Explosion à la raffinerie de la Mède

2 mai 199323 min

Catastrophe sans précédent pour Total et illustration de l’intérêt d’une organisation coordonnée des secours.

Ceci est une légende Alt

Le lundi 9 novembre 1992 à 5 h 20, une violente explosion ravage une unité de production de la raffinerie Total de La Mède. Le bilan humain et matériel est extrêmement lourd : six morts, un blessé grave, 39 blessés légers, un site industriel de 240 hectares complètement stoppé et un impact financier encore difficile à chiffrer.

Une balise de détection sonne, suivie d’un appel pressant au standard des pompiers du site pour faire barrer les rues, à cause d’une fuite de gaz. Au moment où, le pompier de garde se retourne pour lancer l’alerte, une pluie d’éclats de verre et de débris balaie le local. Par les baies pulvérisées, une énorme lueur couronne le site plongé dans l’obscurité. L’unité cryogénique, le complexe « gas-plant » et la salle de contrôle sont rayés du site et sept hommes ont disparu…

L’énorme explosion a fait trembler le sol à quarante kilomètres à la ronde. Tous les centres de secours des Bouches-du-Rhône sont assaillis d’appels. Attentat, chute d’avion et tremblement de terre sont évoqués en l’absence de précision. Pompiers, police, gendarmerie s’informent et recoupent leurs informations. C’est entre Châteauneuf-les-Martigues et Martigues, à la raffinerie de Provence, qu’il faut se diriger.

L’envoi de moyens est massif. Les premiers engins de secours se présentent trente minutes après l’explosion. Les trois hommes du service incendie du site, vite rejoints par dix-sept autres, luttent déjà contre les violents foyers disséminés sur une zone de quatre hectares.

Les risques de propagation et d’explosion sont importants. Les actions prioritaires engagées après une première reconnaissance menée par le responsable sécurité de l’usine, arrivé dix minutes après l’explosion, dénombrent cinq gros foyers :

  • un feu de rack menaçant le complexe de distillation à l’est;
  • un violent foyer dans l’unité gas-plant;
  • le groupe turbo alternateur en feu;
  • un bac de 2 500 m³ (soude usée et essence en flammes);
  • ainsi qu’un bac de 5 000 m³ (résidus de cracking, classé fuel) également en feu.

De multiples détonations d’intensités diverses secouent sporadiquement les installations provoquant des ruptures de canalisations générant de nouveaux foyers.

Déclenché à 5h48, le Plan d’opération interne (POI) est bientôt complété par les moyens prévus au PPI mis à disposition par le préfet. Une demi-heure après l’explosion, 14 engins pompes, 10 VSAB, 10 médecins, 1 PC mobile, rejoints par 6 engins du bataillon des marins-pompiers sont en transit ou sur place. Dès 6h30, les premiers engins prévus dans le cadre de l’assistance mutuelle (BP, Shell, Esso, Arco, Naphtachimie… 150 000 l d’émulseur) viennent renforcer le dispositif de lutte qui, progressivement, enserre la zone ravagée.

Très rapidement, deux victimes décédées sont découvertes dans les décombres, près de la sortie de la salle de contrôle, complètement soufflée, tandis que tout près l’incendie redouble dans le rack. D’une ligne de fuel fissurée s’élève du fuel lourd, épais, qui s’étale progressivement jusqu’à hauteur de l’infirmerie, en aval du site.

Vers 5h 50, une canalisation de gasoil éclate et s’enflamme aussitôt. Plus tard, l’explosion d’une ligne de butane sur le rack libère une boule de feu qui force les sauveteurs à reculer momentanément. Si l’incendie du groupe turbo alternateur est rapidement maîtrisé, les multiples foyers ravageant l’unité gas-plant et le complexe cryogénique ne peuvent être maîtrisés qu’à mesure que la vidange de canalisations et capacités disloquées s’opère. Conjointement, les équipes d’exploitation procèdent à l’isolement des installations sinistrées en barrant au plus près leur alimentation. Toutefois, un certain nombre de foyers faisant office de torches sont volontairement préservés du déluge d’eau et de mousse s’abattant sur le site.

FI 293 Mède Photo 02©SDIS13

Sauvetage d’un blessé grave retrouvé sous les décombres de la salle de contrôle.
© G. Charmont/DDSIS13.

Un souffle dévastateur

Trente minutes après la localisation du sinistre par les sapeurs-pompiers, 20 engins pompes, 10 ambulances, 14 médecins sont engagés dans l’opération. Une montée en puissance progressive s’opère au fil des minutes, lançant bientôt dans la bataille des renforts du Var, du Gard et du Vaucluse. Des unités spécialisées dans la lutte antipollution, le sauvetage déblaiement, le risque chimique (CMIC) sont engagées en différents points du complexe.

Les risques de pollution aquatique et atmosphérique sont bien maîtrisés et, dès 6 h, la presse informe la population environnante.

Au siège de Total à Paris, à la Direction de la sécurité civile, à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sont activés des PC de crise appuyant efficacement par leur recul les intervenants plongés dans le drame.

À 9h15, une troisième victime est découverte, portant un ARI (appareil respiratoire isolant), au sud de l’unité gas-plant.

La lutte contre les différents incendies réclame d’importantes quantités d’eau nécessaires aux actions de refroidissement ou d’extinction à la mouse. Le réseau partiellement endommagé par l’explosion, doit être localement neutralisé. Une réserve d’eau de 10 000 m³ pourra être employée, non sans avoir, auparavant, tiré 3,6 km de tuyaux de gros diamètre.

En rouge sont indiquées les victimes, à l’extérieur et en salle de commande.

FI 293 Mède Dessin ©René Dosne

Ce dispositif permet de s’attaquer aux deux feux de bacs restant les foyers les plus virulents. Le bac B20, de 5 000 m³, jouxtant l’unité cryogénique, a vu son toit fixe se dessouder en périphérie pour se rabattre latéralement. L’incendie a rabattu ses tôles sur le volume en feu compliquant son extinction complète. Entreprise dès 9h20 par deux canons de 4 000 l/min, elle est obtenue en vingt minutes. Toutefois, des ré-allumages partiels mais contrôlés sont combattus à plusieurs reprises au cours de l’après-midi. En revanche, la maîtrise du bac C24, empli de soude et d’essence, découvert porteur d’une brèche enflammée dès 6h40, voit sa maîtrise plus délicate… Équipé d’un dispositif d’extinction arraché par l’explosion, il est refroidi au plus vite, tandis que l’action mousse est préparée. A 9h 52, une explosion se produit sur le bac et le toit s’effondre à l’intérieur, permettant une attaque du feu plus facile. Par ailleurs, sa position surélevée par rapport aux voies accessibles rend l’attaque délicate et il faudra repositionner les engins sur une voie en surplomb pour obtenir une extinction complète, vers 12h30.

À ce moment, tous les foyers résiduels sont contrôlés et l’on poursuit à la mise en sécurité des installations voisines, dont les dégâts occasionnés par le souffle restent inconnus. Si, à 9h20, un blessé grave est retrouvé sous les décombres de la salle de contrôle, les corps des trois employés manquants seront découverts au cours de l’après-midi et du lendemain matin. Dès le début de l’intervention, et dans le cadre du plan rouge, un poste médical avancé (PMA) accueille la trentaine de blessés survenus durant les opérations.

Pendant trois jours, l’unité gas-plant brûlera sous contrôle, alors que se poursuivent les manœuvres visant à placer la raffinerie en position de sécurité (installation de joints pleins, dégazage des vapeurs, remise des unités en liaison avec un dispositif de torche). Sept heures auront été nécessaires pour venir à bout du sinistre industriel le plus dévastateur en France depuis l’explosion de la raffinerie de Feyzin en 1965.

Cinq tonnes de gaz explosent

Reste à tirer les enseignements d’un pareil sinistre. « Arrivés sur les lieux, j’ai l’impression d’être plongé dans un film catastrophe… un bruit terrible, des sifflements intenses, la peur de nouvelles explosions », dira un pompier. Il est vrai que la vision du site, la violence des dégâts sur une aussi grande superficie, cette impression de pilonnage des installations, les véhicules retournés, les bâtiments de béton démantelés étonnent les professionnels les plus endurcis qui découvrent encore aujourd’hui les lieux. L’on s’interroge immédiatement sur le processus ayant pu provoquer une explosion aussi effroyable. Parallèlement à l’enquête judiciaire en cours, et sans préjuger de ses résultats, Total s’est adjoint le concours d’organismes experts (l’Ineris et EDF) pour comprendre, dans le cadre de sa propre enquête, ce qui s’est passé.

Un communiqué, faisant état des premières hypothèses sur l’accident, a été diffusé le 24 février dernier. Après une description minutieuse des dommages, permettant de déterminer l’épicentre de l’explosion et la valeur des surpressions, il a été possible de conclure à l’explosion de cinq tonnes de gaz (soit un volume de 50 000 m³ de gaz et d’air réparti sur 14 000 m³) au niveau d’une des parties du craqueur catalytique de la raffinerie gas-plant. Cette unité est une installation destinée à récupérer les gaz liquéfiés (butane, propane), produits au craquage catalytique (unité permettant de transformer les produits lourds en produits nobles). Elle comporte plusieurs tours, dont une sert à laver les gaz par de l’essence, fonctionnant à 10 kg de pression à 40 C. Pour assurer la bonne température de fonctionnement de la tour, une partie du liquide circulant dans la tour est refroidie dans un réfrigérant à eau et réinjectée dans la colonne. Une brèche sur la tuyauterie de cette tour est probablement à l’origine de la fuite de gaz, la nappe de gaz ainsi formée ayant trouvé la source d’allumage sur le four de l’unité, effectivement atteint, et où des traces importantes de brûlures sont visibles… La flamme, remontant la nappe, d’abord lentement, s’est progressivement accélérée pour atteindre la vitesse de 210m/s provoquant une déflagration. La projection de débris, l’onde de choc et l’incendie provoquent de nouvelles ruptures de canalisations et de capacités entraînant de nouvelles explosions.

La violence de l’explosion, si elle a précipité aux fenêtres et dans les rues une population éberluée, a eu au moins le mérite d’alerter tous les acteurs des opérations de secours futures. C’est sans délai que pompiers et responsables de la sécurité du site rejoignent leur poste. Rapidement, la totalité des pompiers de la raffinerie se lancent dans les premières actions déterminantes, puis préviennent les secours extérieurs… Ces derniers, assaillis d’appels, cernent bientôt l’origine du drame : « C’est Vitrolles qui m’a signalé une lueur importante sur la Mède...», dira le sapeur-pompier de garde au Codis 13. « Lorsque j’ai alerté Martigues, le téléphoniste m’a dit que la porte de son standard était soufflée ! ».

On approche… La population est restée relativement calme, malgré le nombre d’habitants des communes voisines travaillant sur le site qui ont vite localisé le danger. Par ailleurs, dès 6 heures, un premier communiqué de presse est diffusé par les médias locaux. L’origine de l’explosion localisée, l’envoi de moyens de secours s’effectue alors de façon massive, POI, Plan rouge s’enchaînant en moins de 30 minutes. Dès la première vague le Codis demande au Bataillon de marins-pompiers de joindre aux secours départementaux six engins et un groupe d’officiers spécialisés dans les feux d’hydrocarbures. L’engagement des moyens lourds des industriels, dans le cadre du protocole d’entraide (six engins), permet alors de disposer d’un potentiel d’extinction à la mousse suffisamment confortable.

Paradoxalement et contrairement aux préoccupations habituelles lors de ce type de sinistre, ce n’est pas la réserve d’émulseur qui pose problème, mais l’approvisionnement en eau ! Plusieurs incidents viennent perturber la mise en œuvre du réseau du site. Les effets vraisemblables de l’explosion initiale empêchent la mise en route de la pompe de 1 500 m³/h et des deux de 750 m³/h, actionnées habituellement par télécommande. Les deux dernières sont rapidement activées manuellement, celle de 1 500 m³ l’est vers 6 heures. Mais un problème d’injection la met en panne à 8 h30. On peut s’interroger sur le positionnement et la protection des pomperies par rapport aux zones à risque élevé…

Deux autres difficultés affectent le réseau intérieur : la mise hors service, avant sinistre, pour travaux d’un tronçon de 200 m dans le secteur Est particulièrement « chaud » – puisqu’une action de barrage du feu dans cette direction y est menée – et, l’arrachement de la canalisation qui alimente une lance monitor fixe, obligeant là encore à procéder au barrage local du réseau. Cet incident a compliqué ultérieurement l’extinction des deux bacs, en contraignant les secours à employer une réserve d’eau située à plus d’un kilomètre. Maillage plus dense du réseau permettant des isolements de tronçons plus ceints, autre positionnement des canalisations alimentant les lances monitor pour les préserver du souffle d’une explosion constituent les enseignements retenus par l’exploitant.

La tactique des pompiers industriels

Le premier foyer auquel sont confrontés les secours concerne un réseau de canalisations aériennes (rack) reliant les unités en feu à la partie est de la raffinerie. Fuite massive d’hydrocarbures lourds au sol (20 m³/h) feu sur ligne de gasoil et de butane. Il est maîtrisé à 8h 30 et éteint vers midi. Toutefois, une torchère a été maintenue pour éviter tout risque d’explosion.

Le second foyer ravage l’unité gas-plant. Les feux sont alimentés. Il existe un risque toxique (hydrogène sulfuré) et explosif, très limité, tant que l’incendie persiste. Attaqué d’emblée par les moyens Total renforcés vers 6 h par les secours départementaux et l’assistance mutuelle, il est maîtrisé vers 9 h avec persistance de deux foyers volontaires. L’isolement de l’unité par les équipes d’exploitation permet une nette régression du feu dès 12 h.

L’extinction du bâtiment Groupe Turbo Alternateur et sa réserve de 6 000 l d’huile sous 3,2 bars est caractéristique de la tactique des pompiers industriels. Elle est obtenue par un engin et… un homme ! En fait, l’engin, adapté à Ia mise en œuvre rapide et aux manipulations limitées, a été optimisé par un homme connaissant bien les installations et les points sensibles. La machine est sauvée !

L’extinction du bac B20, jouxtant les unités incendiées, est particulière par les difficultés liées au repli de la jupe sur la surface en feu, jusqu’au niveau de liquide, en limite de débordement. On doit donc suspendre le refroidissement consécutif à l’extinction, provoquant ainsi quatre rallumages dans l’après-midi. Car si un débordement de la cuvette de rétention s’était produit, il se serait dirigé vers un camion en batterie situé en contrebas.

Le bac C24, relativement éloigné de la zone en feu, a vraisemblablement été transpercé par un projectile. La brèche d’un mètre sur 40 cm, en bordure de toit, laisse échapper quelques flammes, mais l’atteinte des jets de mousse est peu précise et la position surélevée du bac peu propice. Malgré son refroidissement, le toit s’effondre et le bac s’embrase violemment. Une action conjuguée des pompiers pétroliers, départementaux et des marins-pompiers en viendra enfin à bout !

Cette notion de multiplicité parmi les intervenants nous conduit à aborder un aspect important de ce dramatique sinistre : l’organisation et la direction des secours. Le Plan d’opération interne (POI) et le Plan particulier d’intervention (PPI) correspondent à des situations clairement définies. Dans le premier cas, les effets du sinistre ne sortent pas du périmètre du site et le chef d’établissement conserve le commandement des opérations de secours. Dans le second, les effets sortent du cadre de l’entreprise et concernent les services publics, garants de la protection des personnes et des biens. Ici, nous sommes confrontés à une situation intermédiaire.

Les effets initiaux de l’explosion ont largement dépassé les limites du site, par de multiples bris de vitres et chutes d’éléments de construction légers. Toutefois, il apparaît très vite que ce risque n’est pas évolutif et que les problèmes de pollution atmosphérique et aquatique sont quasiment nuls. Le directeur des Services d’incendie et de secours du département, rapidement sur place (il a été réveillé avant l’alerte comme tout le monde), proposera au préfet d’envisager le déclenchement du PPI dès 5h48. Celui-ci mettra à disposition l’encadrement et les moyens justifiés par le sinistre. Dans ce contexte, l’importance de la qualité des rapports entretenus avec l’exploitant et surtout avec son responsable de la sécurité intervient – toute action engagée par les secours extérieurs sera coordonnée par ce dernier, dont la connaissance du site, des installations et des risques est irremplaçable. POI ou PPI, un moyen terme est peut-être à trouver !

Malgré les risques encourus, nombre d’intervenants extérieurs se sont engagés dans la raffinerie, au cours de la première demi-heure, au cœur du sinistre. Il faut, éventuellement, se préparer à suppléer temporairement l’exploitant, qui a subi le choc de plein fouet et doit se reprendre. Les nombreux sinistres majeurs de ces dernières années l’ont démontré. Pour cela, il faut entretenir une parfaite coordination entre les secours publics et les industriels. A ce propos, des initiatives intéressantes, menée entre quelques industriels (dont Total) et la DDSIS, depuis 1989, permettent, grâce à un contrat formation, le suivi de stages mensuels des pompiers privés dans les centres de secours où ils participent aux interventions. L’ensemble des vingt pompiers de la raffinerie avait suivi ce stage. Et inversement, des pompiers départementaux procèdent à des exercices d’extinction de feux d’hydrocarbures sur le terrain d’essai de la raffinerie. Par ailleurs, un exercice commun avait eu lieu en octobre dernier.

PC fixe entreprise et FC mobile des sapeurs-pompiers n’ont pas fonctionné de manière optimale. D’après les sauveteurs, l’emplacement du PC fixe, prévu dans le PPI étant trop exposé, ils ont préféré implanter le leur à l’écart du risque. En effet, les cloisons et vitrages ayant été soufflées, les décideurs cogitaient au milieu des gravats. En revanche, leur PC se trouvant assez éloigné de celui de l’entreprise, cela a constitué une certaine gêne dans les échanges.

Menées conjointement aux opérations de lutte, les missions sauvetage déblaiement, soins aux victimes, protection de l’environnement ont permis, pour la première, plus de cinq heures après l’explosion, le dégagement d’un employé enseveli et constituaient la phase ramassage du plan rouge. Ce dernier, impliquant médecins sapeurs-pompiers, Samu, service médical de l’usine, milieu hospitalier, au poste médical avancé, installé dans le restaurant intact près d’une zone de pose d’hélicoptères, a traité quarante blessés dont un grave.

Des barrages flottants

Après le sauvetage déblaiement, la lutte antipollution a été conduite avec la participation des marins-pompiers. Six barrages flottants ont été posés, en plus de ceux existant à poste fixe, aux abords des sources de rejet. Au cours de cette journée critique, la Drire a assuré sa mission de conseil auprès du préfet, évalué les risques potentiels d’extension du risque toxique, la détermination des mesure à prendre pour éviter la pollution de l’eau et de l’air, (récupération des eaux d’incendie dans la station de traitement de la raffinerie et contrôle de la pollution de l’air grâce au réseau Airfobep) et l’information des ministères concernés.

Alors que seule la fumée des brûlages contrôlés flottait encore sur le site, les opérations de mise en sécurité des installations se poursuivaient le lendemain matin (isolement des unités et des lignes, rétablissement des torches et des utilités, dégazage) tendant à se remettre en situation d’arrêt d’unité. On put procéder à une visite minutieuse de toutes les installations afin de relever les éventuels dégâts générés par l’onde de choc ou l’incendie et effectuer les contrôles nécessaires à un redémarrage progressif.

L’autorisation d’exploiter n’a pas été suspendue par les services préfectoraux, charge à l’exploitant de prouver le moment venu qu’il est en situation de le faire en toute sécurité. Responsable des services sécurité incendie de la raffinerie et responsables des services de secours publics sont unanimes : préparation et élaboration minutieuse des plans de secours, échanges, exercices et entraînement communs, contacts privilégiés avec un interlocuteur suivi permettent, lorsqu’on est en situation de stress, de pallier rapidement les incontournables flottements observés au début de toute opération d’envergure. Si l’examen approfondi des actions de chacun, sous un aspect évidemment constructif, sans vouloir masquer la réalité sous une autosatisfaction paralysante, s’opère, alors un accident aussi dramatique que celui de la Mède permettra de tirer des enseignements pour l’avenir.

Les opérations de secours menées en collaboration avec les pompiers départementaux, les marins-pompiers et l’assistance mutuelle se sont articulées autour de trois phases essentielles :

  • pendant plus de sept heures, le 9 novembre, une soixantaine d’engins, le bateau pompe Louis Colet et 400 sauveteurs sont engagés ;
  • de 13 h à 8 h, le lendemain, 16 engins et 80 pompiers s’occupent des recherches de disparus, des mesures antipollution et du contrôle des brûlages résiduels ;
  • jusqu’au 15 novembre, durant les opérations de mise en sécurité de la raffinerie, ils assistent le service de sécurité interne avec six engins et 25 hommes.

Finalement, les opérations de secours auront duré 154h 37, soit six jours et demi.

La raffinerie de Provence, du groupe TRD total France, premier raffineur français est l’un des trente-deux établissements industriels des Bouches-du-Rhône soumis à la directive Seveso. Elle fabrique des produits énergétiques classiques (gaz liquéfiés, carburants, combustibles domestiques et industriels de même que des produits non énergétiques, souffre, bitumes routiers, essence légère (naphta)).

Mise en service en 1935, avec une capacité de 500 000 t/an, elle atteint actuellement, après des transformations successives et un accroissement de ses équipements, 6,6 millions de tonnes de pétrole brut par an. Ses zones de stockage et ses unités de fabrication occupent l’essentiel du site de 250 hectares.

Comme tous les établissements de cette ampleur, la raffinerie dispose d’un POI et d’un PPI (élaboré en 1991). De par son activité, elle présente des risques d’émissions toxiques, d’explosion ou d’incendie liés aux produits stockés ou fabriqués : gaz inflammables (4 500 t), liquides inflammables (1 600 000 t), hydrogène sulfuré (2,8 t), acide fluorhydrique (30 t), ammoniac (5 t). Les communes susceptibles d’être rapidement concernées par un accident (essentiellement toxique) sont Châteauneuf-les-Martigues (10 973 h) et Martigues (42 922 h). La Mède, très proche, est protégée par une barrière collinaire.

Un service de sécurité, composé de vingt sapeurs-pompiers, dont certains sont sapeurs-pompiers volontaires dans des corps environnants, fonctionne 24 h sur 24, à raison d’une garde de trois hommes qu’il est rapidement possible de renforcer. Comme sur tous les sites industriels de ce type, ils disposent d’engins spécifiques puissants (cinq engins de 190 à 500 m³/h, un canon de 7 000 l/min) et des transports d’émulseur (29 000 l). La pomperie, composée de groupes de pompes diesel ou électriques (de 750 à 1 500 m³/h) alimente un réseau de 4 à 5 km sur lequel sont piqués 386 poteaux d’incendie de 100 ou 150 mm, 165 lances monitor ainsi que des rampes de refroidissement. Le stockage d’émulseur, fixe et mobile, s’élève à 121 500 l.

Si l’incendie des entrepôts de Saint-Ouen, en 1991, avait déjà affecté le groupe Total, ce sinistre n’avait représenté qu’une ou deux dizaines de millions de francs de dégâts. Rien de comparable avec ce qui s’est passé à La Mède, premier sinistre catastrophique de Total depuis son origine. Intervenue le 9 novembre 1992, l’explosion a entraîné la perte totale d’une unité de raffinage et la mort de six personnes. Elle n’a provoqué aucune pollution et seulement quelques dégâts mineurs dans une zone rapprochée du site. Son indemnisation fera donc jouer trois programmes : les dommages directs, la perte d’exploitation et la responsabilité civile.

Les dommages directs concernent la reconstruction de la raffinerie et de l’unité de cracking sinistrée. À titre de comparaison, le siège parisien du groupe indiquait au Nouvel Économiste (n°869 – 13-11-92) que le complexe de Petrogal au Portugal, sur le futur site de Sines, d’une capacité de 10 millions de tonnes, coûtera, avec les unités annexes, de 350 à 400 millions de dollars, soit plus de 2 milliards de francs.

Le complexe de La Mède n’avait qu’une capacité de 6,7 millions de tonnes, mais il était assuré par OIL (Oil Insurance Limited, mutuelle d’assurances de groupes pétroliers) avec option valeur à neuf. On peut donc logiquement penser que sa reconstruction coûtera plus d’un milliard de francs.

En pertes d’exploitation, la situation est moins nette. Le contrat prévoit une garantie PE sur trois ans avec la franchise d’un mois, estimée à 50 millions de francs. Mais le calcul de l’indemnité ne se limite pas à la durée de non-production. Il prend également en compte les variations du cours du dollar (toutes transactions dans le domaine pétrolier se faisant sur la base du dollar). Malgré ces inconnues, il est d’ores et déjà évident que les indemnités dues à total au titre des pertes d’exploitation se chiffreront en centaines de millions de francs.

En RC, sauf surprise de dernière minute, il semble que les indemnisations seront de faibles montants. Les dégâts causés à des tiers sont minimes et surtout, le sinistre n’a entraîné aucune pollution. Il n’est donc pas aberrant de penser que le coût du sinistre de La Mède approchera deux milliards de francs. A ce prix, il serait équivalent au sinistre de La Pampa (Texas), intervenu en 1991, dont les conséquences avaient été évaluées à 360 millions de dollars (200 en dommages directs et 160 en pertes d’exploitation).

Mais il resterait largement en dessous de l’explosion de Flixborough (Grande-Bretagne) qui remonte à 1974 et qui avait coûté 180 millions de dollars de l’époque, c’est-à-dire l’équivalent de 480 millions de dollars aujourd’hui. Il serait surtout moins catastrophique que l’explosion d’un nuage gazeux dans une usine de polyéthylène à Houston (Texas), en octobre 1989, dont le coût avait été de 1 375 millions de dollars, soit près de quatre fois le coût probable du sinistre de La Mède.

Rappelons, pour conclure, qu’en raison des expertises judiciaires qui se sont prolongées jusqu’à mi-février, les experts d’assurance n’ont pas encore pu se livrer à une étude détaillée du site. Rappelons également que tant que la raffinerie ne sera pas reconstruite et remise en route, le coût du sinistre ne pourra pas être établi avec certitude.

André Melly, extrait de l’Assurance Française n°670, 1993

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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