Feux d’artifice mortels en Hollande

1 octobre 20008 min

Une explosion dans une entreprise de feux d’artifice tue 20 personnes, en blesse 1 000 et rase toutes constructions sur 4 hectares. En cause, des stockages de poudre beaucoup trop importants. Les secours, désorganisés, mettront près de 10 heures à juguler l’incendie de tout un quartier.

Ceci est une légende Alt

Le 13 mai 2000, un samedi, vers 15 h 30, des centaines de badauds convergent vers le quartier de Mekkelholt d’où s’élève une fumée blanche. Cela se passe chez Fireworks, une entreprise de feux d’artifice.

Un fourgon et une échelle pivotante, rejoints par une ambulance et l’officier de garde, sont là depuis 15 h 30 environ. Ils luttent contre un début d’incendie dans la cour de l’entreprise, face à un bâtiment à simple rez-de-chaussée d’environ 190 m² au sol, en maçonnerie, recoupé en 12 cellules indépendantes. 2 petites lances sont en manœuvre, mais l’incendie résiste et s’insinue dans un, puis deux boxes. 3 engins pompe supplémentaires se positionnent en périphérie de l’entreprise, portant l’effectif des secours à une vingtaine d’hommes. Une lance-canon est établie. Mais les fumées s’épaississent. Des volées de fusées partent. Les deux dirigeants de l’entreprise s’enfuient…

Une première explosion violente force les pompiers à se replier à l’extérieur. Des centaines de badauds, vélo en main, amorcent eux aussi leur repli. Cette explosion vient de faire des victimes. 3 pompiers se portent au secours de l’une d’elles tombée sur le trottoir lorsqu’une formidable détonation se produit. Ils sont tués par l’effondrement du mur de façade. L’explosion, entendue à 15 km, vient de raser 4 hectares d’un quartier résidentiel constitué de maisons individuelles.

Dessin RD FI n° 366 - Crédit: René Dosne

De multiples incendies provoqués par les impacts de fusées se développent. Maisons, voitures, arbres, tout brule alors que les explosions, moins violentes, continuent. Le dispositif de secours est décimé. 4 pompiers sont tués, de nombreux autres sont blessés, dont 4 gravement. Tous les engins sont démantelés et en feu. 10 voitures de police sont détruites… Il faut attendre l’arrivée des renforts, constitués du restant des professionnels de la ville et des volontaires, pour reprendre la lutte.

L’usine est insérée dans une zone industrielle, bordant le quartier résidentiel. L’incendie s’y développe de façon concentrique, gagnant une grosse usine textile reconvertie en lofts d’artistes et en petites entreprises. Les secours progressent avec peine dans les rues couvertes de décombres, ou brûlent près de 150 voitures. De multiples fuites de gaz se sont produites dans les pavillons éventrés ; les services concernés éprouvent des difficultés à isoler le secteur. L’incendie doit être combattu sans toutefois souffler les torchères.

Plus de 2 000 sauveteurs sont mobilisés

Deux compagnies de sapeurs-pompiers, 180 hommes, 24 engins-pompe, appuyés par une quarantaine d’engins allemands (l’Allemagne est à 5 km), 120 ambulances, 12 hélicoptères, convergent sur Enschede. Plus de 2 000 sauveteurs en tout ! Le PC est implanté en périphérie du quartier, près d’un parc ou une piste d’atterrissage pour hélicoptère a été instaurée. Police, pompiers et service sanitaire (semblable à notre Samu) interviennent sous la direction du commandant des pompiers.

La plus importante brasserie de Hollande, qui surplombe le quartier de ses imposantes installations, a été criblée d’impacts de fusées et de nombreux départs de feu s’y produisent. Tous seront jugulés à temps. Vers 18 h, l’incendie est circonscrit par plusieurs centaines de sauveteurs ; 3 lignes de tuyaux de 150 mm de diamètre ont été établies pour appuyer le réseau urbain d’incendie. II faudra attendre minuit pour que la plupart des foyers soient maitrisés et que le gaz soit coupé. Toute la nuit, les secours progressent et reprennent possession du quartier, luttant maison par maison pour combattre les innombrables foyers.

L’explosion a provoqué des dommages considérables dont on prend la mesure le dimanche matin. C’est véritablement dans un décor de bombardement que les premiers enquêteurs, en combinaisons blanches et masques – une concentration d’amiante a été décelée, peut-être employée à l’isolation des pavillons – vont rechercher les premiers indices, alors que plusieurs centaines d’hommes fouillent les décombres à la recherche de victimes. Des centaines de personnes sont alors portées disparues… Onze jours après la catastrophe, les recherches sont suspendues.

Le bilan s’établit alors à 20 morts et près de 1 000 blessés.

Plusieurs hypothèses ont été avancées, pour tenter d’expliquer l’origine de la gigantesque explosion qui s’apparente, visuellement et dans ses effets, à un Bleve. Présence de magnésium réagissant à l’eau, poudre extraite de fusées en quantité importante, explosif indéterminé, nuage de poudre soulevé par la première

Image FI n° 366 03 - Crédit: René Dosne

Mortiers servant à lancer les fusées.

explosion et s’enflammant quelques instants plus tard.

La situation est particulièrement délicate pour les sauveteurs. Moins d’une demi-heure après l’arrivée des secours, l’explosion cataclysmique fauche près de 400 maisons. De plus, leur premier dispositif est décimé et 4 des leurs périssent.

L’entreprise stockait plus d’une tonne d’explosifs

Outre la prise en charge d’un afflux de victimes, deux types de sinistres sont à combattre : feux épars de maisons, réclamant mobilité, et feu de bâtiments industriels, exigeant des moyens plus lourds. Une solide sectorisation permettra de gérer l’afflux de sauveteurs bénévoles.

L’eau est distribuée par des bouches d’incendie et non par des poteaux. Elles ont résisté aux explosions. Il a fallu cependant, pour alimenter la quarantaine de lances, renforcer le réseau de ville en établissant 3 lignes de tuyaux de 150 mm à partir d’un point d’eau naturel.

Le chef d’entreprise et son associé, dont la fuite après l’explosion, justifiera un mandat de recherche international, sont rapidement arrêtés. Comportement de panique ou crainte de devoir assumer des pratiques repréhensibles, l’enquête devra le définir.

Image FI n° 366 02 - Crédit: René Dosne

Près d’une vingtaine de conteneurs au lieu des trois autorisés.

Approvisionnée en fusées produites en Chine, la société en vidait la poudre pour la reconditionner dans de nouveaux feux d’artifices.

Stockant plus de 1 000 kg d’explosifs, l’entreprise était assujettie à la réglementation du ministère de la Défense. Elle possédait l’autorisation de stocker dans trois conteneurs. Le dernier contrôle effectué en 1997 en avait dénombré sept. Enfin, une photo satellite prise 3 heures avant l’explosion permet d’en compter une vingtaine !

Selon la réglementation locale, la présence de trois conteneurs exigeait un éloignement des habitations de 50 m. Les premières maisons, dont certaines datent des années 80 – l’entreprise date de 1976 – se tenaient à 12 m.

Le stockage de produits explosifs s’effectue en principe dans des constructions aux parois très résistantes, coiffées d’une couverture légère afin de canaliser les projections en cas d’explosion. Ce n’était pas le cas. Au contraire, l’enveloppe d’acier des conteneurs les a transformés en véritables grenades.

La municipalité précise que ses autorisations concernant l’implantation de conteneurs suivaient l’avis du ministère de la Défense, mais le déplacement de l’entreprise était envisagé pour 2002.

Les installations comprennent, sur 3 700 m² de terrain environ, 4 bâtiments à usage d’entrepôt à simple R-d-C, et un pavillon à usage mixte domestique/bureaux. Deux faces ouvrent sur des bâtiments industriels, les deux autres sur le quartier résidentiel. Les entrepôts sont à ossature métallique et parois de bordage, à l’exception du bâtiment central aux murs de maçonnerie. Ce dernier, rectangulaire, de 190 m² au sol, est recoupé en 12 cellules disposant chacune d’une double porte d’accès. La toiture terrasse est en matériau léger. Dans la cour, est disposé un stockage « provisoire » d’une vingtaine de conteneurs en acier de type « bateau ». Ils sont équipés de doubles portes en extrémité.

Fireworks est une petite entreprise qui ne possédait pas, semble-t-il, de service de sécurité incendie. Les moyens de lutte devaient être constitués d’extincteurs. L’état actuel du site, complètement soufflé, ne peut plus apporter de précisions sur ce point.

La ville d’Enschede comprend un important corps de sapeurs-pompiers mixte, composé de 80 professionnels appuyés de nombreux volontaires. Les divers engins, parmi lesquels 5 engins-pompe, un bras élévateur, une échelle de 30 m, des engins spéciaux (éclairage, tuyaux, assistance respiratoire, etc.) sont répartis sur deux casernes.

Le réseau d’eau du quartier est constitué de bouches d’incendie reparties tous les 80 m environ (50 m3/h), dont une à proximité immédiate de l’entreprise.

Cet incendie peut être rapproché de celui des établissements Ruggieri, survenu près d’Avignon en 1983 (relaté dans Face au Risque n° 198). Si ce dernier n’a pas eu un caractère aussi catastrophique, il en présente néanmoins certaines similitudes. Le temps est très chaud, les portes de hangar sont ouvertes. Les premières fusées se dispersent alentour, allumant des incendies (jusqu’à 800 m) en retombant. Certaines entrent dans les ateliers en vis-à-vis, entraînant des réactions en chaine. Chez Ruggieri, tous les bâtiments sont bientôt touchés par des impacts de fusées. Leur contenu s’enflamme et atteint d’autres bâtiments aux portes également ouvertes… L’un des premiers enseignements avait été de ne plus disposer les portes en vis-à-vis.

Chez Fireworks, l’entrepôt initial est implanté en diagonale, peut-être justement pour ne pas créer de problème de vis-à-vis par rapport aux autres. Mais il est, avec le temps, cerné sur deux de ses faces par l’alignement d’une vingtaine de conteneurs probablement remplis de fusées, ce qui élève le risque de réaction en chaine.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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