Panique et bousculades

1 décembre 201014 min

Le 22 novembre 2010, lors de la Fête des Eaux, une bousculade sur un pont de Phnom Penh au Cambodge fait 347 morts. Ce n’est pas la première fois que des rassemblements deviennent meurtriers. Quels enseignements en tirer ? Retour sur plusieurs catastrophes.

Ceci est une légende Alt

À y regarder de plus près, la plupart des mouvements de foules meurtriers n’a jamais une seule cause comme on l’imagine d’ordinaire. Ainsi à Paris, le 4 mai 1897, lors de l’incendie du Bazar de la Charité il y eut :

  • la mise en place d’une nouvelle technologie peu maîtrisée et particulièrement inflammable (le cinéma n’avait que deux ans et fonctionnait avec des bouteilles d’éther) ;
  • la multiplicité des intervenants diluant à la fois la mise en œuvre et la responsabilité de la sécurité (le Bazar était un regroupement d’associations dans un seul local) ;
  • un bâtiment très combustible et sans recoupement (96 x 13 m en bois) pourvu de 22 comptoirs répartis autour d’une allée centrale ;
  • une seule issue (porte-battante) ;
  • un plafond goudronné ;
  • un public trop nombreux (1 200 per sonnes), essentiellement composé de femmes dont la toilette de l’époque était extrêmement inflammable et rendait la fuite particulièrement malaisée.

Cet incendie, qui aurait causé la mort de 126 personnes (118 femmes, 6 hommes) et fait 200 blessés – les chiffres varient selon les sources – constitue un cas d’école tant on y retrouve une accumulation de facteurs aggravants.

L’erreur : revenir sur ses pas

Dans ce cas comme dans bien d’autres, le temps qui s’écoule entre la perception d’une anomalie et une réaction doit être extrêmement réduit. Un mauvais choix peut mettre en péril sa propre vie ou celle des autres.

Très souvent, les personnes cherchent à revenir sur leur pas pour emprunter le chemin qu’ils ont suivi pour venir. Dans l’incendie du Bazar, le feu a débuté à l’extrémité du hangar, sous un appentis qui abritait le cinématographe. De ce côté, le hangar donne sur une cour intérieure. Or, nombreux sont les spectateurs qui, pourtant à proximité immédiate de la cour, cherchent à fuir par la porte d’entrée, déjà encombrée, générant ainsi panique, piétinements, bousculades… En revanche, quelques autres s’enfuient par la cour intérieure et, avec l’aide de deux personnes extérieures, descellent des barreaux et s’échappent par cette nouvelle issue.

Autre exemple, lors de l’incendie du stade de Bradford le 11 mai 1985 (56 morts, 260 blessés) tout se passe en moins de cinq minutes. Selon l’enquête, un mégot a allumé les détritus accumulés sous les gradins en bois. Les pompiers avaient d’ailleurs signalé le risque la semaine précédente. La plupart des spectateurs ont fui en franchissant le mur qui les sépare du terrain, mais les enfants et les personnes âgées sont revenus sur leurs pas et ont cherché à fuir par l’entrée. Les grilles de celles-ci étaient verrouillées pour éviter les resquilleurs. C’est là que la plupart des victimes ont été retrouvées (lire l’encadré «Foules et foot»).

Quant à l’incendie du théâtre Ring à Vienne en 1881, sur les 899 morts, 180 se sont défenestrés.

Issues bloquées

Pris séparément, les différents facteurs ne conduisent pas systématiquement au drame mais il suffit que deux d’entre eux soient réunis pour aboutir irrémédiablement à un bilan humain important. Et ce sont souvent les mêmes, ce qui fait dire que l’histoire se répète.

Prenons l’incendie de la discothèque le « 5-7 » à Saint-Laurent-du-Pont (Isère), le 1er novembre 1970 (voir schéma ci-dessous). Deux issues de secours sont cadenassées pour éviter les resquilleurs, une première sortie est étroite, une seconde dispose de deux tourniquets bloqués dans le sens de la sortie. L’ancien hangar a été aménagé en piste de danse grâce à l’emploi massif de polyuréthane en partie supérieure de la salle et pour les décors. 146 personnes décèdent. Selon l’enquête, l’installation de chauffage est à l’origine du départ de feu.

Dessin FI n° 424 02 - Crédit: René Dosne

Sept ans plus tard aux États-Unis, l’incendie d’une discothèque de Southgate (Kentucky) conduit à la mort de 164 personnes et fait 130 blessés, la découverte tardive du foyer et l’évacuation désordonnée des occupants sont compliqués par la propagation du feu dans les plafonds suspendus.

10 août 1903, à la suite d’un court-circuit dans le métro parisien, le chauffeur demande aux voyageurs d’évacuer, mais l’un d’eux demande qui va rembourser les billets. D’autres le suivent pour interroger le chauffeur. 84 morts.

Le 20 février 2003, un concert est donné sur la scène du Station Nightclub (Rhode Island). Les images sont impressionnantes, le document exceptionnel. Au moment d’un riff de guitare, des feux d’artifice se déclenchent et enflamment immédiatement des cloisons de polyuréthane.

Tout le monde n’a pas réalisé et continue de danser. Après 30 secondes, les flammes ont atteint le plafond. Mais le groupe joue toujours. Le vidéaste amateur se dirige vers la sortie. L’alarme s’est bien déclenchée. La fumée est d’ailleurs très abondante, chaude et noire. Les sorties sont mal dimensionnées pour l’effectif du concert. Surtout, là encore, la plupart cherche à fuir par l’entrée. Une cohue se crée. À l’extérieur, on tire les corps qui s’entassent les uns sur les autres pour sortir de la fournaise.

La séquence dure moins de dix minutes. À l’arrivée des pompiers, il est trop tard. Le bâtiment, en proie aux flammes, s’effondre. 100 personnes trouvent la mort, la plupart asphyxiées.

1er août 2004, incendie d’un centre commercial d’Asunción (Paraguay). Le responsable du centre bloque les issues de secours pour éviter que les clients ne sortent sans payer. 464 morts.

Au CroMagnon Republica Club de Buenos Aires (Argentine) le 30 décembre 2004, c’est de nouveau le même scénario : inflammation de la scène puis du plafond, qui dispose d’un revêtement acoustique à base de nylon. Des gouttes enflammées, moins de 60 secondes après le départ de feu, tombent sur le public. Une fumée épaisse emplit la salle. Une difficulté de plus : près des toilettes femmes, une crèche est installée si bien que certains fuient vers la sortie, d’autres cherchent leurs enfants. Confusion, cris, panique, bousculade. 194 morts plus de 700 blessés.

Trop de monde à l’intérieur

Enfin plus récemment, le 5 décembre 2009 en Russie. La soirée bat son plein au Khromaya Loshad (« le cheval boiteux »), un amateur filme la scène. Un feu d’artifice est tiré. Il enflamme immédiatement le plafond munis de décors en plastique. Epaisses fumées noires. Encore un effectif trop important, des multiples combustibles dans la salle, trop peu de sorties. Et quand elles existent, elles sont encombrées par des caisses où les portes battantes ne sont qu’à demi ouvertes. Plus de 150 morts et autant de blessés graves.

Les leçons à tirer

De tous ces drames, que retenir ? Tout d’abord qu’il est essentiel de réaliser une analyse de risque avant chaque événement pour anticiper au mieux. Celle-ci doit être supervisée par une seule personne qui maîtrisera l’ensemble des aspects sécurité et sûreté et sera l’interlocuteur privilégié des autorités publiques.

Pour conduire à bien l’analyse de risque, le responsable doit avant tout être informé et prendre en compte les signaux faibles – avant, pendant et après l’événement – qu’il s’agisse de signaux venant de la foule ou de l’environnement. Être informé signifie connaître le public, sa typologie, l’effectif prévisible, ses habitudes, son comportement probable : le public d’un concert n’est pas le même que celui d’un match de football.

Ensuite comme l’anticipation a ses limites, il faut, autant que possible, éliminer tous les obstacles – qui peuvent se transformer en pièges (goulot d’étranglement, mobiliers, disponibilités des dégagements) – et si possible réguler les flux. Cela demande un dosage précis et du sang-froid. Interdire l’accès parce que l’effectif est atteint peut conduire à des débordements…

On le voit, rien n’est simple. Cela suppose une organisation conséquente et des moyens techniques, mais surtout humains importants en particulier pour assurer une communication efficace entre les services de l’organisation et avec le public.

Prévue de longue date, la manifestation n’était autorisée par la mairie de Duisbourg (Allemagne) que le matin même, après de multiples réserves des pompiers locaux.

L’année précédente, la manifestation prévue à Bochum avait été annulée pour des raisons de sécurité. L’organisateur, qui a repris le concept berlinois dès 2007 pour l’exporter dans le bassin de la Ruhr, souhaitait qu’elle ait lieu cette année. Dans une ville où le taux de chômage est important, la mairie voulait redorer le blason d’une citée qui a vécu longtemps du charbon et de la sidérurgie et est connue pour sa criminalité liée à la mafia.

Les organisateurs avaient donc obtenu une dérogation concernant les issues de secours. Duisbourg compte 500 000 habitants. Ce jour-là, jusqu’à 1,4 million de personnes assistaient à l’événement. La manifestation se tenait sur le terrain d’une ancienne gare de marchandises. La foule affluait, d’abord piétinant à l’entrée puis, après une ouverture tardive, traversait un tunnel. A sa sortie étaient disposés des stands de nourriture et de boisson. C’est le seul accès au site. Le flux des entrants est mal régulé si bien qu’un embouteillage se crée en sortie du tunnel. Alors que la pression augmente, certains décident, pour fuir, d’emprunter un escalier initialement interdit qui permet d’entrer sur le site de la Love-Parade. Un afflux soudain se concentre sur cet escalier. C’est à son pied que la plupart des jeunes sont morts.

Les représentations en plein air ou couvertes ont souvent conduit à des effets de panique liés à des incendies. Rien d’étonnant à cela : elles réunissent un public important, parfois au-delà de l’effectif théorique, et mettent en scène des accessoires qui peuvent à un moment ou à un autre déclencher un incendie (bougies, feux d’artifice, lampes) et conduire à une évacuation aussi rapide que désordonnée. L’histoire a fourni de nombreux exemples, dans une multitude de lieux ouverts au public.

  • Les cirques : Le Lehmann de Saint-Pétersbourg en 1836 – 800 morts, le Niteroi au Brésil en 1961 – 400 morts ;
  • Les théâtres plus souvent : Canton en 1845 – 1670 morts, l’Opéra comique de Paris en 1887 – 90 morts, l’Iroquois de Chicago en 1903 – 602 morts, celui d’Antong en Chine en 1937 – 700 morts, celui de Karamay dans le Xinjiang, Chine en 1994 – 324 morts ;
  • Les cinémas plus récemment : Le Sélect de Rueil- Malmaison en 1947 – 89 morts, Le Rex d’Abadan en Iran en 1978 – 425 morts, et plusieurs théâtres qui furent les premiers où se déroulaient les séances.
  • Le 24 mai 1964, une finale de football se joue à Lima (Pérou) pour désigner qui, de l’équipe locale ou de l’équipe d’Argentine, ira aux jeux olympiques de Tokyo. 47 000 spectateurs sont présents. A quelques minutes de la fin, alors que l’Argentine mène, le Pérou inscrit un but refusé par l’arbitre. Deux spectateurs descendent sur le terrain pour en découdre. Début d’émeute à laquelle les policiers répliquent par des tirs de gaz lacrymogènes. Les spectateurs qui fuient se heurtent à des grilles fermées. 314 morts et 800 blessés.
  • Le 20 octobre 1982, le Spartak Moscou affronte le HFC Harlem lors d’un match retour de la coupe de l’UEFA au stade Luzhniki. A quelques minutes de la fin, l’équipe locale mène 1-0 et les tribunes se vident progressivement, mais un second but est marqué par le Spartak si bien que des fans reviennent vers le terrain. Les portes du stade ne sont pas ouvertes et les deux flux se croisent dans les escaliers encombrés. Très vite tout bascule dans une sorte de domino humain géant. 67 morts selon les autorités, mais des estimations non-vérifiées parlent de 300.
  • Un drame qui rappelle celui survenu en Grèce moins d’un an plus tôt. Pour célébrer la victoire de leur équipe contre l’AEK d’Athènes, les supporters de l’Olympiakos se ruent à l’extérieur du stade. Certains tombent dans les marches au pied de la porte 7 qui n’est que partiellement ouverte. 21 morts.
  • Le 29 mai 1985 est resté tristement célèbre parce qu’une équipe de la Télévision suisse romande était présente et a filmé l’intégralité du mouvement de panique. Le stade belge du Heysel est plein. Supporters de Liverpool et de la Juventus de Turin sont au coude à coude. Un simple grillage les sépare. Près de 50 policiers pour 30 000 spectateurs. Très vite les choses s’enveniment, le grillage tombe et les hooligans de Liverpool chargent la tribune italienne qui tente de se disperser vers le terrain ou sur les côtés. Elle se heurte à des grilles et un mur (qui s’effondre sous le poids). 39 morts et près de 500 blessés.
  • Liverpool fait une nouvelle fois l’actualité quatre ans plus tard. Le 15 avril 1989, son équipe affronte Nottigham Forest au stade de Hillsborough. Encore des grillages qui séparent le terrain des tribunes. Les bus ont été pris dans les embouteillages et un seul guichet muni de tourniquet doit absorber la foule. Devant l’afflux, la police ouvre un autre guichet sans tourniquet mais qui mène, après un long tunnel à une tribune déjà pleine. C’est l’émeute. Certains escaladent les tribunes pour rejoindre les places qui surplombent, d’autres tentent de faire sauter les grillages qui séparent du terrain. Pour beaucoup, il est déjà trop tard : 96 morts. A la suite de ces incidents, les grillages disparaissent des stades de football européens, mais les bousculades meurtrières continuent ailleurs.
  • Le 13 janvier 1991, à Orkney, en Afrique du Sud, 40 morts suite à des affrontements après l’annulation d’un but par l’arbitre.
  • 10 ans plus tard, à Johannesburg, une bousculade fait 43 morts lors d’un match opposant les mêmes équipes. Des supporteurs sans billet ont forcé l’entrée du stade déjà plein.
  • A Accra, au Ghana, la police réagit avec des grenades lacrymogènes à des tirs de projectiles sur la pelouse. Les spectateurs tentent de s’enfuir par les issues bloquées. 126 morts.
  • A Chililabombwe, en Zambie, le 2 juin 2007, 12 morts pendant une bousculade quelques minutes avant la fin du match. Le public cherchait à partir avant la nuit en forçant les tourniquets.
  • A Abidjan, le 29 mars 2009, 19 morts lors du match de qualification au Mondial. Le public en possession de billets cherche à entrer dans les tribunes avant le coup d’envoi.

Le 7 février 2002, veille de vacances, l’IUT de Morlaix (Finistère) a confié à une agence l’organisation d’une soirée dansante sur le parc de la Penfeld à Brest. Vers 22 heures, deux files d’attente à l’entrée : l’une pour ceux munis de billets, l’autre pour ceux qui n’en ont pas. Plus de billets que de places ont été vendus. Vers minuit, les files, qui étaient séparées par des barrières métalliques, n’en font plus qu’une, en entonnoir vers l’entrée. Derrière on pousse, des étudiants tombent. Une porte latérale s’ouvre. Près de 1 000 personnes, selon l’enquête, se précipitent vers cette entrée qui est refermée et provoque un mouvement de reflux. Ceux qui sont tombés ne se sont pas relevés et sont piétinés, certains sont écrasés contre les portes vitrées – qui doivent s’ouvrir vers l’extérieur. Bilan, cinq étudiants meurent.

L’organisateur de la fête et le dirigeant de l’entreprise de sécurité privée ont été condamnés à 18 mois de prison dont 12 avec sursis. Le directeur du parc des expositions a écopé, pour sa part, d’une amende de 20 000 €. Le responsable des agents de sécurité a lui été relaxé.

Cette tragique soirée était la vingtième étape d’une tournée émaillée d’incidents : début d’incendie à Strasbourg, bagarre à Bordeaux, problème de sécurité à Reims…

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David Kapp, journaliste

David Kapp – Journaliste

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