Incendie dans une tour d’habitation parisienne

1 février 200712 min

Des systèmes de sécurité en place mais des dysfonctionnements qui freinent l’action des secours. La maintenance et les vérifications dans les IGH habitation s’avèrent incontournables !

Ceci est une légende Alt

Samedi 5 août 2006, en fin de matinée, un violent incendie éclate au 5e étage d’une tour d’habitation, en plein cœur du Chinatown parisien.

Construite en 1970, la tour Atlas fait partie d’un ensemble de quatre tours identiques, implantées dans un îlot regroupant des ensembles d’immeubles d’habitation. Sa structure est en béton armé (poteaux, planchers) alors que sa façade non porteuse est largement vitrée, sur huisseries bois ou PVC.

Construite sur quatre niveaux de sous-sols abritant caves et locaux techniques, elle comprend 31 étages sur entresol, divisés en 360 logements. Sa terrasse culmine à près de 100 m.

Répondant au concept traditionnel de construction des IGH (immeuble de grande hauteur), elle regroupe dans un noyau central en béton armé toutes les circulations verticales et gaines techniques diverses. Deux escaliers encloisonnés desservent les niveaux, ainsi que 4 ascenseurs (deux vont du rez-de-chaussée au 16e, les deux autres sont directs jusqu’au 16e et desservent ensuite tous les étages jusqu’au 31e).

C’est vers l’îlot Masséna, véritable forêt d’immeubles élevés, se dressant au milieu de maigres espaces verts, que les trois engins de la caserne Masséna, appelés à 11 h 52 pour feu d’appartement, se dirigent, sans toutefois connaître le lieu exact. L’agent de sécurité, sorti du PCS de l’immeuble Atlas, les oriente. Une épaisse fumée et des flammes s’échappent du 5e étage de la tour. Les pompiers, grâce aux ascenseurs prioritaires, gagnent l’étage concerné légèrement enfumé.

FI Tour Atlas structure de l'immeuble ©René Dosne

La porte de l’appartement en feu, fermée, laisse échapper de la fumée. Dès qu’une première lance a été établie sur la colonne humide à partir du 4e, cette porte est forcée. Mais on ne peut que l’entrebâiller : une cloison effondrée la bloque, interdisant une attaque efficace, tout en laissant les fumées et la chaleur envahir le couloir de l’étage. L’atmosphère devient plus pénible et la visibilité nulle.

En bas, au PCS général qui supervise les quatre tours, force est de constater que le système de sécurité est en panne. Il n’aura fonctionné que quelques minutes. Une tentative de reprise manuelle des fonctions le fait disjoncter. Il n’y a plus de désenfumage ! Les escaliers, normalement à l’abri des fumées grâce à la surpression, ne le sont plus et s’enfument alors que certains occupants, en cours d’évacuation, s’y trouvent encore et que les pompiers effectuent leurs reconnaissances dans les étages.

Efficacité des portes coupe-feu au niveau des ascenseurs

La fumée apparaît maintenant dans les couloirs et appartements des niveaux supérieurs. À l’extérieur, les flammes qui s’échappent par les baies ont gagné l’appartement du 6e étage. Deux lances sur colonne humide combattent bientôt l’incendie qui ravage maintenant deux appartements de 80 m² chacun. Un poste de commandement avancé est activé au 4e étage.

Deux pompiers sont blessés au 5e étage. Les flammes se propagent maintenant dans le couloir, atteignant le sas dont l’une des portes brûle. L’attaque s’effectue alors à partir de l’escalier, augmentant son enfumage.

L’officier de garde « prévention », à qui l’on a confié le secteur « désenfumage », va substituer au dispositif de l’immeuble un autre, constitué de ventilateurs mobiles. Chaque escalier sera remis en surpression grâce à un ventilateur placé au rez-de-chaussée, et un autre en relais au 16e étage. Un groupe de trois ventilateurs, déplacé à bras d’homme d’étage en étage, va repousser les fumées des couloirs vers les escaliers, où elles seront évacuées en toiture. Il faudra auparavant vérifier le positionnement des trappes de désenfumage qui sont aléatoirement ouvertes ou fermées et l’étanchéité des sas jusqu’au 31e.

À 14 h 04, le feu est éteint aux 5e et 6e étages grâce à deux grosses lances et une petite, après avoir totalement ravagé les deux appartements. Le désenfumage nécessitera, quant à lui, une dizaine d’heures mobilisant sept ventilateurs mobiles ! Sept blessés sont dénombrés dans les rangs des sapeurs-pompiers.

Ce sinistre illustre parfaitement l’importance primordiale du bon fonctionnement des équipements de sécurité dans un IGH. Que serait-il advenu, de nuit, lorsque l’édifice est à son taux d’occupation maximum ? Ici, les sapeurs-pompiers se trouvent, quelques minutes après leur arrivée, dans une situation entravant leur stratégie habituelle d’engagement dans ce type de construction, stratégie qui s’appuie sur le compartimentage, le désenfumage et l’alimentation en eau. Successivement, ces trois piliers de la sécurité incendie dans un IGH vont faillir !

Pour expliquer ces défaillances, l’exploitant précise que les énormes masses d’eau d’extinction appliquées sur les éléments du dispositif de sécurité incendie (ventouses, détecteurs, désenfumage), qui fonctionnaient tous en 110 ou 220 V, les ont fait disjoncter les uns après les autres.

La plupart des éléments d’un SSI fonctionnent aujourd’hui en basse tension (24 ou 48 volt), ce qui évite ce genre de conséquence lors d’opérations d’extinction. Au sujet de la mise aux normes du dispositif de sécurité de la structure d’habitations : une notice avait été déposée en mars 2006 par le mandataire à la préfecture de police avisant de l’intention de rénover entièrement le SSI. Au moment du sinistre, la demande se trouvait toujours à l’examen dans les services instructeurs. L’accord parvenu récemment, les travaux seront mis en route en février 2007.

Une base d’action établie 2 étages sous le feu

Le mode opératoire des sapeurs-pompiers : montée par ascenseur prioritaire et établissement d’une base avancée 2 étages sous le feu. Constitution d’une réserve de tuyaux et lances, ARI (appareil respiratoire isolant), alimentation d’une ou plusieurs lances sur colonne humide et attaque au niveau du feu en empruntant l’escalier et le sas.

Des ventilateurs, déplacés à bras d’homme d’étage en étage, vont repousser les fumées vers les escaliers où elles seront évacuées en toiture © BSPP.

Le schéma normal de soufflage dans les escaliers entraîne leur mise à l’abri des fumées par surpression. Cependant, le soufflage dans le sas et l’extraction des fumées dans la circulation ne fonctionnent plus quelques minutes après l’arrivée des secours. Lorsqu’ils ouvrent le sas de communication entre l’escalier et le couloir du 5e, puis du 6e, les intervenants reçoivent des bouffées de chaleur et de fumée. À l’examen de la porte du sas, les flammes ne sont pas loin ! Le concept IGH ne permet pas, en principe, la sortie du feu hors du compartiment (coupe-feu 2 h) sinistré, dans notre cas l’étage. La destruction de la paroi d’une gaine technique dans la cuisine participera à l’enfumage des niveaux supérieurs.

Deux surpresseurs sur les trois alimentant les colonnes humides tomberont ensuite en panne, obligeant les pompiers à préparer une alimentation de remplacement ! L’entretien et le contrôle régulier des dispositifs de sécurité sont les premiers maillons garantissant une évacuation dans de bonnes conditions des occupants, un confinement du feu et une intervention efficace des secours. Les agents de sécurité doivent connaître ces équipements, la localisation des locaux techniques, salle des surpresseurs, des points de réalimentation des colonnes humides… et être en mesure de répondre aux questions des sapeurs-pompiers.

FI Tour Atlas coupe de l'étage ©René Dosne

Le contrôle du développement vertical est bien plus difficile en façade. C’est le mode de développement récurrent, observé dans les grands sinistres d’IGH. Ici, la façade est sans relief, parcourue de bandes vitrées sur huisserie bois ou PVC, séparées par une étroite bande de maçonnerie. Les fenêtres s’ouvrent et la propagation entre étages peut s’opérer facilement. C’est ainsi que l’appartement supérieur s’embrasera à son tour. Par ailleurs, certains IGH habitation voient ce risque aggravé par la présence de balcons, qui amassent mobilier d’extérieur, vélos, poussettes, etc., quand ce n’est pas des bouteilles de gaz ! C’est là une question d’application du règlement intérieur de copropriété.

Il faut également veiller à la stricte application des règles de sécurité par les occupants. S’il est quasi impossible d’intervenir sur le contrôle du potentiel calorifique de leur appartement (qui a bien changé, au regard de l’état des dalles de béton après un sinistre), le respect des équipements, l’absence de stockage dans les circulations, de blocage des portes ou l’intervention sur la position des trappes et volets doivent être contrôlés.

La conception architecturale d’un IGH le rend par nature vulnérable en cas d’incendie. La hauteur, le noyau central unique, les immenses surfaces vitrées sont des handicaps compensés par l’application d’une réglementation draconienne qui a fait ses preuves dans la majorité des débuts d’incendie survenus dans ces constructions. Mais il existe un parc d’IGH vieillissant, aux équipements anciens, IGH d’habitation de surcroît, dont le potentiel calorifique et fumigène est croissant et qu’il convient de surveiller. Les pompiers dépêchent d’emblée un volume de moyens importants à ces adresses sensibles, sachant que la course aux secondes et un engagement massif peuvent faire la différence.

Les moyens de secours sont conformes à ce que la réglementation impose pour une construction de cette catégorie, IGH Z (immeuble mixte habitations/ bureaux), bien qu’elle ait été construite sept ans avant que la réglementation IGH ne soit publiée (octobre 1977).

Les deux escaliers encloisonnés sont pourvus d’exutoires au dernier niveau et desservent, via un sas, les différents étages. Deux colonnes humides équipent les sas d’accès ; elles sont alimentées par trois réserves de 60 m³ réalimentables. Trois surpresseurs assurent une pression suffisante dans ces colonnes.

À chaque étage, les ascenseurs sont munis de portes coupe-feu. Un SSI (système de sécurité incendie), dont le tableau de signalisation se trouve au poste central de sécurité (PCS), gère la détection et la mise en sécurité (isolement et désenfumage d’un niveau en cas de sinistre).

Conformément à la réglementation, un ensemble de boutons d’alerte et d’interphones sont implantés à chaque étage. L’immeuble, connu des sapeurs-pompiers, fait l’objet d’un plan spécifique permettant l’envoi de moyens de secours en 2 échelons.

La règle du C+D est une mesure de prévention qui a pour objet de créer un obstacle au passage d’un feu d’un étage à l’autre par les baies. Il s’agit d’additionner la distance horizontale (la largeur du balcon par exemple) et verticale (du haut de l’ouverture de l’étage inférieur au bas de l’ouverture du niveau supérieur). Elle est de 0,80 m, 1 m, ou 1,30 m selon que la masse combustible est de 1,5 kg/m² à 5 kg/m². Visant à allonger le parcours des flammes d’un étage à l’autre, cette notion peut être mise à mal par une utilisation en « débarras» des balcons et terrasses.

C’est au début des années 1970 que de dramatiques incendies vont sensibiliser opinion et pouvoir publics aux IGH. Ces incendies surviennent non pas en Amérique du Nord, où ils ont acquis leur renommée, mais à São Paulo (Brésil, 1970) où l’on dénombre 178 morts ; à Séoul (Corée du Sud) ensuite, avec un bilan tout aussi dramatique. D’autres sinistres, comme à Philadelphie en 1990, où les pompiers abandonneront momentanément une tour après avoir perdu trois des leurs, Caracas, où le plus haut IGH d’Amérique du Sud abritant des ministères perdra une quinzaine d’étages, montreront que la lutte contre un feu dans ces immeubles ne peut s’envisager que si le bâtiment répond aux normes de sécurité requises.

Bien sûr, l’effondrement des Twin Towers (New York, Face au Risque n° 382, avril 2002) le 11 septembre 2001, s’il ne peut être assimilé aux scénarios accidentels, aura tout de même montré, entre autres, l’impossibilité de sauver les occupants des étages au-dessus du niveau en feu dès lors que le noyau central est atteint. La tour n° 7 du WTC (World Trade Center), haute de 160 m et atteinte par les projectiles et le feu, s’écroulera après 8 heures d’incendie (Face au Risque n° 391, mars 2003).

La tour Windsor à Madrid (Espagne, Face au Risque n° 412, avril 2005), détruite en 2005, sera le premier exemple européen de sinistre aussi dévastateur de ce type. Il mettra cette fois en évidence la fragilité au feu de la façade et son rôle dans le développement rapidement incontrôlable du feu. Autres incendies relatés dans nos colonnes :

  • Incendie dans un immeuble d’habitation, Face au Risque n° 368, décembre 2000 ;
  • Incendie d’immeubles propagés par les façades, Face au Risque n° 403, mai 2004 ;
  • Façades d’immeubles : des incendies qui prennent de la hauteur, Face au Risque n° 409, janvier 2005 ;
  • Tours polycentriques : solution à la sécurité des IGH ?, Face au Risque n° 416, octobre 2005.

Partagez cet article !

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.