Lutte contre la fraude dans le secteur de la santé : le cas d’Alan

Opérant dans le secteur de l’assurance maladie et la prévoyance en santé, Alan est un néo-assureur créé en 2016. Très axée sur le numérique, l’entreprise a développé une culture et des dispositifs modernes de lutte contre la fraude externe.

Ceci est une légende Alt

Si la gestion des risques est de façon très classique l’objet d’un processus largement normalisé au sein des entreprises, le risque de fraude est un risque souvent appréhendé comme un risque externe sur lequel les entreprises ont peu de prise. Les assureurs étant tenus d’identifier, évaluer et gérer les risques opérationnels en complément des risques financiers et assurantiels, le risque de fraude externe (fraude de l’assuré à la souscription ou à l’indemnisation, fraude du professionnel de santé) et interne (fraude des employés) fait partie intégrante du dispositif de gestion des risques opérationnels.

Le néoassureur Alan

Nous analysons l’émergence et la maturation de la lutte contre la fraude chez le néoassureur Alan, une entreprise moderne qui opère dans un domaine particulièrement régulé : l’assurance santé et prévoyance. Son business model fondé sur un produit d’assurance entièrement en ligne permet de nombreuses innovations technologiques grâce à un système d’information agile visant à lutter efficacement contre le risque de fraude. Si l’innovation a longtemps été l’apanage des “fraudeurs”, de nouvelles méthodes de détection basées sur l’intelligence artificielle renouvellent considérablement la lutte contre la fraude (méthode de détection innovante, recours à des techniques avancées d’apprentissage supervisé et de repérage d’anomalies statistiques).

Agréé par l’APCR en 2016, Alan s’est intéressé très tôt au développement d’un système de traitement automatisé du risque de fraude.

Analystes Crédit unsplash tim-van-der-kuip

La fraude externe, une caractérisation difficile

La fraude au sein des organisations n’est pas ignorée des sciences de gestion puisque la criminalité en « col blanc » est un objet d’étude depuis 1940[1]. Certains secteurs l’ont appréhendé de manière industrialisée face à la fréquence des tentatives (banques avec la fraude monétique ou aux moyens de paiement, assureurs de biens et de responsabilité, ou opérateurs téléphoniques et de e-commerce). Elle est cependant insuffisamment prise en compte par les acteurs économiques d’autres secteurs tel que le secteur de la santé qui s’est vraiment lancé dans la lutte contre la fraude à partir de 2010, bien après le développement des réseaux de soins et de tiers-payant[2]. Cela s’explique par le fait que la fraude ne fait pas l’objet d’une définition univoque ce qui rend sa caractérisation difficile et les poursuites judiciaires aléatoires. Il est difficile d’être proactif dans le combat de la fraude externe : les schémas de fraude évoluent sans cesse et, quels que soient les efforts déployés, l’entreprise sera toujours vulnérable.

L’enjeu financier de la fraude

Les projets de lutte contre la fraude doivent être considérés comme des vecteurs de croissance par leur capacité à réduire les coûts et sont source d’avantage concurrentiel du fait de la création de capacités distinctives et durables de différentiation[3]. Une étude de 2017 portant sur 19 années montre que le coût moyen de la fraude représente 5.85% des dépenses de toutes les entreprises[4]. Pour le secteur de l’assurance santé-prévoyance, l’association pour la lutte contre la fraude à l’assurance (Alfa) relève que l’enjeu de la fraude représente environ 7% des prestations payées en France[5]. Ce sujet est notamment une des préoccupations d’autorités de contrôle (l’ACPR– Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et de renseignement-financier (Tracfin – Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), en tant qu’enjeu de maîtrise de la conformité associée aux processus de sécurité financière (pour les cas de fraude pouvant participer au blanchiment des capitaux).

Naissance de la gestion du risque de fraude au sein d’Alan

Première société indépendante à avoir obtenu dès sa création en 2016 un agrément de la part de l’ACPR (ce qui n’était plus arrivé depuis…1986) pour couvrir les risques liés aux branches maladie et accidents, Alan se positionne comme un partenaire santé tout-en-un. Influencée par de nouvelles pratiques (criminalité organisée, intensification de la fraude documentaire facilitée par les technologies numériques, banalisation des actes frauduleux), la prise en compte du risque de fraude interne et externe comme un risque opérationnel représente un enjeu majeur pour Alan. En tant qu’assurtech, start-up du secteur de l’assurance, le développement d’un système de traitement automatisé du risque de fraude fait partie de son ADN.

Une prise en compte précoce de la fraude

C’est après avoir construit une plateforme de santé tout-en-un couvrant l’assurance complémentaire santé, la prévoyance lourde et des services de santé optimisés pour ses membres, qu’Alan a logiquement investi dans un système et une équipe d’experts pour lutter contre la fraude (celle-ci se produisant lorsqu’une personne tente d’obtenir une prestation ou un avantage auquel il n’a pas droit).

Les débuts de la lutte anti-fraude chez Alan se sont concrétisés par des actions rapides sur des cas simples. Dès 2019, afin de constituer une expertise anti-fraude, Charles Gorintin (cofondateur et CTO d’Alan) a manifesté une volonté forte de se saisir de cet enjeu. Le constat était simple : réagir face à la réception de plus en plus de documents suspectés de fraude.

Webinaire Alfa capture écran

L’association pour la lutte contre la fraude à l’assurance (Alfa), avec laquelle le néoassureur vise à renforcer sa collaboration, organise des webinaires pour sensibiliser au risque de fraude.

La première année de lutte contre la fraude a suivi un modèle traditionnel, se focalisant sur les fraudes significatives (+ de 500€) avec un début de collaboration avec l’Alfa, et une gestion manuelle des cas, accompagnés d’une exploitation des données peu poussée. Dès 2021, la lutte contre la fraude devient une priorité – premier pas d‘une démarche à l’opposé des assureurs classiques. Un autre pas fut franchi lorsqu’Alan se concentra sur les fraudes commises par des membres (et non des professionnels de santé), plus faciles à détecter et à prouver. La difficulté principale reposait sur le manque de connaissances métier, ainsi l’équipe a d’abord exploité les données de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih). Malheureusement, la théorie s’est heurtée à la réalité et les règles de codage n’étant que peu suivies par les professionnels de santé, cet effort n’a pas porté autant ses fruits qu’espéré. En parallèle, les premiers outils d’enquête ont été créés, avec un début de modèle de données relatif à la fraude. L’objectif était de diviser le travail en trois segments : la détection ; la consolidation des informations ; et la réaction aux cas de fraude. Par ailleurs Alan a investi dans la détection des documents suspects qui s’est rapidement révélée efficace. Des méthodes de détection généralistes, reposant sur des éléments suspects, ont été combinées à des méthodes plus spécialisées pour chaque type de soin (en particulier dentaire, médecines douces et optique). La dimension dématérialisée d’Alan joue alors en sa faveur et l’enregistrement de chaque document génère des données structurées et précises, exploitables pour lutter contre la fraude.

Enfin, le management, les équipes et les partenaires tiers sont régulièrement sensibilisés à la détection et à la gestion du risque de fraude (documentation détaillée, communication sur la stratégie anti-fraude, ses réussites, ses axes d’amélioration, et publication d’articles sur un blog).

Automatisation de la détection

« Tout cet investissement dans la détection a permis à Alan de passer de 86 000 euros de fraude identifiée en 2021 à environ 1 million d’euros en 2022. »

L’équipe d’experts fraude, composée de huit personnes à temps plein, rassemble des ingénieurs en charge de développer les logiciels et interfaces de lutte contre la fraude, des data scientists en charge de définir les algorithmes permettant de détecter la fraude, des spécialistes de l’investigation des suspicions de fraude et du recouvrement des sommes fraudées et d’un juriste pour toute question sur les sanctions contractuelles ou la mise en œuvre d’action précontentieuse et contentieuse. L’équipe a construit plusieurs algorithmes permettant de définir le risque de fraude sur la base de critères identifiés sur des cas de fraudes, de reconnaître automatiquement des documents falsifiés, ainsi que des anomalies dans le traitement des demandes de remboursements et dans le cadre de nouvelles souscriptions de contrats d’assurance. Des alertes sont remontées aux experts, entraînant une investigation approfondie afin de confirmer l’existence d’une fraude. L’expertise est alors fondée sur une liste de critères clés permettant de caractériser la fraude (on parle de “faisceau d’indices convergents”) et d’en établir son impact au cas par cas.

« L’accent est désormais mis sur la lutte contre la fraude initiée par les professionnels de santé, qui représente des montants encore plus significatifs. »

Une fraude suspectée est aujourd’hui traquée dès le premier euro, et non plus à partir d’un certain seuil de tolérance. Tout cet investissement dans la détection a permis à Alan de passer de 86 000 euros de fraude identifiée en 2021 à environ 1 million d’euros en 2022. Fort de cette amélioration qui installe Alan comme un acteur actif dans la lutte contre les fausses factures, l’accent est désormais mis sur la lutte contre la fraude initiée par les professionnels de santé, qui représente des montants encore plus significatifs.

Prévention et contrôle de la fraude

Alan s’efforce d’améliorer la prévention du risque de fraude (avant tout paiement). Les techniques de détection permettent d’émettre des alertes de fraude précises. Lorsqu’une alerte est signalée, le remboursement est “mis sur pause” le temps que l’un des experts l’analyse, ce qui aboutit à la confirmation de la fraude dans plus de 80% des cas. Des réflexions sont en cours pour davantage prévenir le risque de fraude, par exemple en organisant des ateliers avec les employeurs ou des actions ponctuelles de sensibilisation avec les assurés.

Investigation des dysfonctionnements, mise en place d’actions correctrices

Alan a inscrit dans sa culture deux éléments importants qui ajoutent un contexte au cas que nous allons étudier : l’expérience membre, au cœur de chaque changement, et la vitesse d’exécution, plutôt faire rapidement et itérer qu’essayer de faire parfaitement du premier coup. Alan rembourse près de 80% des demandes des assurés en moins de 3 heures, ce qui est plus rapide que les standards du marché. Cette rapidité nécessite un taux d’automatisation très élevé, ce que des fraudeurs peuvent tenter d’exploiter. Ainsi, un assuré d’Alan avait pu profiter de remboursements immédiats (et non vérifiés) pour frauder à hauteur de 40k€, via de multiples entreprises et faux profils. Alan a réagi rapidement en exploitant ses données de remboursement et une fois que le modus operandi du fraudeur a été identifié, en moins d’une semaine des alertes ont été mises en place afin de signaler directement à l’équipe de lutte anti-fraude un potentiel cas et bloquer tout remboursement. Le membre n’a plus récidivé, et l’enquête a pu commencer, menant à un dépôt de plainte, complété d’une enquête policière.

Sanction de la fraude

Alan a également renforcé son expertise en matière de sanctions contractuelles. Les conditions générales partagées avec l’employeur, qui les acceptent en signant les conditions particulières, prévoient une nullité du contrat en cas de fausse déclaration de sa part. Cette sanction, fondée sur l’article L.113-8 du code des assurances, s’applique lorsque la déclaration a volontairement induit Alan en erreur sur les éléments significatifs de l’appréciation du risque de nature à en dénaturer la portée et la compréhension.

Code des assurances - Crédit : AdobeStock_Onidji

Les cotisations payées sont alors conservées par Alan jusqu’au moment où Alan a eu connaissance de cette fausse déclaration. Les notices d’information communiquées aux assurés, résumant les conditions générales du contrat d’assurance, prévoient une clause de déchéance des garanties en cas de fraude prouvée, c’est-à-dire un refus de rembourser et/ou une obligation de rembourser les sommes indûment perçues. Alan va même plus loin en prévoyant, en cas de fraude avérée, l’application d’une pénalité financière égale au montant des prestations frauduleuses, justifiée au regard du préjudice financier causé (démarches internes et externes telles qu’une enquête judiciaire ou une expertise). Par ailleurs, Alan a renforcé sa communication envers les fraudeurs, notamment dans ses courriers de mise en demeure de rembourser les sommes fraudées. Cette injonction est envoyée immédiatement après que l’expert a considéré qu’il s’agissait d’un cas de fraude, en laissant un délai de 15 jours pour un remboursement effectif (sauf à initier une action en justice).

Enfin, une stratégie précontentieuse et contentieuse a été définie pour mener des actions pénales ou civiles à l’égard du fraudeur (introduction d’une plainte pénale, avec ou sans constitution de partie civile et/ou saisine des juridictions civiles). Le recours à la voie pénale vise à condamner le fraudeur à des sanctions pénales, en procédant au dépôt d’une plainte auprès du procureur de la République ou en se constituant partie civile dans une procédure pénale déjà initiée ; dans une démarche précontentieuse ou contentieuse, la voie civile vise à condamner le membre à rembourser les indemnités indues qu’il a perçues. Les deux voies font l’objet d’une analyse au cas par cas selon le type de fraude et le profil du fraudeur. Elles impliquent néanmoins des enjeux non négligeables de coût, de délais et de durée des instances.

Grâce à cette stratégie, Alan a pu récupérer, dans une phase amiable, des montants importants issus de fraudes aux prestations santé.

Aller plus loin

La lutte contre la fraude à l’assurance est une priorité pour Alan qui poursuit son évolution vers un système de plus en plus fiable, continuellement amélioré. La détection automatisée couplée à l’intelligence artificielle s’est révélée très efficace pour détecter des fraudes qui échappent à l’œil humain.

« Si l’innovation a longtemps été l’apanage des fraudeurs, de nouvelles méthodes de détection basées sur l’intelligence artificielle renouvellent considérablement la lutte contre la fraude. »

Le renforcement de partenariats existants, notamment avec l’Alfa ou la Sécurité sociale, voire des interactions avec des services anti-fraude d’autres organismes assureurs, sont également des sujets de travail. Alan est convaincu que l’amélioration des échanges de données entre l’Assurance Maladie et les organismes complémentaires représente un levier d’action majeur dans le cadre de cette lutte.

La lutte contre la fraude est inscrite dans le business model d’Alan, car elle permet d’offrir un service de qualité à ses assurés et cette volonté est clairement affichée par la direction de l’entreprise[6].


[1] N. Dufour, E. Laffort, « La fraude est-elle gérable ? Application au cas des assurances complémentaires santé », Revue Recherches en sciences de gestion, 2018, n°126, pp. 211-237.
[2] Véret-Jost C., Dufour N., Lutter efficacement contre la fraude, l’Harmattan, 2017.
[3] « Measuring the cost of fraud: an opportunity for the new competitive advantage », Journal of Financial Crime, vol. 19, n°1, Button, Gee & Brooks, 2011, pp. 65-75.
[4] « The Financial Cost of Fraud 2017 » : Center for counter fraud studies of the University of Portsmouth, Crowe Clark Whitehill, Gee & Button, 2017.
[5] « La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme dans le secteur de l’assurance » – TRACFIN, 2021, La lettre d’information n°19.
[6] Charles Gorintin, « Pourquoi nous combattons la fraude chez Alan », article du blog Alan, juin 2022 .

Partagez !

Elise Toureau

Elise Toureau

Legal Counsel chez Alan

Nicolas Dufour

Nicolas Dufour

Docteur en sciences de gestion, professeur des universités associé au CNAM et Risk Manager dans le secteur de l’assurance

Emmanuel Laffort

Emmanuel Laffort

Docteur en sciences de gestion et consultant patrimonial chez Aoris conseils

Vincent Lambert

Vincent Lambert

Senior Ops manager chez Alan

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.