Catastrophe industrielle sur le site AZF de Toulouse

1 février 200210 min

Récit des premières heures après l’explosion dramatique qui a secoué la Ville Rose.

Ceci est une légende Alt

Cet article est publié en deux parties. Cette première partie s’intéresse à l’explosion elle-même tandis que la seconde s’attache à la suite des événements.

Ce 21 septembre 2001, à 10 h 17, un séisme de 3,4 sur l’échelle de Richter est mesuré à l’Institut de physique du globe de Strasbourg. À cet instant même, au sud de Toulouse, à plus de 900 km, une pluie de tôles, de tuiles, de blocs de béton, d’acier s’abat autour du pôle chimique. À la place d’un hangar de 9 000 m² abritant 300 tonnes de nitrate d’ammonium, un cratère de 15 mètres de profondeur et de 60 m de diamètre… Autour, 30 morts, 2 200 blessés.

Les pompiers sont submergés d’appels. En de nombreux points du centre-ville, on signale de multiples explosions dont la simultanéité fait penser à des attentats. Ceux de New York sont encore dans tous les esprits. Cinq « départs normaux » (1 ou 2 engins-pompe et une échelle) sont dépêchés. Malgré les bris de vitres et les blessés légers constatés, l‘épicentre semble ailleurs. Le nuage de poussière coloré qui s’élève vers le sud et la rumeur désignent bientôt l’entreprise SNPE qui formule notamment des produits spéciaux pour les activités espace et Défense.

Dessin RD FI n° 380 - Crédit: René Dosne

Une explosion « dantesque » mais le nuage n’est pas toxique

Dans cette usine, on constate un mort, une quinzaine de blessés, 200 personnes blessées ou traumatisées. Mais ce n’est toujours pas là. Sur ce site, il semble que tous les systèmes de protection liés à l’activité aient joué leur rôle.

Le message radio du premier engin arrive aux portes de ce qui reste de l’usine AZF est affolant : « Envoyez tous les secours, c’est dantesque ! La maison du gardien est soufflée et il n’y a plus rien autour ! »

À 10 h 32, le confinement des populations est demandé. Tous les secours convergent vers la zone sinistrée mais peu y parviennent. Les rues sont jonchées de débris et les secours sont assaillis par des blessés réclamant des soins. Le commandant des opérations de secours (COS), qui tente de remonter vers l’usine, doit stopper. On a couché un blessé grave sur son capot et calé un autre contre sa roue ! A 10 h 45, les premières mesures de toxicité sont effectuées aux abords du site : phosgène, chlore, ammoniac, hydrogène sulfure, oxyde d’azote, oxyde de carbone… Heureusement, rien de significatif : 25 ppm pour le chlore et l’ammoniac. Un périmètre de sécurité est fixé à 500 m, mais une première analyse de la situation révèle qu’il n’y a pas de risque a effet massif type phosgène.

A 10 h 40, le PPI (plan particulier d’intervention) et le Plan rouge sont déclenchés. Ce dernier ne sera levé que le mardi 25, le PPI ne le sera que le vendredi 28.

La surface balayée par le souffle et l’afflux de victimes entraînent l’activation de six postes médicaux avancés (PMA) dont le plus important est en limite de la zone « dangereuse ».

À la SNPE, AZF et Tolochimie, les trois usines regroupées dans ce secteur sud de Toulouse, le personnel valide a mis en sécurité les installations, vérifié les automatismes et procède aux coupures manuelles. Mais un gazomètre de 1 200 m3 d’ammoniac et un réservoir de 400 tonnes d’acide nitrique ont été détériorés par le souffle et des projectiles. Des vapeurs blanchâtres d’acide nitrique s’en échappent. Des lances sont établies en écran pour rabattre les vapeurs nitreuses.

Toute la partie nord d’AZF, soit un bon tiers de l’usine de 70 ha, est détruite. Les entreprises voisines, dans un rayon de 500 m, aussi. Les secours investissent progressivement les lieux, recherchant des victimes ou tentant d’évaluer plus précisément les risques. Un incendie subsiste au milieu des ruines. C’est un stock de palettes et de sacs en plastique qui brûle. On noie conjointement des nitrates dont la décomposition s’amorce. Cette auto-décomposition fait craindre un sur-accident à l’équipe dirigeante de l’usine qui demande l’évacuation du site.

Sur le périphérique routier, couvert de terre, gisent des dizaines de véhicules balayés par le souffle, leurs occupants blessés errant au milieu des débris. Un camion déséquilibré est tombé 15 m plus bas, près d’un magasin d’électroménager à demi effondré.

Les personnes sont progressivement regroupées au Stadium de Toulouse, à 2 km, mais doivent être déplacées vers une piscine voisine. Le stade a été soufflé et des éléments menacent de chuter. Progressivement, le cercle des reconnaissances s’agrandit. On effectue la visite des appartements et des contrôles sommaires de la stabilité des bâtiments. Il est 13 h.

Les CRS chassent les pillards

Des poissons morts flottent dans la Garonne qui borde l’usine. En cause : une fuite d’acide nitrique et de solutions azotées. Les services de l’Etat concernés sont alertés et des stations de pompage sont fermées par précaution. Dans l’acide nitrique jusqu’à la taille, un pompier et un technicien, en scaphandres, parviennent à colmater la brèche du réservoir à 90 %.

Vers 15 h 30, un nouveau circuit de relevés est effectué dans les quartiers soufflés. Mais aucun des gaz recherchés n’est détecté à une valeur significative. La levée des mesures de confinement est alors proposée au préfet.

Des départements voisins convergent des colonnes sanitaires, de sauvetage, de déblaiement, de risque chimique. Plus de 900 pompiers se relaieront sur zone. Les DISC de Brignoles et de Nogent-le-Rotrou, ainsi que le détachement de la BSPP de Lacq se rejoignent bientôt. 15 compagnies de CRS bouclent la zone et chassent les pillards descendus des cités voisines qui fondent sur les ordinateurs des groupes scolaires dévastés.

L’usine dispose de 15 sources radioactives scellées, heureusement localisées sur la partie sud du site. Les équipes radiologiques les sécuriseront. Tous les produits réagissant à l‘eau doivent être bâchés, tels les produits chlorés pour les piscines. Des éléments de toiture effondrés ont éventré des sacs de 500 kg mais il y en a quelque 780 tonnes.

18 h. La dernière victime vivante est extraite des décombres. Mais les recherches se poursuivront toute la nuit et le lendemain pour sonder chaque zone susceptible de receler encore des corps. Le ciel s’en mêle aussi. Des orages éclatent au-dessus du site et les ossatures déchiquetées ne sont plus protégées par des paratonnerres. II faut momentanément évacuer.

Après la recherche des corps, la sécurisation du site et l’évacuation de tous les produits toxiques deviennent la priorité, alors qu’à l’extérieur, l’entraide entre les sinistrés s’organise.

« Mon écran d’ordinateur s’est tout à coup figé, explique le chef d’atelier sécurité de l‘usine AZF. Je me suis rendu auprès de mon collègue, dans le bureau voisin : son écran était lui aussi neigeux, illisible. Alors que je retournais, intrigué, dans mon bureau, tout a sauté ». II ne pourra pas nous renseigner sur la suite de l’évènement : il est reste coincé 7 heures, presque indemne, sous une dalle de béton ! Il ignorait qu’un de ses collègues, dans le même bâtiment, avait eu le bras électrisé alors qu’il téléphonait, qu’une diode de téléphone avait produit de la fumée, et que plus loin, à l’atelier d’ensachage, un ouvrier avait été jeté au sol par une décharge électrique quelques secondes avant l’explosion.

La société Grande Paroisse, premier fabricant français de fertilisants obtenus principalement à partir de la transformation de l’azote, possède huit plates-formes en France et une aux Pays-Bas. L’usine de Toulouse représente 20 % du chiffre d’affaires du groupe. Spécialisée dans la chimie de l’azote, elle affiche un chiffre d’affaires de 150 M€, dont 80 % proviennent de la production de fertilisants agricoles.

L’usine a été construite en 1924 mais l’essentiel des installations actuelles date plutôt des années 1960. Elle est située au sud de Toulouse, à environ 3 km du centre. Bordant la Garonne, elle se trouve à moins de 500 m de la SNPE. La totalité des activités a fait l’objet d’un arrêté préfectoral du 18 octobre 2000.

L’usine AZF, implantée à 3 km au sud du centre-ville de Toulouse forme, avec la Société Nationale des Poudres et Explosifs et Tolochimie, un pôle chimique. Longue de plus d’un kilomètre, large de 500 à 600 m, elle s’étend sur 70 ha. 450 personnes y travaillent, auxquelles il faut ajouter 150 intervenants extérieurs. Produisant divers engrais et produits chimiques à partir de gaz naturel, elle est organisée autour de plusieurs pôles. On trouve, du nord au sud, l’unité de fabrication et de stockage des nitrates (1 250 t/j) suivie de l’unité de fabrication d’acide nitrique (820 t/j) puis de celle d’urée (1 200 t/j) et d’ammoniac (1 150 t/j). À L’extrémité sud, sont implantées les unités de fabrication produisant divers autres produits chimiques : mélamine, (70 t/j) ainsi que des dérivés chlorés, des calles, des résines, des durcisseurs…

Bordée à l’est par la Garonne, à l’ouest par la route d’Espagne, au nord par une rocade, l’usine a progressivement été rejointe par l’urbanisation. On trouve, dans un rayon de moins d’un kilomètre, des ERP, dont un groupe scolaire, un établissement hospitalier, une grande surface d’électroménager, une autre réservée aux professionnels du bâtiment et de très nombreuses habitations. Au moment de l’accident, parmi les principaux produits stockés sur le site, se trouvaient : 1 778 m³ d’acide nitrique, 5600 t de nitrates d’ammonium industriel et agricole, plus 834 t en solution chaude, 7 wagons de chlore (400 t environ), 1 770 t d’ammoniac plus 26 wagons, 825 t de solutions azotées, 605 t d’acides cyanuriques, 690 t de produits chlorés…

La zone d’accueil couvre plusieurs kilomètres carrés. Six PMA seront activés, dont un premier, « naturel ». En effet, de nombreux blessés rejoignent la caserne de pompiers Jacques-Vion située à près de 3 km de l’usine. La dénomination d’un PMA principal par le COS, à 2 km de l‘épicentre, va permettre l‘organisation et la montée en puissance des secours (petite noria, grande noria, zone hélico, point de regroupement des moyens .. . ). Plus de 700 blessés y seront traités en 7 heures !

Le département compte plus de 70 VSAB (véhicules de secours aux asphyxiés et blessés). Mais il faut continuer à assurer la couverture des risques « habituels ». Une trentaine sera engagée alors que des colonnes de VSAB convergeront des départements voisins.

Parmi les plus gros dommages industriels en temps de paix, seuls l’explosion de la raffinerie de la Mède suivie d’un incendie, en 1992, et le feu entraînant l’explosion d’une usine d’artifices en Hollande, en 2000, se rapprochent, sans les dépasser, des dégâts observés à Toulouse.

Les explosions de stocks de nitrate d’ammonium sont rares mais meurtrières. En 1921, à l’usine BASF en Allemagne : 561 morts, 1 900 blessés. En 1947, à Texas City, explosion d’un cargo : 581 morts, 3 500 blessés. Trois mois plus tard, à Brest, encore un cargo : 26 morts, des centaines de blessés.

D’autres cas signalent des incendies de stocks de nitrates d’ammonium brûlant sans toutefois exploser. Le dernier remonte au 4 octobre 2001, en Loire Atlantique, où 40 t d’ammonitrates ont brûlé alors que du chlorate de soude explosait dans l’incendie. En 1987, à Nantes, la décomposition d’engrais entraîne la formation d’un nuage chargé d’acide nitrique conduisant à l’évacuation de 37 000 personnes durant 9 h !

À lire également

La seconde partie de cet article, “AZF Toulouse, impact et mise en sécurité”, parue dans Face au Risque n° 383 de mai 2002.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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