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Incendie dans le tunnel routier du Saint-Gothard
Malgré une conception et des infrastructures modernes, le tunnel du Saint-Gothard se transforme en piège mortel comme au Mont-Blanc.
Le tunnel routier du Saint-Gothard entre la Suisse et l’Italie avait presque tout ce que le tunnel du Mont Blanc n’avait pas : un tunnel de secours pressurisé, des pompiers privés entrainés, équipés d’un matériel récent et adapté, capables d’intervenir dans les 5 minutes, des puits de ventilation débouchant 600 m plus haut dans la montagne… Pourtant, le 24 octobre 2001, onze personnes y ont trouvé la mort.
Dans le tunnel, les camions défilent. Soudain, des témoins voient un camion chargé de films zigzaguer sur plus de 200 m, puis emprunter la voie inverse sur laquelle arrive un autre camion, transportant des pneus. Les deux mastodontes s’accrochent, s’encastrent tête-bêche et s’embrasent. Bientôt, le chargement de pneus s’enflamme, produisant un énorme volume de fumée submergeant véhicules et témoins qui tentent de fuir. Il est 9 h 45. Les caméras et une alarme alertent le PC sud. A chaque extrémité, les feux passent au rouge en amont de l’incendie, alors qu’ils restent au vert en aval pour la sortie des véhicules engagés. L’éclairage de sécurité s’allume au sol, tandis que celui de la voute est accentué. La ventilation est activée à 100 % de sa capacité d’aspiration.
Moins de 5 minutes plus tard, le premier engin des pompiers du tunnel stoppe à quelques dizaines de mètres d’un mur de flammes d’où émergent les deux camions. Du carburant enflammé s’écoule dans les caniveaux. Alors que l’attaque du feu commence, les premières victimes sauvées, mais intoxiquées, sont récupérées dans le tunnel de fuite. Une trentaine d’entre elles proviennent du tronçon totalement enfumé du tunnel, où de nombreux véhicules ont été abandonnés. Si l’atmosphère est encore tenable côté sud, dans le sens du tirage, elle est critique vers le Nord, sur plusieurs kilomètres.
Des milliers d’habitants doivent se confiner
Le camion des secours entré par le nord du tunnel voit sa progression ralentie, puis stoppée à 5 km du feu tant la fumée réduit la visibilité. Conjointement, un véhicule léger s’engage dans le tunnel de secours pour récupérer les personnes en fuite.
Vers 10 h 15, les premiers secours extérieurs venus de Biasca, une ville suisse du canton du Tessin située a 40 km environ de là, s’engagent dans le tunnel côté sud pour appuyer l’attaque des pompiers du tunnel.
La centrale de ventilation de la sortie sud crache une abondante fumée malodorante qui s’étale dans la vallée. Deux heures durant, plusieurs milliers d’habitants de la commune voisine d’Airolo devront se confiner.
Le plan sanitaire « accident majeur » (plus de 10 victimes) est déclenché. Le foyer initial régresse considérablement mais parallèlement, l’incendie progresse vers le Nord, atteignant la file de véhicules stoppés par l’accident, sur 150 m environ.
Les renforts se regroupent maintenant aux extrémités du tunnel. Hélicoptères et ambulances emportent les personnes intoxiquées, traitées jusqu’alors au Poste médical avancé (PMA) par les équipes sanitaires.
Au plus près de l’incendie, la chaleur déforme le mince voile de béton de la voûte qui commence à s’abattre par pans entiers sur les véhicules. Plusieurs détonations bousculent des pompiers. N’ayant plus personne à sauver, ils décident de se replier, en fin de matinée, tout en laissant des lances-canon à balayage automatique contenir le sinistre à ses extrémités. L’investigation progressive du tronçon nord, enfumé, permet de découvrir des victimes éparpillées au sol ou dans leur véhicule. Certaines ont péri à quelques mètres d’un sas de secours !
L’état de la voute au-dessus du tronçon de 150 m ravagé par l’incendie ne permet pas aux sauveteurs de progresser en sécurité. Dans la nuit du mercredi 24 au jeudi 25, quatre investigations sous ARI (appareil respiratoire isolant) sont effectuées dans le tunnel. Vers 12 h, il ne subsiste que des foyers partiels résistant sous les gravats recouvrant les véhicules. Le dispositif s’allège. Le tirage orienté au sud permet à la police scientifique de comptabiliser les victimes et les véhicules au nord du feu.
Le vendredi, dès 7 h, l’étalement de la voûte est entrepris afin d’inspecter progressivement l’intérieur des véhicules brûlés. On découvrira, au début de la semaine suivante, les restes du conducteur d’un camion de fleurs. Le corps du conducteur à l’origine de l’accident a été retrouvé près du refuge n° 68. Bilan : onze morts, une trentaine de blessés, un tunnel autoroutier stratégique fermé pour plusieurs mois.
Mousse de polyuréthanne au Mont Blanc, peintures au Tauern, pneus au Saint Gothard. Aucun des véhicules à l’origine des incendies n’était considéré comme un transport de matières dangereuses. Plus que le feu, c’est encore une fois une production inhabituelle de fumée, trop importante pour le dispositif de ventilation qui, en quelques instants, provoque le drame.
L’accident survient à 1 km de la sortie sud, facilitant l’intervention, rapide et massive, des secours dans le sens du tirage et l’évacuation des occupants de ce tronçon. Mais il faut prendre le feu à revers, alors qu’il attaque les 5 semi-remorques stoppées sur le tronçon nord. II faut remonter le tunnel de service et ressortir au sas suivant, à 250 m. C’est là que l’on rencontre les premières personnes intoxiquées.
Les secours intervenant par le Nord rencontreront plus de difficultés. Face au tirage, ils seront plongés, a quelques kilomètres de l’entrée, dans une vague de chaleur et de fumée. L’absence de visibilité, la présence de nombreux véhicules abandonnés en tous sens, et l’éventualité de corps sur la chaussée ont empêché leur engagement sur le front de feu.
Les victimes ont-elles pu se croire à l’abri dans leur véhicule ?
Rapidement, près de 70 ARI longue durée ont été disponibles. La présence du tunnel de service a permis de réduire le nombre de victimes et facilité l’intervention des secours, en offrant constamment une voie d’accès sécurisée. Arrêtés par l’accident, les camions se trouvent à quelques mètres les uns des autres, offrant ainsi un chemin aisé de propagation de l’incendie entre véhicules.
À 300 m du feu, voire plus, dans une atmosphère surchauffée, on a frôlé l’embrasement spontané de véhicules, tous leurs éléments fusibles se liquéfiant autour d’eux… C’est dans cette même zone que dix des victimes ont été retrouvées asphyxiées.
II semble que la gravité de la situation n’apparaisse pas clairement aux automobilistes qui, dans un premier temps, se croient à l’abri dans leur véhicule. Ces quelques instants d’indécision ont sans doute été fatals, l’opacité et la toxicité des fumées les terrassant lorsqu’ils décident de rejoindre un abri. De plus, il semble que certaines victimes aient poussé en vain les portes des refuges qui étaient à glissière, partant ensuite à la recherche d’une autre issue.
Les fumées ne se sont pas stratifiées et ont pu avancer sous la voûte, peu gênées par une extraction de faible capacité (1 m² environ tous les 16 m) par rapport à l’incendie. Comme dans le tunnel du Mont-Blanc, la ventilation n’était dimensionnée que pour assurer un renouvellement d’air pour un trafic donné (1 800 véhicules/h) et non pour absorber une énorme production de fumée provoquée par un incendie. Pourtant, dans le tunnel du Saint-Gothard, le programme de modernisation de la ventilation était en voie d’achèvement.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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