prévoit 30 minutes maxi entre le regroupement des passagers et la fin de l’évacuation. Mais la manœuvre s’effectue « idéalement » en plusieurs phases après la prise de décision : alerte sélective du personnel concerné, préparation des canots de sauvetage (positionnement hors de la coque), remplissage et descente. Mais c’est compter sans ces impondérables au bon déroulement de la manœuvre que sont la multiplicité des nationalités (passagers et équipage), la méconnaissance des lieux, la forte proportion de seniors, le sentiment de panique qui enfle alors que, de minute en minute, tout l’environnement bascule…
Pourtant, dans chaque cabine, les gilets de sauvetage portent le numéro et la place attribuée dans la chaloupe à rejoindre, positionnée du même bord que la cabine, un balisage lumineux signale les axes d’évacuation, etc.
Il est certain que le monde maritime, ébranlé par ce naufrage « inimaginable » techniquement, mais pourtant réel, va tirer les enseignements de ce drame. Bien que les opérations d’évacuation puissent être considérées comme un succès au regard du nombre d’occupants concernés, les moyens et procédures d’évacuation pourraient bien conduire à un ajustement de la réglementation internationale (OMI).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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