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L’enfer au cœur du Mont Blanc
Comprendre le déroulement et les causes de cet incendie six mois après la survenance de ce sinistre. Malgré leur engagement, les pompiers français et italiens ne parviendront pas à intervenir sur ce sinistre éclair. Les experts émettent des recommandations pour renforcer la sécurité du tunnel.
Le 24 mars 1999 en milieu de matinée, une catastrophe sans précédent se produit au cœur du tunnel du Mont-Blanc causant la mort de 39 personnes. Le sinistre ravagera 34 véhicules, dont 23 camions, 1 camionnette, 9 voitures de tourisme et 1 fourgon d’incendie répartis sur plus de 1,3 km.
Dans un tunnel au trafic moyennement dense (300 véhicules/h dont 50 % de poids lourds), un camion belge s’arrête à 6,5 km de l’entrée française, face au garage 21, au terme d’une montée antérieure de 4 km à 7 %. Un incendie semble se développer au niveau de la cabine ou en dessous. Ce qui n’est encore qu’un incident est déjà perçu par le PC français depuis 2 minutes, les opacimètres des garages 14 et 18 ayant déclenché au passage du véhicule. Les caméras réparties dans le tunnel permettent de constater un enfumage depuis le garage 16, à 1 500 m…
L’alerte, déclenchée à 10 h 54, entraîne le départ du premier engin-pompe du tunnel armé par 4 hommes. Le tunnel est fermé à la circulation à ses deux extrémités. Une alarme coup de poing, un décroché d’extincteur, confirment et localisent l’événement.
Après quelques minutes de trajet, le fourgon d’ATMB (société du tunnel) est bloqué par la fumée. Son personnel se replie dans le refuge 17, à 1,2 km du camion en feu. Côté italien, bénéficiant du bon sens de tirage, on évacue 8 routiers qui reculent leurs camions à 300 m du feu plus 4 véhicules de tourisme.
Parmi les deux employés présents, un a pu approcher la cabine en feu à moins de 6 m. Puis, c’est au premier engin-pompe de Chamonix, entré à 11 h 10, de se trouver bloqué à son tour, avec ses 6 hommes, à 2,4 km du feu. Entré à 11 h 35, le deuxième fourgon de Chamonix est stoppé par l’épaisse fumée au refuge 5, à 4,8 km du feu ! En moins de 40 minutes, 17 sauveteurs sont en danger dans le tunnel, justifiant le déclenchement du plan rouge !
En l’absence de précisions concernant d’éventuels usagers en difficulté, l’essentiel des efforts du Commandant des opérations de secours (COS) porte sur le sauvetage des… sauveteurs, dont les derniers, ceux d’ATMB, sortiront du piège de fumée vers 18 h 30. Ils auront passé près de 7 h indescriptibles dans l’obscurité et les fumées toxiques, au son des explosions sourdes. Quatorze seront traités dans les hôpitaux locaux et à Lyon mais l’un d’eux, l’adjudant-chef Tosello, ne pourra être ranimé par ses camarades.
Une colonne de renforts arrive dans des conditions difficiles
Alors que les bouches d’aération, à flanc de montagne, vomissent une épaisse fumée irritante, les moyens de secours s’accumulent aux deux extrémités du tunnel sans pouvoir, côté français, intervenir à contre-tirage. Les pompiers de Genève arrivent en fin de soirée avec un ventilateur grand débit et des ARI à circuit fermé pour offrir leur appui.
À ce moment, un motard de la société d’exploitation italienne est porté disparu, un sapeur-pompier est décédé et trois usagers sont retrouvés asphyxiés à 900 m du feu (garage 18). Aucune information précise n’existe sur le nombre éventuel de véhicules
L’état des véhicules témoigne de l’intensité de la chaleur.
impliqués, hormis le camion belge et les 8 camions abandonnés côté italien.
Durant toute la nuit du 24 au 25, les tentatives de pénétration se poursuivent, la fumée et la chaleur interdisant la progression au-delà du garage 19, à 600 m du feu… Le jeudi 25 en fin de matinée, un hélicoptère tente de transporter un groupe de sauveteurs franco-suisses destinés à renforcer leurs collègues italiens. En vain, neige et brouillard sont au rendez-vous dans le Val d’Aoste ! La constitution d’une colonne terrestre est décidée. La Gendarmerie dispose alors d’une liste de 32 personnes recherchées. L’ampleur du drame se dessine lentement.
Vers 21 h, après relève des personnels et réarmement, la colonne terrestre (25 véhicules et 45 pompiers) reçoit l’ordre de départ. Elle arrive sur la plateforme italienne à 3 h du matin, le vendredi, au terme d’une épopée de 190 km, deux cols et la traversée du Saint Bernard dans la neige et le brouillard.
Pompiers italiens, suisses et français unissent alors leurs efforts pour progresser au-delà du camion initialement enflammé, précédés d’un bulldozer, poussant à bras deux ventilateurs grand débit. Soumis aux chutes de gravats se détachant de la voûte, ils avancent dans une chaleur étouffante, rayonnant des carcasses d’acier incandescentes de camions enfoncés dans l’asphalte pâteux et des parois de béton.
Le feu sera déclaré « éteint » à 15 h, plus de 50 heures après son éclosion !
Ce sinistre a évidemment révélé toutes sortes de dysfonctionnements ayant conduit au terrible bilan de 39 morts, dont un sauveteur et un employé italien.
À l’origine, le feu siégeant au niveau du moteur, du turbo, à moins que ce ne soit sur le groupe de réfrigération, pouvait normalement être maitrisé en quelques dizaines de minutes par un véhicule d’incendie. II ne s’agit pas d’un transport de matières dangereuses au sens règlementaire et pourtant il va, en un peu plus de 10 minutes, détruire toute vie sur 500 m… et cela à cause de la conjonction de toutes sortes d’éléments, dont un est particulièrement aggravant : la semi-remorque étant frigorifique, elle était constituée de panneaux sandwich (paroi de polyester emprisonnant une couche de 7 à 10 cm de mousse de polyuréthane). Plus de 20 m³ de mousse extrêmement fumigène et toxique (fumée abondante, épaisse, suffocante, jaunâtre, vapeurs cyanhydriques entre autres) brûlant en milieu confiné, ajoutés bientôt de 9 t de margarine qui se liquéfient et brûlent comme de l’huile.
Un comité technique de sécurité sera créé pour la réouverture du tunnel à la rentrée 2000
La détection de l’événement et sa prise en compte par le PC français sont rapides. Pourtant, les chiffres traduisant l’enfumage éclair sont là :
- H+3 et H+5 min, premier et deuxième camions d’ATMB bloqués à 1200 m du feu ;
- H+18, premier engin de Chamonix bloqué à 2,4 km du feu ;
- H+44, deuxième engin de Chamonix bloqué à 4,8 km du feu !
23 camions, 9 voitures, 1 camionnette alignés sur plus d’un kilomètre.
Jamais aucun sauveteur n’aura pu entrevoir l’arrière du bouchon de véhicules accumulés jusqu’à 500 m après le camion initial… Lorsque le premier fourgon de Chamonix entre dans le tunnel, tous les automobilistes (à l’exception de 2 personnes réfugiées au garage 20 et qui décèderont semble-t-il bien plus tard) ont péri asphyxiés dans leurs véhicules. Trois d’entre-eux, qui s’étaient échappés, sont morts à 900 m du feu, rattrapés par le mur de fumée.
Du rapport d’experts publié au mois de juillet, il ressort un certain nombre de recommandations à adopter avant la réouverture du tunnel, prévue pour l’instant à la rentrée 2000. Parmi celles-ci : un comité technique de sécurité qui inclura cette fois des responsables locaux de la sécurité incendie sera créé au sein de la commission de contrôle intergouvernementale existante. La création d’une société unique de gestion, filiale des deux concessionnaires français et italiens, harmonisera les programmes liés notamment à la sécurité. Un seul PC assurera la gestion des équipements du tunnel, dont les systèmes de commande et de contrôle seront informatisés. La ventilation de désenfumage sera améliorée, afin d’atteindre les débits préconisés sur les tunnels actuels : 110 m³/s sur 600 m maxi, grâce à des bouches d’extraction disposées tous les 100 m maximum.
Le nombre de refuges capables de soustraire les usagers à l’atmosphère enfumée du tunnel sera doublé et C-F 2 h. Ils disposeront de liaisons sonores et visuelles avec le PC et seront raccordés à une des galeries d’air frais leur permettant de s’échapper, ainsi qu’aux sauveteurs de les rejoindre. Un dispositif permettra de connaître le nombre de véhicules engagés dans le tunnel (rappelons que la société n’a pas été en mesure d’exploiter avec certitude les informations dont elle disposait à ce sujet lors du feu et que le nombre de véhicules n’a été connu qu’au cours de la lente progression des secours côté Italie). Les camions parviennent au péage au terme d’une longue montée à fort pourcentage. Toute fumée ou échauffement suspect devra pouvoir être détectée avant leur entrée.
Au niveau de l’organisation des secours privés et publics, un plan d’opération interne sera actualisé. Ses scénarios types permettront la mise en œuvre de procédures opérationnelles automatisées, réduisant les initiatives humaines. Des équipes de sécurité égales en nombre et en équipements seront à même d’intervenir dans les 5 minutes, depuis les deux extrémités.
Un plan de secours binational (inspiré du tunnel sous la Manche) facilitera notamment l’engagement des moyens des deux pays, placés sous le commandement unique du COS territorialement concerné.
Information du public
Il est évident que les usagers ne connaissaient rien des possibilités de mise à l’abri du tunnel, marqué d’un repérage lumineux. Les seuls ayant réussi à survivre dans cette ambiance mortelle sont les sauveteurs, qui eux connaissaient bien les refuges et leurs capacités… Un document, donné au péage, leur présentera les équipements de sécurité et la conduite à adopter en cas d’accident ou d’incendie. Des campagnes de sensibilisation seront simultanément menées dans les deux pays, pour les usagers potentiels. Enfin, la sonorisation du tunnel et les autoradios seront également des vecteurs d’information en temps réel.
Le trafic routier d’aujourd’hui (2 000 camions/jour) ne correspond plus, malgré les améliorations régulières, aux installations d’un ouvrage ouvert en 1965. Les ensembles routiers sont plus longs, plus lourds. Ils emportent plus de carburant (jusqu’à 1 500 l !). Les matériaux de synthèse entrent de plus en plus dans leur construction. Un ensemble traditionnel semi-remorque est équipé de 15 pneus…
Les experts préconisent une révision de la réglementation relative aux TMD pour certains produits liquides ou liquéfiables, dont les pouvoirs calorifiques sont comparables aux hydrocarbures. Ici, parmi les 23 camions, on remarque 2 camions frigorifiques, plusieurs autres transportant du PVC en granulés, 1 transportant 20 t de fenêtres en PVC…
Les camions frigorifiques, notamment, par leur isolant extrêmement fumigène et toxique (le même qui s’illustre régulièrement dans les feux d’établissements agro-alimentaires) font peser un risque spécifique. II est proposé de les signaler par un marquage adéquat. La largeur des camions empruntant le tunnel ne devant pas dépasser 2,55 m, les camions frigorifiques, atteignant souvent 2,60 m, ne pourraient le franchir qu’en convoi exceptionnel.
Comme toute grande catastrophe, celle-ci apportera son lot de mesures propres à en limiter le retour. Celle-ci était sourdement attendue, redoutée, par certains. Une certaine inertie, favorisée par le petit nombre d’incendies en 35 ans, aggravée ici par le caractère binational et l’importance du trafic peu compatible avec des exercices, a été encore une fois prise de vitesse par l’accident alors que les mesures adéquates étaient en cours d’élaboration.
« Nous allons maintenant obtenir ce que nous demandions depuis longtemps, ce pour lequel nous nous battions, un centre de formation binational nous permettant de nous entraîner : Il portera malheureusement sans doute le nom de notre camarade, l’adjudant-chef Tosello »,
nous a dit, dépité, un sapeur-pompier.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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