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Incendie atypique sur un bac de soufre
Aux limites du Port autonome du Havre, l’incendie d’un bac de soufre entraîne le déclenchement du POI et un large bouclage de l’est de la zone portuaire. Pas de confinement des populations, pas d’évacuation, grâce à une bonne maîtrise du sinistre par les secours internes et externes.
Le 4 juillet 2006, un incendie démarre sur un bac contenant environ 1 000 m³ de soufre liquide, au cœur du complexe de production Millennium Chemicals, filiale du groupe Lyondell. Implantée dans le port du Havre depuis 1957, l’usine de production de dioxyde de titane et d’acide sulfurique, classée Seveso 2, occupe une superficie de 33 ha et emploie 320 personnes. Elle est délimitée au nord par un bassin et au sud par un important axe routier desservant le port. Les premières zones urbanisées sont à environ 1 km.
L’activité de production de dioxyde de titane occupe sensiblement les deux tiers de la superficie, la production d’acide sulfurique le tiers restant, à l’ouest. C’est en bordure de cette zone, près de l’atelier « acide sulfurique », et à une soixantaine de mètres du mur d’enceinte, que se dresse le bac de soufre, isotherme et calorifugé, d’une capacité de 14 500 t (28 m de diamètre par 14 de hauteur). Le bac est en acier avec un toit supporté par une ossature de poutres métalliques internes convergeant vers un évent central. Les abords des installations sont bien dégagés, permettant l’approche aisée des engins de secours.
En ce début d’après-midi, un gros orage s’éloigne, sans être parvenu à abaisser la température étouffante qui sévit sur l’agglomération havraise (30 °C environ). Sur le site, la sirène d’alerte succède aux coups de tonnerre. Dans la salle de contrôle, un opérateur vient de détecter une élévation anormale de température sur le bac de soufre.
La caméra vidéo détecte une émission de fumée
La caméra vidéo placée sur le toit du bac, au niveau de son évent, permet de distinguer une émission de fumée. Rapidement, l’équipe de seconde intervention se présente sur les lieux et établit deux lances en refroidissement de la jupe du bac. Haut de 14 m (pratiquement 4 étages), le réservoir ne contient plus qu’une hauteur de 1,20 m de soufre liquide. Outre l’action de refroidissement, il faut tenter de diluer les vapeurs soufrées malodorantes qui s’échappent par l’évent. Mais la portée des premières lances établies ne le permet pas.
Alertés à 14 h 40, les sapeurs-pompiers du Havre dépêchent l’officier de garde, un engin-pompe et une échelle. 17 minutes plus tard, le POI (plan d’opération interne) est activé. Conformément au plan et aux exercices pratiqués, le PC (poste de commandement) est établi dans le bâtiment de la direction implanté à l’entrée du site. Une dizaine d’engins supplémentaires sont demandés, parmi lesquels une cellule d’assistance respiratoire, un véhicule Risques technologiques (CMIC – cellule mobile d’intervention chimique), un PC mobile et une couverture médicale.
Alors que les autorités préfectorales sont alertées et qu’une cellule de crise se met en place en préfecture, il est demandé au service de sécurité du Port autonome du Havre, puisque l’usine est dans son emprise, de barrer la voie de circulation bordant la darse du port, afin de permettre la mise en aspiration des engins d’incendie. Deux puissants engins-pompes, alimentant chacun deux lignes de 110 mm, sont reliés à deux lances-canon de 3 500 l/min, réparties en périphérie du bac afin d’obtenir un refroidissement optimal. Une grosse lance de 1500 l/min sur échelle permettra de coiffer l’évent central et d’en diluer les effluents.
Les abords du bac, parsemés de soufre, sont bien dégagés permettant l’approche aisée des engins de secours.
Une grosse lance de 1 500 l/min sur échelle permettra de coiffer l’évent central et d’en diluer les effluents.
Conjointement à l’action de refroidissement de la jupe du bac, renforcée avec des moyens plus puissants, une opération d’inertage a été immédiatement entreprise grâce à l’installation fixe d’injection de vapeur d’eau qui équipe le bac. Mais le niveau de soufre, très bas, laisse un immense volume à remplir. Ce sera long.
À 16 h 48, 2 lances-canons et 5 lances dont une sur échelle arrosent sur le bac dont la température, mesurée à partir de la salle de contrôle, est à la baisse. Dans un rayon d’un kilomètre, défini conjointement par le COS (commandant des opérations de secours) et le DOI (directeur des opérations internes), des séries de mesures de toxicité sont effectuées au sein et en périphérie du site par les pompiers, suivant des circuits de mesures à 10 points de prélèvement tenant compte du sens du vent. Les résultats les plus élevés font état de 0,6 ppm (partie par million) de SO2, soit un résultat insignifiant malgré l’odeur caractéristique des vapeurs sulfurées qui s’échappent par instants.
L’inertage à la vapeur se poursuit
À 19 h, la température du bac, initialement à 136 °C (cette température s’est élevée jusqu’à 280 °C au plus fort de l’incendie), est à 134 °C alors que l’inertage se poursuit ; à 20 h, elle est de 120 °C. On considère alors que le feu est éteint. Quinze minutes plus tard, les moyens de refroidissement sont stoppés. Le POI est levé à 20 h 55 et les secours extérieurs sont progressivement désengagés. À 22 h 35, après que les dernières lignes de tuyaux barrant la route ont été démontées, le trafic routier portuaire est réouvert et le blocage du secteur levé. Aucun dégât n’est visible sur le bac, qui a conservé toute sa stabilité.
Détecté par l’élévation de température signalée en salle de contrôle grâce à la sonde placée sur le bac (un contrôle par les sapeurs-pompiers à la caméra thermique n’a pas été révélateur du fait du calorifugeage du bac), l’incendie ne concernait pas le volume liquide, soit plus de 700 m³ de soufre mais un dépôt de « fleur de soufre » déposé dans l’ossature de poutrelles supportant le toit du bac.
Impossible à atteindre de l’extérieur, ce feu bien particulier ne pouvait être réduit que par combustion du dépôt de soufre, tout en contrôlant l’élévation de température des parois par le refroidissement et l’inertage. Pas de flammes visibles, mais une fumée discrète et une odeur caractéristique matérialisaient l’incendie.
Au début du sinistre, la station de mesure atmosphérique Air normand la plus proche (1 km environ) relevait 347 microgrammes de soufre par mètre cube durant un quart d’heure (seuil de mise en garde 300 microgrammes par mètre cube durant 3 h), niveau insuffisant pour procéder à des mesures particulières de sauvegarde auprès des riverains. Le risque d’une émission plus massive d’effluents en provenance du bac étant peu envisageable, seuls les pompiers travaillant sur l’échelle, au plus près des fumées, s’équipent d’un ARI (appareil respiratoire isolant).
Deux sapeurs-pompiers seront de plus équipés de détecteurs individuels de contrôle, et l’entreprise mettra à disposition des sauveteurs et techniciens présents un stock d’une quinzaine de masques filtrants, le risque SO2 étant bien ciblé. De fait, la seule victime recensée, un sapeur-pompier, aura été incommodée par un coup de chaleur dû au port de l’équipement de protection par une température étouffante. Mise à l’ombre et réhydratation la remettront sur pied.
Proche des scénarios d’exercice régulièrement pratiqués sur ce site, l’intervention a permis de tester le POI et d’en relever les points perfectibles. Les sapeurs-pompiers ont apprécié l’accueil par des techniciens compétents, à même d’expliquer clairement le phénomène et de dresser un point de situation précis. La gestion du sinistre s’est effectuée, avec recul, à partir du PC direction placé à l’entrée du site. L’organisation du centre de regroupement des moyens, tout proche (il était initialement prévu à l’extérieur), permettait l’envoi éventuel de véhicules à la demande, sans engorgement de l’accès. La liaison entre le PC et le sinistre, distants de 500 m environ, a permis à ce premier d’avoir en permanence un reflet exact de la situation grâce à des référents pompier et entreprise à chaque extrémité de la chaîne.
Les enseignements tirés du sinistre
Un constat concernant l’alerte et les communications : il est préférable d’appeler les pompiers à partir d’un téléphone fixe, l’identification de l’appelant étant plus rapide. Nous sommes ici en limite de département et un appel sur portable peut aboutir au centre de transmission de l’alerte (CTA) du département voisin.
Quant à la perception de l’événement depuis l’extérieur, l’intervention était peu spectaculaire. Pas de flammes effrayantes ni d’énorme panache de fumée, simplement une odeur nauséabonde, caractéristique des produits sulfurés, durant un court délai. Perçue jusqu’aux zones habitées au début de l’intervention, elle ne traduit pourtant aucun caractère de gravité. Mais ce n’est pas le large bouclage de la zone, effectué par la sécurité du Port autonome et non par la police, qui va dissiper un sentiment de danger créé par l’insuffisance d’informations (voir encadré). Ni la presse locale, tenue hors zone, qui n’a pu recueillir rapidement les informations permettant d’expliquer la banalité de l’incident.
Enfin, la construction en cours d’un nouveau bac va bénéficier des enseignements tirés du sinistre. D’une capacité de 100 t, il sera pourvu d’un toit autoporteur supprimant les reliefs susceptibles de recueillir les dépôts de fleur de soufre. Le système d’inertage à la vapeur d’eau sera plus rapide, quels que soient le niveau et le volume gazeux. Une installation fixe d’arrosage permettra d’entamer plus rapidement et plus efficacement la dilution des vapeurs à la sortie de l’évent (réalisé dans cet accident avec une lance sur échelle). Enfin, le service de sécurité va faire l’acquisition d’une lance-canon.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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