Déraillement explosif en Italie

1 février 201011 min

La catastrophe ferroviaire dans la ville de Viareggio près de Florence provoque un nuage de gaz qui ne tarde pas à exploser, faisant de nombreuses victimes.

Ceci est une légende Alt

Lundi 29 juin 2009, peu avant minuit. Un convoi de 14 wagons citernes de GPL de 120 m³ chacun reliant La Spezia à Pise traverse l’agglomération de Viareggio, près de Florence, à 90 km/h (sous la vitesse autorisée de 100 km/h). Les mécaniciens constatent alors que le premier wagon est sorti de la voie puis s’est couché sur le ballast, entraînant les quatre wagons suivants.

Le choc de la citerne contre une poutrelle dépassant du sol la déchire, provoquant immédiatement une fuite de GPL qui passe alors en phase gazeuse, se répandant rapidement dans les cours, les jardins, les rues bordant les voies…

En quelques instants, les wagons sont environnés d’un nuage de gaz qui explose tout juste après que les mécaniciens ont pu se mettre à l’abri dans une rue séparée des voies par un mur.

Dessin RD FI n° 460 - Crédit: René Dosne

Nous sommes en zone urbaine, les premières maisons de deux à trois étages ne sont qu’à 40 m du wagon fuyard. En quelques minutes, le GPL, très fluide, se répand jusqu’à une rue longue de 200 m environ, parallèle aux voies.

Le centre de secours des pompiers n’est pas loin. Pourtant, ceux-ci arrivent après l’inflammation dévastatrice du nuage de gaz, due probablement au contact d’une voiture en circulation.

Des dizaines d’habitants, vraisemblablement sortis de chez eux suite au vacarme du déraillement, sont fauchés par l’inflammation brutale, ainsi que d’autres circulant en voiture, en scooter… Deux petits immeubles s’effondrent, emprisonnant des occupants. De nombreux départs d’incendie se produisent, tous les véhicules en stationnement s’embrasent sur le passage du nuage de GPL.

Une dizaine de petits immeubles sont ravagés dans un rayon de 300 m.

Un camion citerne, dont on ne sait s’il est plein, est stoppé à l’entrée de la rue, tracteur en feu.

Image FI n° 460 02 - Crédit: Vigil del fuoco

Voitures, maisons et occupants ont été balayés en quelques minutes par la vague de feu.

Les renforts arrivent de toute part

Sur la voie ferrée, large de 60 m à cet endroit et surplombée d’une passerelle de béton, le premier wagon détaché de la motrice et du deuxième wagon est en feu. Il est isolé du reste du convoi, distant d’une vingtaine de mètres. Autour, les traverses de bois sont également la proie des flammes.

Le siège de la « Croix verte », un organisme privé qui fournit des services d’ambulance, situé dans la zone, est touché et l’essentiel de ses ambulances est détruit.

Au cours de la première heure, un périmètre de sécurité de 300 m est instauré. Un millier d’habitants est évacué devant le risque de Bleve ou de fuites sur les trois wagons suivants, couchés et que l’on ne peut approcher.

Tandis que la lutte contre l’incendie est engagée par les sapeurs-pompiers locaux, la région Toscane et les brigades de sapeurs-pompiers de Rome, Venise et Milan envoient nombre d’autres équipes, parmi lesquelles des spécialistes du risque NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique). Au total, cent sapeurs-pompiers mais aussi beaucoup de fonctionnaires et six commandants des opérations sont à l’œuvre.

La prise en charge des nombreuses victimes, souffrant principalement de graves brûlures, est organisée. Deux hôpitaux régionaux les accueillent, mais certains brûlés graves sont répartis dans les établissements spécialisés de Turin, Milan…

Ce n’est qu’en fin de nuit, vers 5 h 30, que les incendies sont maîtrisés, la situation restant cependant sensible tant que les quatre wagons couchés ne seront pas sécurisés et vidangés.

Le mercredi 1er juillet, les opérations de vidange des wagons débutent à l’aide de torchères mobiles, sous la protection d’un dispositif de refroidissement. Elles ne se termineront que le lundi suivant.

Après le dépotage complet des wagons et la sécurisation du site par les pompiers, les habitants peuvent réintégrer les habitations comprises dans le périmètre de sécurité, alors que des disparus sont toujours recherchés dans une maison effondrée. 80 personnes sont hébergées à l’hôtel ou dans des logements temporaires.

Image FI n° 460 03 - Crédit: Vigil del fuoco

C’est seulement quatre jours après l’accident que deux voies sur huit seront remises en circulation.

Le matin du vendredi 3 juillet, deux des huit voies sont rouvertes à la circulation et le 1er convoi franchit la gare de Viareggio peu avant 6 h 00. Le 4 juillet, les pompiers cessent les recherches de victimes dans les décombres des constructions effondrées.

Comme lors de toute opération d’envergure entraînant un déplacement massif de population, des tentatives d’actes de pillage ont été relevées, un supermarché proche de la gare ayant même été victime d’un hold-up pendant les opérations de secours !

Bien qu’une enquête soit en cours pour déterminer les causes exactes de la catastrophe, le scénario le plus probable est la rupture d’un élément d’un des bogies (chariot sur lequel sont fixés les essieux) du premier wagon. Cette rupture est peut-être due à l’échauffement d’un axe de roue, entraînant le déraillement et le glissement du wagon sur le ballast, jusqu’à se déchirer sur quelques dizaines de centimètres, au contact d’un élément métallique planté dans le sol. Le déchirement immédiat de la citerne écarte le risque de Bleve sur ce wagon. Un arrosage massif isolant à l’eau prévient ce phénomène dévastateur sur les wagons suivants.

Image FI n° 460 04 - Crédit: Vigil del fuoco

Les opérations de dépotage des wagons s’effectuent par brûlage de gaz à l’aide de torchères.

Il n’a fallu que quelques minutes, compte tenu de la proximité des habitations et des rues, pour que le nuage explosible rencontre un point chaud. Trois déflagrations successives ont été perçues par les témoins, correspondant sans doute à l’inflammation de poches de gaz successives formées selon la topographie des lieux. Onze personnes au moins ont péri immédiatement.

Si plusieurs dizaines de voitures en stationnement ont été complètement brûlées, menaçant les maisons proches, la brièveté de l’inflammation du nuage ne semble pas avoir entraînée, sauf en quelques endroits ponctuels, de gros dégâts par le feu, mais plutôt un « coup de chauffe » sur les façades.

Des précédents tout aussi spectaculaires

Ce sinistre n’est pas sans rappeler le déraillement et l’incendie d’un train d’hydrocarbures à Chavanay, dans la vallée du Rhône fin 1990, suivi deux ans plus tard, à 80 km de là, d’un sinistre semblable mais plus destructeur à La Voulte. Très spectaculaires, ravageant de nombreuses maisons, ces deux sinistres survenant aussi de nuit n’avaient toutefois pas entraîné de décès.

Au regard du trafic de marchandises français, et notamment des matières dangereuses, les accidents sont heureusement rares. Cependant, plusieurs fois par an, des déraillements de wagons provoquant des fuites de substances dangereuses se produisent et n’ont pas, heureusement, de conséquences. Les grandes gares de triage implantées en périphérie des zones urbaines et entourées progressivement de constructions, peuvent générer à tout instant des accidents de ce type aux mêmes conséquences.

L’insuffisance des normes européennes en matière de stationnement et de transit des TMD (et notamment du GPL) au cœur de zones urbanisées, ou la difficulté de leur application, a été pointée par les autorités italiennes. Alors que la mondialisation et l’ouverture des marchés font perdre progressivement leur monopole aux réseaux ferrés nationaux (gérés par les Etats), les infrastructures, les voies, les trains sont gérés par des entités différentes.

Ici, seules l’infrastructure et la motrice appartenaient à la compagnie publique des chemins de fer italiens. Appartenant à une société américaine de leasing de wagons mais construit en ex-RDA en 1974, le premier wagon à l’origine du déraillement avait été contrôlé en 2004 et devait l’être à nouveau avant décembre 2009.

La société qui l’exploite est la seconde flotte en Europe par son importance, puisqu’elle possède 20 000 wagons, entretenus en Allemagne, en Autriche et en Pologne.

Dans l’attente de contrôles effectués sur son matériel roulant et malgré l’annonce du remplacement des axes de roues sur ses wagons de GPL, la société a été interdite de circulation en Italie, mais ses wagons circulent dans le reste de l’Europe.

Viareggio, station balnéaire de 50 000 habitants, est située à 80 km environ de Florence.

L’Est de son agglomération est traversé par un important axe ferroviaire, siège d’un fort trafic de marchandises. La zone du déraillement se situe à moins de 300 m de la gare de Viareggio dont la queue du convoi sortait à peine.

Une passerelle de béton de 70 m de portée enjambe les voies, reliant les quartiers urbanisés Est et Ouest. De part et d’autre des voies, s’élèvent des habitations de 1 à 3 étages.

La via Ponchielli est sensiblement parallèle aux voies. Les premières maisons touchées sont à 40 m du 1er wagon fuyard.

La zone la plus sinistrée est à l’Est de l’axe ferroviaire (via Ponchielli).

Le convoi, tracté par une seule locomotive, était constitué de 14 wagons à deux bogies, chacun d’une capacité de 120 m³, et d’un poids total en charge de 90 t. Le premier wagon déraillant a entraîné les quatre suivants, poussés par l’inertie des 900 t du reste du convoi.

Le bilan initial de 14 victimes décédées au matin du 1er jour s’alourdira, (comme c’est souvent le cas lorsque les victimes sont gravement brûlées) jusqu’à atteindre 30 morts, ajouté de près d’une trentaine de blessés, dont plusieurs très sévèrement, faisant de cette catastrophe l’une des plus meurtrière de l’après-guerre en Italie. Trois personnes périront dans l’effondrement d’une maison, mais deux autres en seront extraites vivantes le lendemain.

La plupart des victimes ont été carbonisées et leur identification s’est révélée particulièrement difficile pour la majorité d’entre elles.

La rupture d’un axe de roue est une cause de déraillement suffisamment redoutée pour que des « détecteurs de boîte chaude » aient été placés au long des voies à grand trafic.

Mais outre le déraillement, c’est la rupture de l’enveloppe d’une citerne de gaz liquéfié et l’écoulement de son contenu passant en phase gazeuse qui peut conduire à la catastrophe lorsque celui-ci rencontre un point chaud.

Une catastrophe que l’on avait frôlée en 1986, à l’Est de Lyon, lorsqu’un nuage de gaz échappé d’un camion citerne avait provoqué une nappe de 1600 m² et 40 cm d’épaisseur venant buter contre un centre commercial en pleine activité ! Le débit de la fuite a été jugulé par la création d’un bouchon de glace. La neutralisation du contenu par brûlage a été préférée au dépotage, suivi d’un inertage à la mousse du volume. Durant neuf heures, cette opération d’envergure a même nécessité l’interruption du trafic aérien sur l’aéroport de Bron, tout proche (Face au Risque n° 226, octobre 1986).

L’allumage d’une nappe de gaz liquéfié par un véhicule nous conduit à évoquer la (lointaine) catastrophe de référence, celle de la raffinerie de Feyzin, en 1965. Ce matin du 4 janvier, une fuite accidentelle de propane liquide se produit au cours d’une prise d’échantillon habituelle. La vanne se bloque, le nuage en phase gazeuse se répand jusqu’à l’autoroute A7 toute proche, que l’on vient heureusement de couper à la circulation. Mais sur un chemin de traverse, un véhicule, ayant échappé aux barrages, allume la nappe, dont les flammes remontent inexorablement jusqu’à la sphère. Deux heures après, elle explose, entraînant la mort de 18 personnes dont 11 pompiers, 12 brûlés graves et 77 blessés.

Quatre autres sphères explosent tandis qu’en une journée, l’incendie gagne une grande partie des installations.

Dans cette configuration d’un axe ferroviaire traversant une agglomération, on ne peut compter que sur les moyens en eau de la ville, ses poteaux d’incendie.

On peut penser, compte tenu du fait que l’incendie progresse depuis la voie et la rue vers les immeubles, via les véhicules en feu, qu’un certain nombre de poteaux n’ont pu être employés, parce que trop près du feu ou même dans la zone de feu.

A signaler dans le cas d’explosions, l’intérêt des bouches d’incendie par rapport aux poteaux, les premières ne pouvant subir d’arrachement dû au souffle.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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