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Catastrophe industrielle sur le site AZF de Toulouse
Récit des premières heures après l’explosion dramatique qui a secoué la Ville Rose.
Cet article est publié en deux parties. Cette première partie s’intéresse à l’explosion elle-même tandis que la seconde s’attache à la suite des événements.
Ce 21 septembre 2001, à 10 h 17, un séisme de 3,4 sur l’échelle de Richter est mesuré à l’Institut de physique du globe de Strasbourg. À cet instant même, au sud de Toulouse, à plus de 900 km, une pluie de tôles, de tuiles, de blocs de béton, d’acier s’abat autour du pôle chimique. À la place d’un hangar de 9 000 m² abritant 300 tonnes de nitrate d’ammonium, un cratère de 15 mètres de profondeur et de 60 m de diamètre… Autour, 30 morts, 2 200 blessés.
Les pompiers sont submergés d’appels. En de nombreux points du centre-ville, on signale de multiples explosions dont la simultanéité fait penser à des attentats. Ceux de New York sont encore dans tous les esprits. Cinq « départs normaux » (1 ou 2 engins-pompe et une échelle) sont dépêchés. Malgré les bris de vitres et les blessés légers constatés, l‘épicentre semble ailleurs. Le nuage de poussière coloré qui s’élève vers le sud et la rumeur désignent bientôt l’entreprise SNPE qui formule notamment des produits spéciaux pour les activités espace et Défense.
Une explosion « dantesque » mais le nuage n’est pas toxique
Dans cette usine, on constate un mort, une quinzaine de blessés, 200 personnes blessées ou traumatisées. Mais ce n’est toujours pas là. Sur ce site, il semble que tous les systèmes de protection liés à l’activité aient joué leur rôle.
Le message radio du premier engin arrive aux portes de ce qui reste de l’usine AZF est affolant : « Envoyez tous les secours, c’est dantesque ! La maison du gardien est soufflée et il n’y a plus rien autour ! »
À 10 h 32, le confinement des populations est demandé. Tous les secours convergent vers la zone sinistrée mais peu y parviennent. Les rues sont jonchées de débris et les secours sont assaillis par des blessés réclamant des soins. Le commandant des opérations de secours (COS), qui tente de remonter vers l’usine, doit stopper. On a couché un blessé grave sur son capot et calé un autre contre sa roue ! A 10 h 45, les premières mesures de toxicité sont effectuées aux abords du site : phosgène, chlore, ammoniac, hydrogène sulfure, oxyde d’azote, oxyde de carbone… Heureusement, rien de significatif : 25 ppm pour le chlore et l’ammoniac. Un périmètre de sécurité est fixé à 500 m, mais une première analyse de la situation révèle qu’il n’y a pas de risque a effet massif type phosgène.
A 10 h 40, le PPI (plan particulier d’intervention) et le Plan rouge sont déclenchés. Ce dernier ne sera levé que le mardi 25, le PPI ne le sera que le vendredi 28.
La surface balayée par le souffle et l’afflux de victimes entraînent l’activation de six postes médicaux avancés (PMA) dont le plus important est en limite de la zone « dangereuse ».
À la SNPE, AZF et Tolochimie, les trois usines regroupées dans ce secteur sud de Toulouse, le personnel valide a mis en sécurité les installations, vérifié les automatismes et procède aux coupures manuelles. Mais un gazomètre de 1 200 m3 d’ammoniac et un réservoir de 400 tonnes d’acide nitrique ont été détériorés par le souffle et des projectiles. Des vapeurs blanchâtres d’acide nitrique s’en échappent. Des lances sont établies en écran pour rabattre les vapeurs nitreuses.
Toute la partie nord d’AZF, soit un bon tiers de l’usine de 70 ha, est détruite. Les entreprises voisines, dans un rayon de 500 m, aussi. Les secours investissent progressivement les lieux, recherchant des victimes ou tentant d’évaluer plus précisément les risques. Un incendie subsiste au milieu des ruines. C’est un stock de palettes et de sacs en plastique qui brûle. On noie conjointement des nitrates dont la décomposition s’amorce. Cette auto-décomposition fait craindre un sur-accident à l’équipe dirigeante de l’usine qui demande l’évacuation du site.
Sur le périphérique routier, couvert de terre, gisent des dizaines de véhicules balayés par le souffle, leurs occupants blessés errant au milieu des débris. Un camion déséquilibré est tombé 15 m plus bas, près d’un magasin d’électroménager à demi effondré.
Les personnes sont progressivement regroupées au Stadium de Toulouse, à 2 km, mais doivent être déplacées vers une piscine voisine. Le stade a été soufflé et des éléments menacent de chuter. Progressivement, le cercle des reconnaissances s’agrandit. On effectue la visite des appartements et des contrôles sommaires de la stabilité des bâtiments. Il est 13 h.
Les CRS chassent les pillards
Des poissons morts flottent dans la Garonne qui borde l’usine. En cause : une fuite d’acide nitrique et de solutions azotées. Les services de l’Etat concernés sont alertés et des stations de pompage sont fermées par précaution. Dans l’acide nitrique jusqu’à la taille, un pompier et un technicien, en scaphandres, parviennent à colmater la brèche du réservoir à 90 %.
Vers 15 h 30, un nouveau circuit de relevés est effectué dans les quartiers soufflés. Mais aucun des gaz recherchés n’est détecté à une valeur significative. La levée des mesures de confinement est alors proposée au préfet.
Des départements voisins convergent des colonnes sanitaires, de sauvetage, de déblaiement, de risque chimique. Plus de 900 pompiers se relaieront sur zone. Les DISC de Brignoles et de Nogent-le-Rotrou, ainsi que le détachement de la BSPP de Lacq se rejoignent bientôt. 15 compagnies de CRS bouclent la zone et chassent les pillards descendus des cités voisines qui fondent sur les ordinateurs des groupes scolaires dévastés.
L’usine dispose de 15 sources radioactives scellées, heureusement localisées sur la partie sud du site. Les équipes radiologiques les sécuriseront. Tous les produits réagissant à l‘eau doivent être bâchés, tels les produits chlorés pour les piscines. Des éléments de toiture effondrés ont éventré des sacs de 500 kg mais il y en a quelque 780 tonnes.
18 h. La dernière victime vivante est extraite des décombres. Mais les recherches se poursuivront toute la nuit et le lendemain pour sonder chaque zone susceptible de receler encore des corps. Le ciel s’en mêle aussi. Des orages éclatent au-dessus du site et les ossatures déchiquetées ne sont plus protégées par des paratonnerres. II faut momentanément évacuer.
Après la recherche des corps, la sécurisation du site et l’évacuation de tous les produits toxiques deviennent la priorité, alors qu’à l’extérieur, l’entraide entre les sinistrés s’organise.
À lire également
La seconde partie de cet article, “AZF Toulouse, impact et mise en sécurité”, parue dans Face au Risque n° 383 de mai 2002.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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