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Blaye : un silo soufflé par une explosion meurtrière
Dans le port de Blaye (Gironde), au sein de la Semabla (Société d’exploitation maritime blayaise), une explosion de poussière fauche un silo et ensevelit onze personnes, le 20 août 1997. Les sauveteurs devront intervenir dans des conditions très périlleuses.
Les risques bien connus liés à la présence de poussières explosives impliquent dans les silos des précautions draconiennes et des équipements de sécurité sophistiqués. Le 20 août 1997, en milieu de matinée, les passagers qui embarquent sur le bac traversant l’estuaire de la Gironde sont éberlués. Sous leurs yeux, à quelques centaines de mètres, l’imposant silo dominant le port de ses 50 m de haut vient de se pulvériser, déversant sur plus de 20000 m², un amalgame de 30000 t de grain, d’énormes blocs de béton et de carcasses métalliques.
Ce n’est que lorsque le nuage de poussières et de fumée retombe que le drame apparait dans toute son ampleur. 29 des 45 cellules de 35 m de haut composant l’édifice ont disparu, ne laissant émerger de la montagne de céréales que deux blocs de cellules cylindriques aux bords déchiquetés à demi-éventrés. Parmi ces passagers, le directeur du port autonome de Bordeaux et le président du parc des expositions de la ville qui venaient de visiter les installations…
Vue générale des lieux :
A : zone de recherche,
B : chargement des navires,
C : comptage des sauveteurs entrant sur la zone,
D : concentration des moyens d’évacuation des déblais,
E : poste médical avancé,
F : stockages d’huile et de soude.
Le souffle a brisé des vitres, des vitrines, ouvert portes et fenêtres jusqu’en ville. Trois minutes suffisent au chef de corps des pompiers de Blaye pour se présenter sur les lieux et découvrir le désastre. Deux employés, dont un est blessé aux membres inférieurs, se présentent à lui. Le reste du personnel serait sous les décombres dans le bâtiment de deux étages, écrasé par la tour de manutention de 50 m, dont il ne reste rien qu’un amas de grain et de béton…
10 h 20: « Explosion à la Semabla à Blaye. Au moins 20 victimes. Je demande le déclenchement du plan rouge ».
Un incendie se développe dans le hangar d’ensachage, soufflé sur lequel une partie de la tour de manutention s’est abattue. Une fuite sur un réseau de canalisations aériennes bordant le site laisse échapper un liquide identifié plus tard comme de la lessive de soude. De fortes odeurs de mercaptan s’échappent en différents points des décombres sur lesquels par ailleurs aucun signe de vie ne se décèle.
Du Codis 33, les moyens médicaux, ajoutés de ceux du sauvetage déblaiement et de la cellule mobile d’intervention chimique (Cmic) sont activés. Médecins du Samu et des sapeurs-pompiers, VSAB (véhicule de secours aux asphyxiés et blessés), poste médical avancé (PMA) engins pompe, équipes cynophiles (chiens) convergent vers Blaye, qui a basculé en quelques instants d’une ambiance touristique et vacancière, à un lourd climat de catastrophe.
Le véhicule poste de commandement de Blaye se présente à 10 h 35. Il est le premier à arriver sur place, tandis que d’autres véhicules organes de régulation et de réception des secours affluent sur place. Il faut comptabiliser, identifier, concentrer sur une aire avant l’attribution d’une mission, tout en recherchant un emplacement pour le PMA et une zone de pose hélicoptères, puisque quatre appareils sont attendus.
À 10 h 47, le premier blessé est évacué sur l’hôpital de Blaye, tandis que la lutte contre l’incendie s’effectue au moyen de 2 petites lances et 2 lances a mousse et que les premiers sauveteurs poussent de larges reconnaissances sur les décombres. Parallèlement, une équipe de plongeurs est demandée pour reconnaitre l’amas de débris bordant l’estuaire.
À 11 h 27, le bilan se précise : « 11 victimes ensevelies sous les décombres, je demande des moyens lourds de levage, des tractopelles et des bulldozers ». Sonder cet amas étalant ses vagues de grain sur plus de 20000 m² paraît une tâche insurmontable. Heureusement, la zone de recherche se concentre à mesure que les renseignements se font plus précis et que l’on comprend la disposition des différents éléments constituant l’édifice.
La plupart des victimes étaient dans ou près des bureaux, construits au pied de la tour de manutention, alors qu’un conducteur se trouvait près de son véhicule, au poste de déchargement, devant le bâtiment. Cela représente une zone de 2 000 à 2 500 m² sur laquelle les équipes vont concentrer leurs efforts, bientôt épaulées par des engins mécaniques et des grues de très fort tonnage. Les décombres, constitués de blé, d’orge, etc., de blocs de béton d’éléments d’acier doivent être évacués par des moyens spécifiques. Deux norias s’organisent entre le silo et deux lieux de stockages. Des camions citernes équipés de pompes à vide sucent le grain par des flexibles de 150 mm manœuvrés par des groupes de sapeurs-pompiers. Plus loin, les pelles mécaniques déversent des blocs de béton dans des camions-bennes. Leur va-et-vient soigneusement coordonné ne cessera pas durant trois jours.
les sauveteurs procèdent à l’aspiration du grain.
Un système optique de surveillance est installé
L’attente pour les familles des disparus est insoutenable. Elles sont accueillies à la mairie de Blaye. Une cellule médico-psychologique, une équipe de secouristes et leur VSAB y sont détachées pour parer aux malaises que les découvertes susciteront. Régulièrement, un officier de sapeurs-pompiers vient y faire un point des recherches en insistant sur les difficultés rencontrées, les risques encourus, tout en ne laissant qu’un mince espoir de survie pour les disparus.
Trois points de visée surveillaient les structures menaçant les sauveteurs.
Les moyens de secours départementaux, plus ceux de la Charente, du Gers, de la Dordogne, de la Charente-Maritime et des UIISC de Nogent-le-Rotrou et de Jarnac ne peuvent évidemment pas être engagées simultanément. Les zones de recherche sont dominées de 30 m par un ensemble instable de cellules éventrées que les vibrations engendrées par les engins de deblai fragilisent encore.
L’avis d’un spécialiste des structures béton est recueilli par le COS (commandant des opérations de secours). Sa première analyse n’est pas alarmiste, bien qu’évidemment, il ne puisse garantir la stabilité des ensembles. Un système optique de surveillance est installé par une équipe de géomètres. Il consiste en trois points de visée calés sur un élément haut de la structure, susceptibles d’en déceler les mouvements éventuels. Chaque point dispose d’un sapeur-pompier muni d’un moyen d’alerte entraînant un « sauve qui peut » éventuel.
Ce n’est qu’au crépuscule d’une première journée de recherches harassantes, qu’une première victime, décédée, est dégagée près du poste de déchargement des camions. Il est 21 h 36.
Progressivement, les mats d’éclairage s’élèvent tandis que le ronronnement des groupes électrogènes s’ajoute maintenant au vrombissement ambiant. Les hautes carcasses éclairées qui se détachent dans le ciel noir apparaissent plus gigantesques et menaçantes encore. Inlassablement, les bras articulés des pelleteuses virevoltent dans un ballet précis, stoppant régulièrement pour laisser un groupe de sauveteurs inspecter la zone fraîchement découverte. Plus loin, des chiens encouragés par leur maître creusent frénétiquement des trous qui, dans le grain, se remplissent instantanément. Efforts dérisoires au regard de l’immense volume qui s’étale ici.
Au cours de la nuit du 21 août, deux autres victimes, un homme et une femme, seront découvertes sans vie dans le secteur des bureaux. Les quatrième et cinquième victimes, un homme et une femme, sont retrouvés au matin du 21.
Consécutivement à une réunion en sous-préfecture, il est décidé, compte tenu de la réduction de la zone de recherche, de renvoyer les secours extra-départementaux non engagés.
La chaleur, sur les décombres écrasés de soleil, rend éprouvant le travail des sauveteurs. Trois d’entre eux souffriront de coups de chaleur, justifiant l’hospitalisation de l’un d’eux.
Régulièrement, le silence complet est réclamé sur le site. Engins et sapeurs-pompiers se figent alors, tandis que les équipes de chiens escaladent fébrilement les gravats et que l’on écoute la moindre manifestation de vie. Rien, hélas. Alors, sur ordre, la fourmilière se remet au travail, grignotant méthodiquement l’amas de décombres.
Benne par benne, la montagne de ruines mêlées de la tour de manutention et des bureaux s’abaisse progressivement sous les crocs d’acier des pelles mécaniques.
La zone de recherche où sont concentrées les victimes. Au premier plan, le hall d’ensachage et les silos horizontaux, soufflés.
Plus bas, l’essieu arrière du camion enseveli émerge du grain que de gros flexibles aspirent. Arrêt des engins, silence, regroupement de sauveteurs sur un point des décombres, arrivée d’une équipe médicale indiquent la découverte d’un nouveau corps. Il est 12 h 20. La sixième victime est une femme, employée de l’entreprise.
Les travaux continuent. La mise à jour progressive des deux niveaux de planchers du bâtiment administratif empilés amincit encore les chances de survie des cinq personnes manquantes.
Après une journée harassante sous le soleil, dans la poussière de grain, une septième victime est découverte à 21 h, dans la zone des bureaux. Alors que la nuit tombe sur l’estuaire, la carcasse du camion, qui était au moment de l’explosion au poste de déchargement, est extraite au moyen de deux camions grue. L’état du lourd véhicule démantelé qui se balance au bout du crochet, éclairé par les projecteurs, témoigne de l’incroyable violence de l’explosion qui a emporté son conducteur.
Des chances de survie extrêmement minces
Les huitième et neuvième victimes, vraisemblablement le chef d’entreprise et le contrôleur, sont retrouvées dans l’espace compris entre le hangar d’ensachage et les restes du bâtiment administratif. Au matin du samedi 23 août, une dixième victime est extraite des ruines du synoptique du poste de pilotage de l’établissement, au rez-de-chaussée du bâtiment qu’un long déblai méthodique a permis d’atteindre.
L’ensemble des personnes présentes au moment de l’explosion dans l’établissement, décrites grâce aux témoignages des survivants, ont été retrouvées.
La présence d’un éventuel pécheur, que certains auraient vu projeté à l’eau au moment de l’explosion, est incertaine. Elle justifie toutefois une reconnaissance nautique, cynophile, et aérienne des berges, sans résultat. L’opération de secours à personne est déclarée terminée après trois jours sur le site dévasté.
Une cellule, de laquelle émanait depuis deux jours une légère fumée, et qui avait déjà été inspectée par les sapeurs-pompiers, est observée à la caméra thermique. Un point chaud y est décelé, mais l’ouverture de brèches au sommet de la cellule écarte le risque d’explosion. Il est décidé de ne pas intervenir.
Le site est alors confié aux démolisseurs qui procèdent dès le lendemain à la mise à l’air libre des cellules encore debout, en dynamitent la partie supérieure.
Avant d’entreprendre la destruction des ruines et l’enlèvement des dizaines de milliers de tonnes de céréales, la zone est isolée par une enceinte étanche protégeant l’environnement du risque de pollution par fermentation organique.
C’est le mardi 2 septembre que la onzième victime, le pécheur, sera découverte, en bordure de la Gironde, sous un amas de blocs de béton, d’acier et d’orge. L’inaccessibilité de la zone aux engins lourds, contraindra les pompiers à détruire les plaques de bétons, tronçonner les poutrelles d’acier, tout en déviant l’écoulement du grain. Dix-neuf heures d’efforts seront nécessaires pour dégager le corps, près de quinze jours après la catastrophe.
Enseignements
11 morts, un blessé, une impressionnante installation totalement détruite. Les explosions de poussières dans les silos, si elles atteignent rarement cette violence, représentent un risque latent dans ce type d’exploitation. Nous sommes en fin de saison, les cellules, à quelques exceptions près, sont pleines d’orge, de blé et de maïs. Au moment de l’explosion, la température de la journée dépasse 31° et l’air est sec. Un navire céréalier procède au déchargement de 1 200 t de déchets de céréales dans les « silos à plat », à l’extrémité nord du complexe. Un camion est au poste de déchargement qui borde les bureaux.
La cause de l’explosion initiale, vraisemblablement amplifiée en cascade, est soumise à enquête judiciaire. Ses effets ont été la destruction complète de 29 cellules, situées essentiellement en partie centrale du bâtiment et en extrémité nord de la galerie supérieure et des deux tours latérales. Les effets du souffle sont également visibles au niveau de la galerie inférieure, dont la paroi de béton est éventrée en divers endroits.
La tour de 50 m s’est effondrée sur les bureaux ainsi qu’une partie du hangar d’ensilage. Les installations extérieures sont gravement endommagées. Un véhicule a été projeté à plusieurs dizaines de mètres. De nombreux projectiles sont incrustés dans le calorifugeage des cuves de soude et d’huiles situés à une cinquantaine de mètres de là. D’énormes blocs de béton cintrés, constituant les parois des cellules, ont été projetés sur le site. Enfin, les dizaines de milliers de tonnes de céréales libérées des cellules éventrées se sont écoulées dans les décombres.
Les effets du souffle en galerie basse.
Le silo avant l’explosion et…
après l’explosion.
Les chances de survie des occupants apparaissent extrêmement minces au commandant des opérations de secours. Elles ont subi la surpression de l’explosion (blast), avant d’être ensevelies. L’écoulement du grain dans les moindres interstices lève les dernières chances qui subsistent comme dans les effondrements traditionnels des espaces de survie.
Un officier affecté à la sécurité des intervenants
Les deux groupes de cellules encore debout, dont un surplombe la zone de recherche, constituent une menace permanente pour les sauveteurs. Les risques encourus par un nouvel effondrement, opposé aux très faibles chances de survie des victimes et la relative exiguïté de la zone de travail conduiront le COS à ne pas « jeter » dans la bataille simultanément les nombreuses forces que la rapide montée en puissance a rassemblées sur les lieux, pour ce qui deviendra très vite une recherche de corps. Un officier sera particulièrement affecté à la sécurité personnelle des intervenants. Par ailleurs, le risque de suraccident par chute de matériaux imposera la mise en place d’une comptabilisation des entrées et sorties des personnes strictement nécessaires sur zone.
Rapidement, le COS établira un contact avec les sapeurs-pompiers de Metz, confrontés à une catastrophe semblable en 1982 dans une malterie (12 morts). La durée de l’intervention, de l’ordre de plusieurs jours, pourra être évaluée et la logistique qui en découle organisée. La surveillance par géomètre des structures menaçant ruine sera effectuée comme elle le fut à Metz et de précieux renseignements seront recueillis sur la surveillance et le traitement des décombres.
Un poste médical avancé, placé sous le commandement d’un directeur des secours médicaux sapeur-pompier, sera activé dans un hangar proche de l’entreprise. II rassemblera une dizaine de VSAB et des Smur locaux dépêchés par le Samu 33.
Une zone de pose sera préparée pour les hélicoptères du Samu, de la Sécurité civile, des sapeurs-pompiers et de la Gendarmerie. La disposition des lieux, offrant de vastes aires d’évolution, permettra d’organiser les mouvements des moyens de secours et des norias d’évacuation de céréales et de décombres, l’implantation du PC départemental ajouté des PC Gendarmerie et Samu de façon rationnelle.
Malgré le nombre de sauveteurs engagés au milieu desquels engins de déblai et de levage évoluent nuit et jour, aucun accident ne sera à déplorer.
Sur une opération d’envergure fortement médiatisée, la gestion de la presse est une des préoccupations des autorités. Des points presse réguliers ont été organisés en sous-préfecture, garantissant la véracité des informations et stoppant les rumeurs. Mais notre civilisation « tout images » en réclame plus. Sous peine, comme nous l’avons souligné lors d’autres interventions, de voir les journalistes envahir de façon incontrôlée des lieux dangereux, il est nécessaire d’organiser des sortes de « visites guidées des lieux » en veillant, comme le soulignent les sapeurs-pompiers, à ce qu’aucune victime ne soit photographiée.
Les explosions de poussière dans les silos font l’objet d’une littérature abondante. La presse soulignait, au moment de l’accident, qu’une explosion de poussière survenait journellement dans l’industrie, allant de la farine au cacao, des poussières de plastique à la sciure et au lait en poudre. Toute poussière combustible en suspension, dans une plage de concentration favorable peut, en présence d’une source d’inflammation, provoquer une explosion dans une enceinte. Les explosions d’une telle ampleur sont heureusement très rares, la dernière survenue en France s’est produite en 1982 à Metz (12 morts). Parmi les plus récents survenus dans des silos de céréales, on note, selon le Barpi:
- 1993 : 1 silo de 30 000 t en Belgique (5 morts, 4 blessés),
- 1994 : un silo de 20 000 t en Iran (13 morts, 26 blessés),
- 1994 : capacité d’un silo réduite de 30 000 t à la suite d’une explosion de poussière en Belgique encore (2 brûlés graves).
Aux multiples explosions évoquées, se limitant souvent à quelques dégâts matériels, s’ajoutent parfois des explosions particulièrement dévastatrices, comme celle de Metz ou de Blaye. Car à l’explosion initiale « primaire » s’en ajoutent d’autres, provoquées par le soulèvement de poussières, propageant ainsi le phénomène tout au long des tours et galeries de manutention, qu’elles pulvérisent.
Les poussières en suspension, mises à feu par une source de chaleur, brûlent en atteignant des températures de 1 000° à 2 000°C, enflammant à leur tour les particules proches.
Les mesures de prévention et de sauvegarde des personnes peuvent s’effectuer à plusieurs niveaux :
- contrôle des poussières immanquablement générées par toute manipulation de céréales;
- suppression des sources d’inflammation;
- suppression de l’oxygène de l’air, le comburant;
- enfin, et Blaye en aura été le malheureux initiateur, éloignement des bâtiments de contrôle et d’administration des cellules de stockage.
La chasse aux poussières est l’action primordiale. Elle s’effectue en amont par un nettoyage des produits stockés. Tous les lieux de reprise, extrémité de bandes transporteuses, d’élévateurs, zones de remplissage et de soutirage, équipements de traitement doivent être équipés de dispositifs de carénage et d’aspiration des poussières. Ces dernières sont par ailleurs souvent recueillies puis compactées (pellets) pour être recyclées en aliments pour animaux. Des systèmes de nettoyage centralisés (centrale d’aspiration et prises pour flexible à chaque niveau) rendent cette opération plus facile. Angles de murs arrondis et suppression des plans horizontaux contribueront à la réduction des accumulations de poussières. Enfin, il faut supprimer plus particulièrement les dépôts de poussière au contact des équipements sources d’échauffements qui sont multiples dans un silo. Les pièces en mouvement y sont nombreuses, paliers de moteurs, galets de bandes transporteuses, appareillages et installations électriques, anomalies de fonctionnement (bourrage, décentrage d’une bande, etc.). On y ajoutera également les travaux par points chauds (permis de feu) et les imprudences des fumeurs.
Pour remédier à ces sources d’échauffement, il faut installer des « détecteurs d’anomalies », détectant un déport de bande, un bourrage générateur de surchauffe de moteur et déclenchant, outre son interruption, celle des équipements situes en aval grâce à une gestion informatisée des lignes de production.
Limiter les effets de l’explosion
Les installations électriques devront être étanches aux poussières et, comme pour les installations en atmosphère explosives, avoir une température de paroi limitée. Une discussion a lieu actuellement au niveau européen pour élaborer une norme spécifique aux atmosphères anti-poussière.
Les mesures visant à agir sur le comburant, en inertant les volumes, sont rares et peu employées dans les silos. Une extinction par inertage à l’azote avait permis de limiter les risques d’explosion lors d’un feu de silo au Havre, en 1990 (Cf. Face au Risque n° 268). Une installation fixe d’injection d’azote équipera les cellules d’un silo actuellement en construction en Seine-Maritime.
Une explosion peut toutefois survenir. Il faudra alors tenter de limiter la propagation de la flamme et les effets de la surpression engendrée. On pourra agir sur la flamme, grâce à un système de détecteurs/extincteurs à eau ou à poudre à réponse rapide (quelques m/s), disposés aux points sensibles, alors que la propagation de l’explosion sera atténuée par l’emploi de structures et de bardages légers, jouant un rôle fusible, notamment pour les galeries supérieures et les tours de manutention.
Des évents, d’une résistance bien sûr inférieure à la structure des cellules, évacueront les produits de l’explosion. Ils procèdent souvent d’une technique proche de celle employée sur les bacs de stockage d’hydrocarbures, en disposant de fixations fragilisées. Ce peut-être aussi des membranes « prédécoupées » ou des portes ou clapets se refermant après la décharge. Toutefois, le calcul des évents est complexe. Des normes, aux facteurs de prise en compte et aux résultats différents existent au niveau international, ainsi qu’une norme Afnor expérimentale. Une norme européenne devrait voir le jour à l’aube du troisième millénaire…
Lorsque la pose d’évents s’avère insuffisante, c’est toute la section supérieure de la cellule qui sera « soufflable », le voile de béton ou la structure métallique étant fragilisé pour créer une rupture en cas de surpression.
Il semble, selon un concepteur de silos céréaliers, que la section totale d’une cellule de grande dimension telle qu’on en construit actuellement, ne soit pas suffisante à l’évacuation du souffle d’une explosion… Enfin, l’implantation des bâtiments administratifs et autres salles de conduite de l’installation devrait, comme ce fut le cas après l’explosion de la raffinerie de La Mède, faire l’objet d’une réflexion aboutissant vraisemblablement à une réglementation.
Si, comme le disait le PDG de la Semabla au lendemain de l’explosion, « c’est une tradition que les règlements de 1983 n’ont pas abolie », la solidarité entre équipe technique et administrative s’exprimait par le rapprochement des bureaux et des installations techniques. Puis, au temps du fonctionnement électromécanique, a succédé la conduite télécommandée et asservie par informatique. La présence humaine dans les installations s’est fortement réduite. La proximité des salles de commande ne s’est plus imposée, mais la tradition est restée… Rappelons qu’à Blaye, au sommet de la tour de manutention, jouissant il est vrai d’une vue imprenable sur l’estuaire, une salle de conférence panoramique et des locaux d’archives avaient été aménagés !
Et demain…
Nous avons pris l’exemple d’un ensemble de silos modernes sortant actuellement de terre quelque part en Seine-Maritime. La société d’exploitation, assurant la collecte et la transformation des céréales (farine, maïs, malt, etc.) possède un « parc » de 180 silos et n’a pas attendu Blaye pour affecter l’un de ses directeurs techniques à la sécurité des installations.
« Celle-ci a été conduite grâce à une étroite collaboration de notre assureur disposant d’un cabinet d’études spécialisé. Nous allons, au niveau du groupe, créer un poste d’ingénieur sécurité, et un programme de 21 MF d’aménagements de sécurité sera entamé sur 3 ans. Nous faisons auditer nos sites par les exploitants d’autres sites, bénéficiant de plus de recul. Une consigne en silos, la chasse aux poussières et aux points chauds ! Il existait un vide en matière de norme relative aux installations en milieu explosif ne prenant en compte que l’atmosphère gazeuse… mais il semble que d’ici à un an, cette lacune soit comblée. Le silo de 30 000 t de capacité que nous construisons comportera 28 cellules de 42 m de haut et de 8,80 m de diamètre surplombées d’une tour de 59 m. Nous y appliquerons ce qui se fait de plus pointu en matière de sécurité (15 à 20 % du coût de construction). Mais, compte tenu de la dimension des cellules, leur section de 24 m² est insuffisante pour évacuer les effets d’une explosion, nous avons fragilisé le béton en partie haute.
L’électricité statique est responsable de 10 % des explosions en cellule. Les débits de remplissage peuvent atteindre 200, 800 et même 1 000 t/h. Par ailleurs, les forts débits entraînent de gros dégagements de poussière.
Nous travaillons actuellement avec le bureau de prévention des sapeurs-pompiers à un dispositif innovant d’inertage des cellules par injection d’azote. C’est une technique qu’ils ont déjà employée en intervention, mais qui, ici, sera en installation fixe. Une couronne d’injection haute et basse équipée de buses sera reliée à une sorte de colonne sèche à laquelle sera raccordée une citerne. Le débit de 2 à 5 kg d’azote par mètre cube de grain serait retenu. Des sondes spéciales calibrées de 200° à 300° complèteront le dispositif. Bien sûr, la tour de manutention sera équipée d’une colonne sèche.
Les équipements seront dotés de toutes sortes de contrôleurs d’anomalies : de rotation, de déport de bande, de bourrage, de température de paliers. Une centrale d’aspiration (500 000 F) avec prise tous les 10 m, permettra à l’employé chargé du nettoyage de ne manipuler qu’un flexible…
Mais les « retombées » de l’explosion de Blaye ont déjà produit sur ce projet leurs effets. Des compresseurs, transformateurs et autres armoires électriques placés sous les silos seront déplacés. Les bureaux seront repoussés à 100 m, la salle de commande à 50 m et la résistance de sa terrasse, multipliée par 4, passera à 1 t au m². »
Et ce responsable sécurité silos repart sur ses nombreux sites inspecter les lieux et sensibiliser les personnels. Mais il ne se déplace jamais sans son outil pédagogique :
« C’est un tube de Artman. Tube d’acier de 25 cm, une extrémité fermée par une feuille de plastique, j’y mets un peu de poussière en suspension. J’actionne deux électrodes et… boum, une grosse flamme pulvérise le bouchon de plastique ! Rien de tel pour sensibiliser le personnel à la propreté des installations ! »
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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