Explosion et incendie dramatiques aux établissements Saipol de Dieppe

2 octobre 201814 min
Incendie aux établissements Saipol - Photo Sdis76

Explosion et incendie dramatiques aux établissements Saipol de Dieppe

Suite à l’explosion mortelle survenue à Dieppe (Seine-Maritime) en février 2018, l’usine Saipol, spécialisée dans la transformation de graines de colza en huiles, et son sous-traitant la Snad, Société normande d’assainissement et de dépollution, ont été mis en examen pour homicide involontaire, a-t-on appris le 5 septembre 2018. Deux salariés de la Snad qui intervenaient au niveau de l’atelier d’extraction pour une opération de vidange. Retour sur le sinistre.

L’alimentation d’hexane ayant été barrée par l’exploitant, le réseau de mesures de gaz indique des concentrations nulles. La situation se stabilise progressivement.

Vers 13 h, les trois lances-canons sont stoppées. Un dispositif plus mobile, constitué de quatre lances dont trois lances mousse, progresse dans les installations vers le niveau extracteur, au sommet. Conjointement, une cellule d’accueil médico-psychologique est activée à l’hôpital de Dieppe, à destination des employés choqués.

Vers 14 h, une première victime est découverte au 5e étage, près de l’extracteur. Une deuxième est toujours portée disparue, alors qu’un bilan fait état de 11 impliqués, dont plusieurs choqués.

C’est le commandant du port, dont les bureaux sont face à l’usine, qui alerte le premier les sapeurs-pompiers à 10 h 57, mais ces derniers qui ont entendu l’explosion, une minute avant, foncent déjà vers leurs engins. Le second appel provient de l’entreprise. Il précise que l’explosion concerne le bâtiment extraction et que plusieurs victimes sont probables. Une trentaine d’appels suit.

Durant leur court trajet, les équipages voient déjà le bâtiment coiffé d’une véritable torche de flammes le dépassant de plusieurs dizaines de mètres.

À l’arrivée des premiers secours, le bâtiment est embrasé, des flammes apparaissent par la majorité des baies qui éclairent ses cinq étages. Au pied, une nappe d’hydrocarbures de 150 m2 s’enflamme à l’arrivée du deuxième engin.

Au-dessus, des conduits de transport de matières risquent de propager ce foyer secondaire vers d’autres bâtiments.

Priorité, la recherche de victimes

11 h 15 : « Bâtiment d’extraction d’hexane complètement embrasé. Deux personnes manquantes. Risque d’explosion non écarté, bâtiment toujours alimenté, périmètre de sécurité en cours. »

Mais la priorité est de rechercher d’éventuelles victimes. Malgré les risques de sur-explosion, des sapeurs-pompiers partent en reconnaissance dans les installations ébranlées, à partir d’escaliers et passerelles extérieures.

Conjointement, une lance-canon mousse combat la nappe d’hexane enflammée tandis qu’une seconde est en cours d’établissement sur la façade principale.

La première reconnaissance ne peut progresser au-delà du 2e étage. Le feu doit être temporisé par l’action des lances-canons (la temporisation consistant à réduire l’intensité du feu par l’action progressive de la mousse).

À 11 h 25, un message de renseignements précise que deux personnes sont bien manquantes, que le risque d’explosion subsiste et que la police évacue les sept habitations les plus proches.

L’alimentation en hexane du bâtiment est barrée vers 11 h 30. Les reconnaissances sont périlleuses entre les équipements en feu ou fuyards, les passerelles aux planchers parfois soufflés, aux brèches masquées par la mousse.

Même s’il subsiste une chance infime, il faut progresser vers le 5e niveau, là où les ouvriers intervenaient sur l’extracteur.

Une reconnaissance dangereuse

Plan usine Saipol

Une troisième lance-canon est établie sur l’arrière du bâtiment et enraye un début de propagation vers le reste de l’usine via les transporteurs à chaîne ou air comprimé dont les conduits captent les gaz chauds et les fumées.

Une deuxième équipe part en reconnaissance dans le bâtiment mais une ré-inflammation se produit dans les installations et, pris au piège, les sauveteurs se replient de justesse.

Devant la dangerosité de la situation, le commandant des opérations de secours (COS) décide le repli de tous les personnels à l’extérieur.

Les opérations se poursuivent durant la nuit

Progressivement, divers foyers résiduels sont combattus et réduits, à mesure que les lances investissent les étages. Toutefois, plusieurs équipements ébranlés par l’explosion contiennent des quantités d’hexane et de multiples fuites existent encore dans le dédale de canalisations reliant condenseurs, décanteurs, pompes, générateurs de vapeur, etc.

C’est vers 15 h que la seconde victime est retrouvée dans l’extracteur déchiré par l’explosion.

Le feu est difficile à maîtriser totalement, le mélange pâteux d’écailles imbibées d’hexane répandu dans les installations résistant à la mousse bas ou haut foisonnement. Çà et là, il brûle encore.

À 16 h, les sapeurs-pompiers sont « maîtres du feu ». On ne constate pas de perte de confinement de l’hexane restant dans les circuits, hormis quelques fuites relevées par la cellule mobile d’intervention chimique (CMIC). Toute la nuit, les opérations se poursuivent.

Le site est sous rétention et les effluents sont contenus. 180 m3 d’eaux polluées sont pompées par une société spécialisée, tandis que l’extracteur est « lessivé » à la lance pour y extraire le colza.

Le dispositif de secours s’allège progressivement, jusqu’à ce que le feu soit déclaré éteint à 17 h le dimanche.

Lundi 19 février, alors que les lances restent en attente, plusieurs relevés à la caméra thermique sont effectués. L’absence de points chauds conduit à la levée du dispositif de secours à 20 h. C’est maintenant à l’entreprise de gérer, avec l’aide des autorités et l’appui de son groupe (Avril), les conséquences du drame qui a frappé cette usine emblématique de la ville.

Une opération de maintenance

L’accident survient lors d’une opération de nettoyage par aspiration. Ses circonstances exactes font l’objet de plusieurs enquêtes. Il s’agit de débloquer un extracteur d’huile, situé en partie supérieure du bâtiment, entravant toute la chaîne de production.

Le camion-citerne de la société sous-traitante, stationné au pied du bâtiment, est relié à la zone d’intervention par un flexible d’aspiration. Deux hommes, sous protection respiratoire reliés au réseau d’air comprimé du bâtiment, interviennent.

L’extracteur est un équipement essentiel du process. Le « tourteau », écailles grasses, y est acheminé via un système élévateur et est déversé sur un tapis roulant. De l’hexane, liquide très inflammable et explosible, y est injecté afin d’extraire du colza le tiers d’huile qui y subsiste encore. Tout le mécanisme est confiné dans un caisson d’acier d’une quinzaine de mètres de long, situé au dernier niveau du bâtiment.

L’explosion se produit à 10 h 56 et son souffle parcourt l’ensemble du bâtiment constitué d’un volume unique traversé de passerelles et planchers partiels. Toutes les baies explosent et les châssis se déforment. La conception relativement légère de la toiture dirige heureusement l’essentiel du souffle vers le haut.

Ruissèlements et chutes de matériaux enflammés

La production d’un gros volume de flammes relativement bref au dernier niveau, est due à l’inflammation soudaine des matières imbibées d’hexane.

Pour les sapeurs-pompiers, ce feu est complexe par les produits en cause (hexane et colza imbibé, atmosphère explosible). L’environnement intérieur d’un seul tenant permet la généralisation du feu du haut vers le bas, plaçant en situation dangereuse les équipes qui tentent de rejoindre les victimes. Heureusement la progression jusqu’au 4e étage s’effectue par des escaliers extérieurs. Il est probable qu’en l’absence de victimes, l’action des sapeurs-pompiers se serait limitée à l’extérieur. Mais l’incendie survenant au dernier niveau place tous les équipements inférieurs sous les ruissellements et chutes de matériaux enflammés. Bientôt de nombreux foyers s’élèvent dans le dédale de cuves, de condenseurs, de canalisations plus ou moins ébranlées. C’est de ces écoulements que naît le feu de nappe dans la cour. Il faut prioritairement barrer l’alimentation d’hexane, relié à une cuve enterrée de 60 m3 chargée à 43 m3, et lancer des reconnaissances dans cet environnement périlleux où d’autres explosions sont possibles.

L’extinction par la combustion de l’hexane

L’impossible est fait, d’abord par les accès extérieurs jusqu’au 3e, avant qu’une inflammation ne mette en péril un binôme, contraignant le COS à suspendre momentanément les reconnaissances.

Le feu est alors temporisé par l’attaque extérieure au canon-mousse, avant qu’une progression ne reprenne par l’intérieur au moyen de lances, jusqu’à l’extracteur.

Le feu y est particulièrement difficile à combattre, l’enveloppe déchirée ne permettant pas de retenir la mousse, à moyen ou haut foisonnement. Le mélange colza/hexane brûle à cœur, la croûte se formant en surface empêchant l’eau de pénétrer la masse et entraînant des réinflammations. L’extinction s’obtient par combustion complète de l’hexane !

Pour l’attaque mousse, qui se déroule entre 11h30 et 13h environ, le COS a à sa disposition 6 300 l d’émulseur (fourgon-pompe et berce émulseur), ajoutés de huit fûts de 200 l (soit 1 600 l) de l’entreprise.

Il est à noter que le démantèlement d’un condenseur libérant d’importantes quantités d’eau a fait croire à la présence d’une extinction automatique. Cette eau a été salvatrice jusqu’à ce que les sapeurs-pompiers demandent son isolement (l’eau entravant l’effet de la mousse).

La CMIC est engagée afin de gérer les effluents issus de l’extinction (6 000 l/mn environ au plus fort de l’attaque), d'effectuer des relevés d’explosimétrie et d'organiser un réseau de mesures atmosphériques.

Expertise de la structure nécessaire

Le constat au lendemain du drame est préoccupant. Deux hommes sont morts, plusieurs enquêtes sont diligentées, le personnel est fortement ébranlé par le drame, l’usine est stoppée, le process le plus en aval de la production étant atteint.

Une cellule médico-psychologique est mise à disposition des employés, dont une poignée avait quitté le bâtiment quelques minutes avant l’explosion.

Le choix est laissé aux employés de venir sur site ou non durant la première semaine. Vingt-trois postes de reclassement sont proposés au personnel sur l’ensemble des sites Saipol en France dont seize sur les deux établissements de Grand-Couronne (à 76 km dans le même département). Des prêts de personnel sont en cours d’étude avec des industriels locaux. Une cellule « post-crise » est activée durant 3 semaines, assortie de réunions hebdomadaires en sous-préfecture (gestion post-accidentelle).

Le bâtiment doit être sécurisé. Les parties extérieures instables sont enlevées, une expertise de la structure béton (scan 3D) est réalisée avant de permettre la vidange, le curage et la prise en compte de la possibilité d’amiante au niveau de plaques de toiture soufflées.

47 m3 de « Miscella », mélange d’huile et d’hexane, sont recueillis dans une cuve enterrée.

L’intérêt des exercices en commun

Par ailleurs, l’ensemble des stocks de matières premières, soit 6 229 t de colza et de produits finis, soit 800 t d’huiles et 180 t de tourteau en vrac, doivent être évacués du site. La vidange des silos par des moyens mobiles extérieurs s’avère complexe.

L’usine de Grand-Couronne assure un traitement « mono-graine » important (1 million de tonnes/an), soit 20 % de la production nationale de colza !

L’usine de Dieppe permettait de satisfaire un marché de « niches » grâce à la souplesse de ses équipements adaptés à des tonnages plus réduits. L’essentiel de sa production est reporté sur Grand-Couronne qui doit s’adapter à des commandes réduites multi-graines.

Si l’accident s’est soldé par un bilan humain trop lourd, il a révélé encore une fois que la connaissance des lieux par les sapeurs-pompiers, la connaissance des dirigeants de l’entreprise par ces derniers dans le cadre d’exercices avec déclenchement du POI, et la connaissance des risques spécifiques à ce bâtiment ont permis de figer la situation au bâtiment initial, d'éviter la sur-explosion et d'empêcher d’autres victimes durant l’intervention.

Tous les deux ans environ, un exercice avait lieu à l’usine. Le dernier, effectué 6 mois auparavant, avait pour thème… une fuite d’hexane dans le bâtiment soufflé avec victimes !

Les risques étaient bien identifiés à l’usine Saipol.

Construite en 1908, partiellement rasée durant la dernière guerre, l’usine séculaire de production d’huiles est rachetée en 1994 par le groupe Avril. Fonctionnant 24 h/24, sa quarantaine d’employés traite environ 240 000 t de graines annuellement. L’approvisionnement en graines et l’exportation d’huiles et tourteaux entraîne un trafic portuaire important à destination de l’Europe du Nord et de la Grande-Bretagne. L’usine bâtie dans le port s’étend sur 2,4 ha. Elle comprend des silos recueillant les matières premières (graines de colza, tournesol, etc.), des ateliers et magasins assurant l’extraction de l’huile et son raffinage et une vingtaine de cuves de tailles diverses recueillant la production d’huiles.

Le bâtiment « extraction », siège de l’explosion

D’une surface au sol de 280 m2, haut de 25 m, il distribue sur 5 niveaux les équipements permettant l’extraction d’huile du tourteau (écailles de graines). Structure béton et remplissage de briques, grandes surfaces verrières, escaliers métalliques et passerelles extérieures, deux escaliers intérieurs et une salle de commande. Il abrite au sommet l’extracteur continu permettant d’extraire l’huile subsistant dans le colza (écailles grasses). Il est alimenté en hexane à partir d’une cuve enterrée de 60 m3. partir d’une cuve enterrée de 60 m3.

L’installation est classée et soumise à autorisation. L’établissement dispose d’extincteurs, de robinets d’incendie armés (RIA) et de cinq poteaux d’incendie privés alimentés par le réseau de ville et un piquage en rivière proche. Le bâtiment « extraction » est équipé d’extincteurs, de cinq RIA mousse et d’une colonne sèche. Il dispose en outre de sept sondes de détection de gaz aux différents niveaux du bâtiment, ainsi qu’au niveau de la cuve enterrée d’hexane.

Deux réserves d’émulseur de 800 l chacune sont réparties sur le site.

Le bâtiment « pression » qui abrite les presses est sprinklé.

L’établissement est répertorié et est bien connu des sapeurs-pompiers qui y effectuent des exercices réguliers. Le centre de secours est à moins de 1,2 km. Le premier poteau d’incendie public est face à l’entrée principale.

Les exemples ci-dessous regroupent les explosions suivies ou non de feu, alors qu’une intervention de réparation ou maintenance étaient en cours.

Explosion d’une cuve de benzène dans l’usine chimique Orkem de l’Oise (Face au Risque n° 252, avril 1989). Un ouvrier est tué, trois autres blessés, alors qu’ils effectuaient une intervention par point chaud sur la canalisation extérieure d’émulseur d’une cuve de 1 000 m3, dont il subsiste un fond de 15 m3.

Feu de dépôt d’hydrocarbures port Edouard Herriot à Lyon. Explosion initiale dans une zone de travaux, puis incendie généralisé. Deux employés tués, de nombreux blessés dans cet incendie qui va durer près de 24 heures (Face au Risque n° 240, février 1988).

Explosion suivie de feu dans une usine d’huiles, à Meuzac. Un ouvrier est tué alors qu’il posait une sonde sur une cuve de 60 m3 emplie de 15 m3 de polymère. L'ensemble du site est ravagé par les explosions et le feu (Face au Risque n° 539, février 2018).

Ces interventions ont pour origine un travail par point chaud ou générateur d’étincelles (meulage, choc d’équipements non déflagrants, etc.) dans une atmosphère potentiellement explosive (a priori, aucun travail par point chaud n’était engagé à Saipol au moment de l’explosion). Dégazage, inertage, ventilation forcée, relevés d’explosimétrie sont parmi les mesures édictées lors d’interventions dans ou près de ces équipements ou capacités. Dans tous les cas, les employés à l’origine du drame ont été tués.

René Dosne

René Dosne

Depuis janvier 1983, René Dosne écrit et illustre la rubrique Feux Instructifs dans Face au Risque. Collaborateur de nombreux magazines dédiés aux sapeurs-pompiers, il a créé et assuré la spécialité de dessinateur opérationnel au sein de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) où il était lieutenant-colonel (r). Dans sa carrière, il a couvert la plupart des grands feux, mais aussi explosions, accidents en France comme à l'étranger.

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