Explosion d’ammonitrates dans un bâtiment agricole

2 janvier 20049 min

Venus pour un simple feu de ferme, les sapeurs-pompiers sont surpris par l’explosion d’un stock d’ammonitrates insoupçonné.

Ceci est une légende Alt

Trois violents incendies au cours du mois d’octobre 2003 ont affecté des bâtiments où sont entreposés, entre autres, des ammonitrates. L’un d’entre eux a explosé, blessant plus ou moins grièvement une vingtaine de personnes dont 18 sapeurs-pompiers. Produits banalisés, présents dans de très nombreuses exploitations agricoles, les ammonitrates doivent cependant répondre à de strictes précautions de stockage.

Alertés à 16 h 01 ce 2 octobre 2003 pour un « banal » feu de ferme à Saint-Romain-en-Jarez (Loire), les pompiers de Rive de Gier, à une quinzaine de kilomètres de là, découvrent en se présentant sur les lieux un feu de hangar agricole accolé à une habitation de trois niveaux. L’incendie est en pleine extension et la toiture s’affaisse déjà au droit du foyer principal. Le potentiel calorifique est important et le feu très fumigène puisque, entre autres, des milliers de cagettes en plastique et l’isolant des chambres frigorifiques sont atteints par le feu. L’exploitation agricole comprend une production fruitière.

Le réseau d’eau de ville est faible. Aussi faut-il composer avec une noria de camions-citernes pour alimenter les lances. Bientôt, les sapeurs-pompiers doivent se résoudre à concentrer leurs précieuses ressources sur la protection de la maison contiguë et sur l’appartement inclus dans le hangar. Il n’est pas fait mention à ce moment-là de matières particulières dans le bâtiment. Des renforts, notamment en camions-citernes porteurs d’eau, sont demandés à 16 h 30.

Un chuintement et le hangar explose

C’est alors que tout bascule. Après une sorte de chuintement, le hangar explose avec une rare violence (équivalent estimé à 100 kg de TNT, d’après les enquêteurs sur le terrain), jetant au sol ou atteignant vingt-trois personnes dont 3 gendarmes, 2 témoins et 18 sapeurs-pompiers. Ces derniers sont entraînés avec les planchers, d’autres ensevelis sous la façade de parpaings et ses lourds portails, d’autres encore projetés au sol ou contre les murs par le souffle. « Violente explosion. Je suppose nombreuses victimes. Demande plusieurs ambulances ». Il est 17 h 12.

Sur le sol, les voitures et les toits, crépite une pluie de débris, « comme de la grêle », dira un sapeur-pompier. De lourds morceaux de charpente d’acier seront retrouvés à des centaines de mètres ! Le plan rouge est déclenché à 17 h 15 et les Samu de trois départements se joignent aux sapeurs-pompiers qui prennent en charge les victimes. Les plus gravement blessées seront dégagées des décombres avant l’arrivée des secours. La paisible commune est alors investie par une armada d’engins de secours et d’ambulances qui se regroupent au Poste médical avancé (PMA) installé dans la salle polyvalente proche, alors qu’au-dessus des toits aux tuiles balayées par le souffle tournoient les hélicoptères. 5 lances noient les restes du hangar avant que les équipes cynophiles procèdent à des recherches plus poussées.

Dessin RD FI n° 399 - Crédit: René Dosne

À 21 h, le feu est circonscrit, mais le risque d’explosion n’est pas écarté. On vient en effet d’apprendre, avant 20 h, que 3 t d’ammonitrates se trouvaient dans le bâtiment. A leur emplacement, l’épaisse dalle de béton s’est effondrée… Le bilan définitif s’établit alors à 23 blessés, dont 3 urgences absolues. 94 habitants, dont les maisons sont inhabitables, sont pris en charge par la cellule de crise activée à la mairie.

L’exploitant doit identifier ses produits

Au matin du 3 octobre, les secours s’articulent autour de quatre points : le risque chimique (identification des produits, relevés divers), le risque incendie (terminer l’extinction grâce à des camions-citernes pour surseoir au réseau de ville temporairement neutralisé), la protection des biens (82 bâtiments touchés) et un secteur sanitaire (cellule psychologique activée pour les sapeurs-pompiers et la population). Plusieurs jours encore, un périmètre de sécurité de 100 m sera maintenu alors que les opérations de bâchage des habitations se poursuivront.

Vêtus de combinaisons, les enquêteurs de la police scientifique et de l’Inéris arpentent les décombres en tentant de comprendre…

L’incendie éclate en présence des exploitants qui le découvrent sur une mezzanine où sont stockées des balles de paille et de foin. « Quelques mètres carrés que nous aurions éteint si nous avions eu une lance. » Mais le foyer enfle vite et gagne, en rampant sous toiture, les chambres frigorifiques, puis le sommet des empilements des cagettes plastique et bois à plus de 6 m de haut. A leurs pieds, les 6 big bags de 500 kg chacun d’ammonitrates… La toiture s’effondre déjà partiellement moins d’une demi-heure après la découverte du feu.

Malgré leur proximité de l’épicentre de l’explosion, un seul des soldats du feu touchés a été blasté, sans doute à cause de la relative légèreté du bâtiment et de sa toiture qui a orienté le souffle vers le ciel.

Image FI n° 399 02 - Crédit: SDIS 42

La relative légèreté du bâtiment et de sa toiture a orienté le souffle de l’explosion vers le ciel.

Deux bouteilles de gaz de 13 kg sont retrouvées à quelques mètres des stocks mais elles n’ont pas explosé. On évoque aussi une pratique quelque peu expéditive dans la région, consistant à employer d’anciens bâtons d’explosifs pour faire sauter des souches ou… creuser des mares. Mais rien n’indique que ce soit le cas dans cet établissement. En tout état de cause, les produits échappant au contrôle (sous le seuil des 1 250 t !) et que l’on trouve maintenant essentiellement sous forme de big bags, doivent être identifiés, l’exploitant doit tenir un état précis des stocks et de leur implantation, les éloigner de toute matière combustible.

Les travaux par point chaud doivent faire l’objet de la plus grande prudence, les installations électriques doivent être conformes et étanches.

Les bâtiments de stockage en vrac doivent répondre à des mesures préventives : volume de rétention des eaux d’extinction, détection de gaz ou de fumées, orifices dans les murs pour le passage de lances d’incendie, exutoires de fumée, bassin de recueil des eaux d’extinction, éloignement par rapport aux habitations et sites industriels présentant des risques d’incendie.

L’éventualité d’une explosion d’ammonitrates pris dans un incendie tiendrait de la roulette russe dans la mesure où les mécanismes d’explosion de ces matières sont difficiles à cerner. Cette réponse ne peut satisfaire les services d’incendie et de secours confrontés régulièrement à des feux d’exploitations agricoles.

Le bâtiment sinistré, qui occupe une surface au sol de 600 m² est érigé à flanc de pente, dégageant un sous-sol partiel. Construit sur une solide dalle de béton, il est à ossature métallique avec remplissage de parpaings. Sa toiture est en bardage d’acier, sans surface d’éclairage; une chambre frigorifique occupe 150 m² environ au fond du bâtiment ; elle est constituée de panneaux isolants acier/mousse de polyuréthane. Un appartement de 80 m² délimite un étage partiel ainsi qu’une mezzanine. Deux larges portails permettent l’accès sur sa façade principale.

Véritable entrepôt de plus de 7 m de haut, il est accolé à un bâtiment d’habitation de 2 étages, alors que ses 3 autres faces bordent des zones herbeuses en dévers.

La conservation et le conditionnement des fruits imposent une isolation thermique de l’ensemble des façades et de la toiture, réalisée par la pose d’une double peau isolante sur les murs périphériques et sous toiture. Il ne possède pas de recoupements intérieurs résistant au feu. Une installation de production de froid au fréon est implantée contre l’entrepôt.

Les moyens de secours se réduisent, dans cette exploitation agricole, à quelques extincteurs. Un poteau d’incendie est bien implanté à quelques dizaines de mètres de là, mais délivre un débit anémique de 300 l/ min environ (il est alimenté via une retenue collinaire de 250 m³). Le centre de secours intervenant en premier appel est à 15 km (20 min par conditions météo favorables). L’établissement, une exploitation agricole, n’est bien sûr pas répertorié par les pompiers.

Moins de 1 250 t d’ammonitrates peuvent être détenus sans déclaration, prouvant la confiance que l’on place dans ce produit le plus souvent sans histoire.

Outre les grands stockages industriels, où l’on peut espérer un degré de sécurité satisfaisant, on retrouve ce produit dans d’innombrables exploitations agricoles, voisinant avec toutes sortes de marchandises combustibles (paille, foin, matériel agricole, fûts d’huile, de fuel, etc.) sans précautions particulières.

Obtenu par synthèse chimique (action de l’ammoniac sur acide nitrique), on y adjoint une charge calcaire améliorant ses propriétés mécaniques lorsqu’il est sous forme de granulés.

Le nitrate d’ammonium fond vers 170 °C, puis se décompose en libérant des oxydes d’azote toxiques vers 250 °C. Impliqué dans un incendie et dans des conditions exceptionnelles, il peut devenir explosif.

Les décompositions thermiques d’ammonitrates et les incendies, suivis ou non d’explosions, ne sont pas rares. Si l’on ne peut occulter les catastrophes de Texas City, de Brest, et de BASF en Allemagne (plus ou moins 500 morts à chaque fois entre 1921 et 1947), le spectaculaire feu de hangar de Nantes (1987) et son nuage entraînant l’évacuation de 25 000 personnes, l’explosion d’AZF à Toulouse reste l’exemple contemporain encore nimbé d’interrogations.

Il apparaît toutefois que des incendies non suivis d’explosion ravageant des bâtiments agricoles ne sont pas rares. Ils démontrent que les ammonitrates peuvent « baigner » dans un incendie sans exploser; ces exemples le prouvent. Deux importants sinistres impliquant 3,6 t dans le Morbihan et plus de 300 t dans l’Isère sont survenus depuis… Il existe pourtant des scénarios mal définis provoquant la violente réaction que l’on sait. Nombre d’explosions de ce produit ont été provoquées par l’emploi… d’explosifs pour casser la croûte enveloppant les stocks ! Ici, pas d’ambiguïté… Ce fut déjà le cas chez BASF en 1921 à Optau (Allemagne), en 1904 en Belgique et en Silésie (Pologne) en 1921.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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