Feu de silos dans le port de Nantes

2 janvier 201012 min

Un travail par point chaud dans la partie sensible d’un ensemble de silos de blé, et c’est un incendie insidieux qui fait planer un risque d’explosion durant trois jours dans le port de Nantes.

Ceci est une légende Alt

Fin de matinée du jeudi 3 septembre 2009 dans le port de Nantes. Les secours, alertés pour feu de silo à 11 h 13, découvrent à leur arrivée une importante fumée s’échappant de la cellule C3, contenant 1 100 t de blé, en extrémité de l’ensemble de silos « cathédrale ».

Un travail d’étanchéité au sommet du silo, confié à une entreprise extérieure, était alors en cours. Un permis de feu avait été établi. L’alerte est donnée par le responsable d’exploitation prévenu par talkie-walkie par un salarié du silo.

L’ascension à 42 m, par un escalier métallique intérieur à la tour de manutention doit être interrompue face à la détection de monoxyde de carbone (CO). Un second itinéraire, empruntant la galerie supérieure séparée de la zone du sinistre par une porte coupe-feu, est privilégié. Une explosion est à craindre et un personnel réduit est engagé.

Le périmètre de sécurité le plus large prévu au plan d’opération interne (POI) est adopté (90 m environ). Il englobe le bâtiment d’exploitation, dont la vingtaine d’employés et les camions en livraison sont évacués, le quai, entraînant l’éloignement de deux navires en cours de chargement et la coupure de la rue des Usines. Les voies ferrées voisines et le pont de Cheviré sur la Loire, axes stratégiques, ne sont pas concernés. En revanche, le trafic fluvial est stoppé durant l’intervention. La colonne sèche de la tour de manutention est alimentée, permettant, via l’ouverture d’une trappe d’accès en toiture, de constituer un tapis de mousse sur la surface en combustion (8 m de diamètre environ).

Dessin RD FI n° 459 01 - Crédit: René Dosne

Conjointement, le chef d’établissement a requis une plateforme élévatrice en vue du démontage de l’évent fait de plaques de bardage pour supprimer le confinement pouvant conduire à une explosion.

12 h 04 : « début d’incendie au sommet d’un silo de 1 100 t de blé, risque d’explosion, opération de dépotage de longue durée, périmètre de sécurité réalisé ».

La vidange du silo est nécessaire. Il faut auparavant aménager la base de la cellule (démontage et orientation de conduite) pour que le grain soit rejeté à l’extérieur. Les évents bas sont démontés, une bande transporteuse mobile doit être amenée pour le remplissage de deux camions qui effectueront des norias pour évacuer le grain vers une autre zone du site. Un dispositif de surveillance visuelle (fumée éventuelle), caméra thermique et lances en attente est instauré en sortie de la cellule.

Dessin RD FI n° 459 02 - Crédit: René Dosne

Peu avant 17 h, le dépotage se poursuit. Inlassablement, les camions effectuent leurs allers-retours, tandis que le tapis de mousse est maintenu dans le silo à mesure que le niveau descend. Les points chauds à l’intérieur de la partie haute, difficilement accessibles, mais détectés à la caméra thermique, seront traités ultérieurement par le Grimp (Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux).

Un deuxième feu est repéré

Alors que la situation dans la cellule C3 paraît stabilisée (action en partie supérieure, vidange complète sous surveillance), des points chauds sont repérés dans la cellule C6, séparée pourtant de la C3 par la tour de manutention…

Il apparaît rapidement que des fumées chaudes ou des escarbilles se sont propagées via une conduite de 50 cm de diamètre environ, reliant les deux cellules. La situation se complique avec un deuxième feu en cellule C6 (totalement remplie comme la précédente !).

Vers 21 h, alors que le dépotage, de longue durée, se poursuit, les hommes du Grimp procèdent à l’extinction de dépôts de poussière existant dans la charpente métallique du silo. Les deux points chauds détectés dans la cellule C6 sont traités, par l’intermédiaire de trappes de visite et de démontage de conduits, grâce à des extincteurs à eau additivée. Faut-il décider le dépotage de cette seconde cellule C6 ? Sa configuration et l’espace disponible à sa base ne s’y prêtent pas… Les points chauds traités, c’est une série de prélèvements de CO indiquant la poursuite éventuelle d’une combustion dans la masse, ainsi que l’étude de l’évolution des températures, qui orientent la décision du commandant des opérations de secours (COS) de ne pas vider la cellule C6 et de mettre en place pour la nuit un dispositif de surveillance basé sur un réseau de mesures et une présence humaine.

Vers 6 h du matin, la C3 est vide.

Après vérification des installations concernées par les pompiers et la Dréal (ex Drire), l’entreprise reprend une activité partielle le même jour vers 13 h 30. L’exploitant doit maintenir une surveillance par thermométrie et carottages toutes les heures, puis toutes les 4 heures jusqu’au lundi 6.

La surveillance des sapeurs-pompiers ne prend cependant fin que le mercredi 9 septembre à 14 h 53, après que les relevés de CO dans la cellule C6 encore élevés (19 ppm) ne soient en fait attribués non à une combustion, mais à la fermentation due à l’eau d’extinction… la température est stabilisée à 23 °C. La surveillance des écarts éventuels de températures revient alors à l’exploitant.

Des complications en série

Image FI n° 459 02 - Crédit: René Dosne

L’évent au bas de la cellule 3 utilisé pour la vidange.

De nombreuses difficultés ont surgi durant cette intervention, obligeant le responsable des secours à des réajustements permanents de leur stratégie.

Les points chauds, en raison de la configuration du sommet de la cellule C3, sont difficilement visibles et accessibles. Il faut démonter l’évent supérieur (environ 1/3 de la surface du cylindre). Le Grimp règle ce problème.

Le réseau de sondes relevant la température interne tombe en panne vers 12 h 30, plus d’une heure après l’alerte. Il faut alors effectuer des prélèvements au moyen de cannes que l’on plonge dans le blé, mais dont

les mesures, à cause de leur longueur limitée, restent superficielles. Le dispositif fixe est réparé le lendemain.

La propagation du feu à la cellule C6 surprend. On pensait qu’il n’existait pas de lien entre ces cellules. Il faudrait pouvoir disposer de plans précis, effectuer des reconnaissances soigneuses pour s’assurer que d’autres cellules ne sont pas « contaminées selon le même vecteur ».

La base du silo C6 est trop près du quai. Il serait malaisé de procéder à un dépotage semblable à celui du C3. Après avoir traité les points chauds détectés à la caméra thermique, une surveillance CO et O2 (oxygène) est mise en place une fois les sondes réparées. Pour que l’atmosphère entre surface du blé et toit ne se dilue et fausse les résultats, l’évent supérieur du C6 est refermé et des relevés sont effectués le lendemain.

Si les mesures avaient été préoccupantes (température au delà de 150 °C, augmentation rapide de celle-ci), l’inertage de la cellule C6 aurait été envisagé. Inerter le volume libre supérieur ou tout l’ensemble par un balayage à partir de la base ? L’installation est mal connue de l’exploitant et il n’existe pas de réserve d’azote sur site…

Selon un fournisseur de gaz, l’opération prendrait trois jours (il faut injecter trois fois le volume du silo) et serait coûteuse. Sur une trappe basse de ce silo, un manchon est équipé d’un raccord pompier de 45 mm comme le préconise le guide Silos du ministère de l’Écologie (annexe B, procédures d’intervention dans les silos).

Suite à cette intervention, le POI devra être rendu plus explicite quant aux procédures de mise en œuvre de l’inertage, ses quantités utiles, les entreprises disponibles pour effectuer la manœuvre (même les week-ends et jours fériés) et la présence d’une réserve de 2 m³ d’émulseur devra être mise à disposition des secours.

L’entreprise reprendra ses activités de chargement des navires dès le lendemain (4 septembre) dans l’après-midi et celles de réception des trains et camions le lundi suivant. Une faible quantité du blé concerné dans les deux silos, destiné à l’alimentation animale, est perdue.

La société Sonastock exploite, dans le port de Nantes, un gigantesque complexe entre Loire et voies ferrées comprenant un silo « cathédrale » (50 m de haut, 200 m de long) constitué de 57 cellules de 1 800 m³ chacune, un second ensemble de 6 silos, parallèle au 1er, d’une contenance de 30 000 t, un silo à plat relié aux précédents par bandes transporteuses, un bâtiment administratif désaffecté de 250 m² environ au pied des silos et un nouveau bâtiment administratif et d’exploitation situé à 60 m du silo principal.

L’ensemble est bordé par un quai de plus de 700 m de long disposant d’installations de chargement des navires.

La cellule concernée par l’incendie, en extrémité ouest du silo cathédrale, mesure une quarantaine de mètres de haut pour 8 m de diamètre. Elle est séparée du second silo concerné par le feu par la tour de manutention. Le premier silo est équipé d’évents métalliques de décharge en cas d’explosion, en tête et en pied de cellule. Les suivants ne sont équipés que d’évents en pied de cellule, des lignes de rupture en cas de surpression ayant été aménagées dans le voile de béton, au sommet.

L’établissement est soumis à autorisation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), rubrique 2160 « Silos et installations de stockage en vrac de céréales, grains, produits alimentaires ou tout produit organique dégageant des poussières inflammables, y compris les stockages sous tente ou structure gonflable. »

Si l’échauffement de matière dans une cellule, suite à fermentation ou travail par point chaud n’est pas rare, (Face au Risque n° 268, décembre 1990, Feu de silo dans le port du Havre), conduisant souvent à la vidange à l’extérieur du contenu de la cellule, l’explosion totale de silos a profondément marqué les exploitants de ce type d’installation.

Le 18 octobre 1982, c’est dans le port de Metz que l’explosion d’un silo entraîne la mort de treize personnes. Les débris d’un chalumeau, d’une bouteille d’oxygène et de 50 cm de caoutchouc sont trouvés dans les décombres (Face au Risque n° 190 février 1983).

Le 20 août 1997, c’est dans le port de Blaye cette fois qu’une énorme explosion souffle 29 cellules d’un ensemble de 45. Onze personnes périssent ensevelies sous des vagues de grains (Face au Risque n° 338, décembre 1997).

C’est à la suite de cette catastrophe qu’il est décidé d’éloigner à une distance au moins égale à la hauteur de la plus haute cellule, le bâtiment d’exploitation, jusque-là souvent situé au pied des silos (celui de Nantes est déplacé à 60 m).

Chasse aux poussières (toujours difficile) et aux points chauds (échauffement de pièces en mouvement), mise en place d’évents ou de dispositifs limitant les effets d’une explosion, dispositifs de surveillance des températures, systèmes d’inertage, mais surtout encadrement rigoureux (grâce au permis de feu notamment) des travaux par point chaud s’imposent dans ces installations souvent saturées de poussières inflammables. Les systèmes de détection d’étincelles et de suppression d’explosion peuvent y trouver application.

Conformément à la réglementation, on y trouve des extincteurs de tous types, portatifs et sur roues, trois colonnes sèches, deux poteaux d’incendie privés, en plus des poteaux implantés sur la voie publique.

Les locaux électriques sont protégés par une installation d’extinction automatique à gaz inerte.

Un réseau de sondes étagées verticalement dans chaque silo (tous les 5 m environ) surveille la température dans la masse. Des trappes équipées d’une prise de 45 mm implantées en pied de silo permettent l’injection d’azote pour inertage. Enfin, des évents équipent chaque pied de cellule, tandis qu’on trouve, selon le cas, en partie haute, des évents métalliques ou des lignes de rupture dans le toit de béton.

L’établissement est connu des sapeurs-pompiers qui y pratiquent régulièrement des exercices sur structure élevée et le centre de secours de Saint-Herblain est à 6 minutes.

Les stockages en silo peuvent être le siège de deux types de phénomène :

  • un incendie avéré (cas du feu de Nantes) ;
  • un incident de conservation, auto-échauffement pouvant déboucher sur une auto-combustion du grain.

Comme dans toute combustion incomplète, on y redoute la présence de monoxyde de carbone (CO) en plus ou moins grande quantité. Lors de la phase mesure de gaz, il faut donc bien faire la part entre :

  • la toxicométrie pour les intervenants ;
  • l’explosimétrie (LIE du CO à 12,5 %).

C’est celle-ci qui nous intéresse dans ce type de feux. Pour cela, il est nécessaire d’avoir les bons outils de mesure, notamment des sondes haute densité CO.

La mise en place d’un tapis de mousse (haut ou moyen foisonnement) sur des produits « secs » comme des grains peut parfois entraîner une prise en masse plus ou moins rapide de ceux-ci, avec à terme des possibles difficultés de vidange.

Ce type d’intervention complexe ne peut bien souvent pas faire l’objet d’une approche opérationnelle « réflexe ». Chaque sinistre doit être analysé en concertation avec l’exploitant afin d’élaborer une tactique opérationnelle adaptée.

Par ailleurs, des experts du domaine peuvent être rapidement mobilisés par la Direction de la sécurité civile (DSC) pour aider le commandant des opérations de secours, dans le cadre de missions d’appui nationales.

François Poichotte
Officier SP Expert, Sdis 51, intervenant auprès de la DSC

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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